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Ft. Aden
Le centre n’a rien d’accueillant. Cette ville est aussi morte que je ne pense l’être en dedans. C’est peut-être toute cette grisaille. Ou est-ce plutôt le fait que dans la pénombre, un sens de solitude veut m’étreindre de l’intérieur ? Là où les autres trouvent le sommeil, je pense ne parvenir qu’à trouver l’oubli. Ce voile noir qui couvre déjà tout ce que je suis. Et sur le trône surplombant cette réalité fictive, il se tient là, lui, régalien et sublime.
Le monde est pris dans ce brouillard indicible, et peut-être est-ce là ma faute. J’aurai pu reprendre mes pas, retourner là où ma niche m’a été désignée. Mais chaque objet, chaque détail me rappelle que cette vie n’est pas à moi. N’est plus à moi. Si j’avais prêté plus attention à ce qui m’entoure, peut-être que les premières gouttes de pluie heurtant la chaussée auraient pu éveiller mes sens. Mais ce statique permanent à mes oreilles enveloppe d’une matière insaisissable tout ce qui m’entoure. J’aurai aimé pouvoir lui demander si ce monde était bien le mien. Si sa raison pouvait supplanter la mienne.
Sur mes épaules, le tissu blanc colle à mes épaules. Est-ce encore une chose que j’ai oublié ? Je relève les yeux vers ce ciel fallacieux et chaque goutte, chaque impact sur mon visage semble briser quelque chose au fond de ma mémoire. Comme si cette pluie pouvait laver ce que je suis. Comme si elle pouvait m’effacer.
Pourquoi ainsi se précipiter ? Pourquoi perdre patience, perdre le goût des choses ? Le centre n’a rien d’accueillant. Cette ville est aussi more que je ne pense l’être en dedans. Alors pourquoi cette pluie semble se faire écrasante ? Pourquoi le monde est-il subitement si oppressant ? Aucun refuge n’existe. Aucune solution ne tient entre mes mains. Seulement ce sens d’urgence, ce besoin inconditionnel de le retrouver. De le protéger.
Mes pas m’ont ramené jusqu’à lui. Ce monde n’est pas fait pour moi. La pluie ne m’a pas réellement trempé, mais cette poisse me gèle les os, me terrifie et me coupe le souffle. Bloc 1. Bâtiment 4. Appartement 446. Les étages filent sous mes jambes, et mes poings se heurtent désespérément à sa porte. Les secondes passent et aucun son ne me vient. Les minutes passent et ce poids tout au fond m’attire au sol, une gravité illusoire, le fardeau de ne pas pouvoir le retrouver.
Il n’est pas là. Il n’est pas là et je sais. Je sais que j’ai failli. Je sais qu’il m’effacera. Je sais qu’à la première occasion encore, il m’oubliera.
Et sur ce sol froid, je réalise en vain que la pluie n’avait jamais cherché de partenaire.
Que la pluie dansera éternellement sans moi.
* Tiens.
Coinçant son parapluie entre son épaule et sa joue, il retire la veste sèche de son costume et la glisse sur les épaules d'Altaïr. Ni bonjour ni rien. Il n'a pas besoin de ça, ça ne ferait sans doute pas tant sens que ça. Il se relève avant de lui tendre sa main libre.
* Viens, Altaïr.
Il n'aura pas la force de le ramener chez lui ce soir, il n'a pas envie de prendre le risque d'y croiser Amaury. Il ne veut pas qu'Altaïr reste là bas, s'il recherche un appartement plus près du sien, ce n'est pas pour rien. Et bien sûr, s'il l'exigeait, il l'aurait en quelques heures, mais c'est là le problème : ça doit être fait discrètement.
Ft. Aden
Si d’autres m’ont vu, peut-être que demain je serai le prochain nom sur la liste des bannissements. J’aimerai juste lui dire pardon avant de m’en aller. Est-ce que c’était trop en demander ?
