Et cet homme ne fait rien pour décevoir les attentes qu’Arun n’avait jusque-là jamais eues.
La peau laiteuse se révèle à mesure qu’il défait le vêtement qu’il porte, et Arun mentirait s’il n’avouait pas avoir dévoré du regard chaque parcelle de cette chair qui lui était ainsi révélée. Leon a cette candeur sensuelle qui le fait chavirer. Il n’a aucun temps de battement avant de venir tirer le corps svelte contre lui, partageant sa chaleur avec lui. Caressant ses flancs nus, baisant un chemin le long de sa clavicule, cédant au fantasme de cette voix divine lui promettant monts et merveilles.
Arun relève les yeux pour croiser son regard, et l’intensité qu’il y lit pourrait le dévaster. Mais ce qu’il boit à ses lèvres est bien plus destructeur encore.
Dans un mouvement aussi vif qu’imprévu, le dos de Leon rencontre à nouveau les draps, l’auréole rubis s’étalant autour de lui brûlant une image séraphique dans le cœur d’Arun. Il ne veut pas perdre le contrôle. Il ne veut pas être cet homme. Mais cet instinct au fond de lui réclame de le satisfaire. Réclame d’être sien. Demande à ce que Leon répète ces mots et les grave dans l’âme d’Arun jusqu’à ce qu’il ne puisse plus jamais les y effacer.
Le mineur fond sur ses lèvres, vol son souffle, ses soupirs et ses mots. Il n’est pas violent, non, mais un sens d’urgence résonne dans le grondement possessif qui s’échappe de sa gorge. Dans la façon que ses mains où de tenir sa nuque avec ce brin d’autorité qu’on ne montre qu’à ceux qui donnent vie à ce qu’il y a de plus vrai et primal au fond de lui. Ses mains sur sa peau, ses lèvres parcourent sa gorge et viennent brûler leur chemin sur le canevas d’albâtre glacé. Et comme pour apaiser son amant, Arun glisse le bout de sa langue sur sa chair, prend à cet homme sa vertu, sa candeur et ses rêves.
Arun... C'est tout bas, un murmure, un secret, tes doigts accrochés à ses épaules