Dans le grésillement constant de ce monde, le fracas des gouttes heurtant une toile ne fait pas sens. Pourtant, c’est le timbre chaud et pourtant si sec de la voix d’Aden qui m’arrache à ma torpeur. Je n’ai pas à relever les yeux. Je reconnaîtrai sa voix entre mille. Autant que sa chaleur et son odeur qui me font trembler. Sa veste autour de moi ne devrait pas me donner pareille sensation de sécurité. Après tout, c’était à moi de le protéger.
Pourtant j’accepte de prendre sa main tendue sans un mot. Sa paume est chaude et je n’ose pas croiser ses yeux. Je ne suis que trop pitoyable pour oser m’imposer à sa vue. Pourtant je le suis sans parvenir à réfléchir. Je serre sa main dans la mienne, essayant avec peine de retrouver mon souffle.
Nous sommes devant la porte de son appartement, la peur m’étrangle à l’idée que cet homme intervenu plus tôt puisse rapporter à Aden la couardise qui est mienne. J’ai peur de le perdre. J’ai peur qu’il ne veuille plus de ce que je suis devenu, peu importe ses paroles. Peu importe sa chaleur. Je devrais avoir honte de m’imposer ainsi à lui. Pourtant le tintement des clés me fait frissonner. Et si après ça il me demandait de partir ? Sans réfléchir, j’appuis mon visage contre son dos. Il me paraît imposant, il est tout ce qu’il me reste. Et si ma voix tremble, je devrais probablement m’en sentir embarrassé. Mais les mots sont justes et vrais, aussi sincère que je ne le serai jamais qu’avec lui.
Je me mords la langue, regrettant instantanément mes mots. Autant pour leur sens que pour cette erreur qu’il me ferait payer. Combien de fois m’a-t-il dit de ne pas le vouvoyer ? Je déglutis, ma main libre agrippe sa chemise. Mes cheveux commencent à tremper son dos.
* Tu peux rester cette nuit.
Sans doute qu'il le laisserait rester plus longtemps. Aden n'aimait pas qu'on le surveille, qu'on fouille ce qu'il faisait, qu'on pénètre dans son petit monde, mais il n'avait simplement pas le choix. Il poussa la porte avant d'attraper le poignet d'Altaïr et l'entraîna à l'intérieur, fermant soigneusement derrière lui.
L'appartement d'Aden n'avait rien d'exceptionnel, à bien y réfléchir ce n'était pas l'antre du grand roi, d'aucuns auraient été déçus de ne trouver qu'un appartement certes spacieux mais simple, morne presque.
* Va chercher une serviette pour te sécher.
Altaïr est déjà venu, cet appartement il le connait. L'avantage, c'est que son peu de souvenirs l'oblige à se concentrer sur ce qu'il sait. C'est comme ça qu'Aden voit les choses. Il ne faut pas polluer sa mémoire.
Ft. Aden
Mais pour tout ce que sa chose est idiote, mon maître offre le pardon. Au son de sa voix, je relâche ma prise sur lui, essaye de donner l’air de mériter d’exister en sa présence. Je n’aurai jamais son charisme ni sa grandeur. Mais il m’a octroyé le droit et le devoir de le rendre fier et puissant. Que diraient les habitants de la cité s’ils voyaient la scène ? Probablement douteraient-ils des choix d’Aden. Ils remettraient en question sa décision de m’avoir donné ce pouvoir d’être à ses côtés.
Pourtant lui ne semble pas s’en formaliser. Sa poigne est ferme, et sous ses doigts, ma peau semble brûler sans que je ne puisse y faire quoi que ce soit. L’odeur des lieux est rassurante. Elle est comme lui. Elle me garde en sécurité. Comme ce jour-là où je me suis réveillé. Il n’y avait qu’Aden, et j’avais l’envie de croire que si les choses restaient ainsi, ce serait suffisant. Je n’ai pas l’indiscrétion de scruter les lieux. Pas plus que je ne me donne le droit de le suivre ou de le retenir. Ses ordres, je les suis à la lettre, retirant la veste qu’il m’avait laissé emprunter pour la déposer sur le dossier d’une chaise, marchant sans un bruit jusqu’à la salle de bain.
Je fuis mon reflet, détourne le visage et agrippe une serviette sans un mot. Ça aussi, ça porte son odeur. Autour de mes épaules, ce serait presque comme s’il me retenait dans ses bras. Je ferme les yeux, détourne le regard et éteint la lumière. Je devrais rester dans les ombres. Dans son ombre à lui. C’est peut-être pour cette raison que mes pas m’ont naturellement ramenés jusqu’à lui. Cette fois-ci, je n’ose pas le toucher. Je n’ose rien si ce n’est lui demander.
Je ne le touche pas, non, mais quelque chose semble remuer tout au fond, comme si l’éclat d’or perdu sur la fenêtre frappée par la pluie pouvait s’éteindre. Comme si quelque chose pouvait me rattraper. Je serre le tissu autour de mes épaules, les mèches trempées de rouge continuant de goutter sur le sol.
Ça pourrait sonner comme une évidence, mais quelque chose tremble dans ma voix, je n’arrive plus à détacher mon regard des sillons tracés sur le verre froid. Quelque chose remue encore. Quelque chose que je ne contrôle pas.
* Altaïr.
Il lâche, avant de se retourner pour poser les mains sur les épaules de l'autre homme et le détailler, longuement. Enfin, un sourire se dessiner sur le visage d'Aden, un sourire qui se veut rassurant, un sourire qui a juste l'air inquiet, finalement.
* J'aimerai que tu ne te balades plus seul en ville. J'ai peur pour toi.
Peur qu'il lui échappe, bien sûr, mais ce n'était pas tout, et il espérait qu'Altaïr puisse sentir ça, rien que dans la façon dont il serrait ses épaules.
* Je préfère que tu restes près de moi, tu comprends ?
Ft. Aden
C’est Aden qui rompt à nouveau ce mutisme inquiet. Mon nom dans sa bouche sonne comme un ordre autant qu’un son affectueux. Ses mains sont élégantes et pourtant, elles ont l’effet escompté. Les tremblements cessent progressivement alors que je relève les yeux sur lui, cherchant à comprendre, frissonnant de la pluie trempant encore mes vêtements. Aden a ce sourire qui me fait détourner les yeux. Ce sourire qui réveille un sentiment inexplicable contre mes côtes. L’embarras embrase son visage et je hoche la tête, docile, laissant le poids de son emprise sur moi me consoler. Laissant la vérité de ces mots se frayer leur chemin dans ma tête.
Je suis important pour Aden. Peu importe mon rôle, peu importe les raisons.
Une expiration lente et j’ose enfin laissez l’or rencontrer les gouffres infinis de son regard. J’aimerai lui dire combien ces mots comptent. Combien je voudrais pouvoir rester à ses côtés à chaque instant. Mais tout ce que je sais lui dire, c’est ça.
Une promesse. Une simple promesse que j’ose sceller en agrippant sa main sur mon épaule. J’aimerai pouvoir lui prouver ma loyauté. J’aimerai pouvoir lui faire comprendre. Cet homme m’a sauvé d’un abysse innomé. Cet homme est devenu ma raison d’exister.
Pourquoi ce lien s’était ainsi forgé, je n’en savais rien. Comme un charme, la magie est trop réelle. Mais elle n’est pas douce, délicate et lumineuse. Elle est ces chaînes qui lient mes pieds et poings. Ces fers dont il est le seul à avoir la clé. Mais je me surprends chaque jour à avoir conscience d’une toute autre vérité. Je ne veux pas être libéré. Je veux être ce qui compte à ses yeux. Je veux être ce qu’il ne peut pas abandonner. Ce qui lui donnera le droit d’oublier sa peine et ses peurs, même un instant.
Mes doigts effleurent les siens, sa peau d’albâtre est étonnamment douce, et je ne réalise que trop tard que je n’ai pas détaché mon regard du sien. Que je me suis encore une fois noyé dans ses yeux. Que les mots m’échappent avant même que je ne puisse les comprendre. Mais rien ne pourrait me faire les regretter.
Il l'observe durant de longues secondes, il l'observe et son attitude se détend, de secondes en secondes. Altaïr est là, Aden. Il est là. Personne ne l'a pris, personne ne l'a volé. Il soupire finalement, un soupir tout bas, avant d'approcher pour le serrer contre lui, pour ramener Altaïr contre son cœur et le serrer tout contre lui.
* Tout cela, je sais que tu le ressens. Tu n'as pas besoin de le dire.
Aden ne sait jamais comment réagir, il n'a jamais été fort dans ... Tout ce qui est des sentiments, des émotions. Altaïr le pousse dans ses retranchements, là où il ne veut pas être. C'est sûrement pour ça qu'il réagit si fort à chacune de ses interventions, souvent mal.
* Tu m'es précieux, ne l'oublie pas.
Il murmure, tout bas contre lui, les yeux fermés, serrant le tissus gaugé l'eau des vêtements d'Altaïr.
* Je ne supporterai pas de te perdre à nouveau, tu sais...
Ft. Aden
Il me suffit de hocher la tête, d’enfouir mon visage contre son épaule, de ramener mes bras contre lui et enfin je peux agripper son dos. Enfin je peux réclamer en silence ce que toute cette nuit j’avais souhaité obtenir. La preuve tangible qu’il était bien là, réel et concret sous mes doigts. Que pour cette nuit encore, il n’avait pas disparu comme le reste de ma vie.
Son odeur est une bénédiction, et contre sa chaleur, je tremble sous ses mots. Avais-je seulement le droit de ressentir l’affection qu’il me porte ? Était-ce seulement juste de ma part d’aimer chaque jour un peu plus celui qui m’avait sauvé ?
Un murmure, aussi doux qu’une confession, soufflé contre sa gorge. Mon emprise est désespérée, et la peur d’être rejeté s’éveille malgré moi. Je voudrais être plus. J’aimerais pouvoir lui offrir la promesse éternelle de ma piété à son nom. Mais ses mots sont justes et vrais. Sa réalité est celle que je ne veux jamais perdre de vue.
Je déglutis et souffle tout bas, la honte pointant dans ma voix, conscient du spectacle que je donne de moi.
Un simple dilemme, un simple conflit. Faire le choix raisonnable, ou céder à ce besoin irrépressible. Mais j’ose enfin lever les yeux vers lui. Je cherche son regard, nos visages trop proches. Ça devrait être un affront, une erreur, une abomination. Nos souffles se mêlent, le mien tremblant, le sien brûlant, et je lui demande, comme un enfant qui croit à chaque mot d’un protecteur aux traits divins. J'effleure son visage du bout des doigts. Je l'aime comme on aime Dieu, sans réellement savoir. Sans questionner ni comprendre. J'aime Aden plus que tout au monde.
Rassure-moi. Redis-moi que je n’ai pas rêvé. Que ce monde n’existe pour moi que pour te protéger.
* Pas ce soir.
Un éclat traverse ses yeux, on dirait de la tristesse. L'une de ses mains trouve refuge contre la joue d'Altaïr et ses yeux plonge dans ceux de celui qu'il a nommé bras droit, quand il aurait pu l'appeler ami, confident ou plus. Il le détaille un long moment avant de venir déposer un baiser contre l'arrête du nez d'Altaïr. Là, comme ça, venant de nul part.
* Ce soir, je veux le passer avec toi, et mettre ça de côté. Je sais. Je sais à quel point je t'en demande beaucoup Altaïr, je sais que je te demande de renoncer à ta mémoire, à ton passé. Mais je tiens à toi.
Silence. Il ferme les yeux, est-ce que sa main tremble ? Difficile à dire.
* C'est réel.
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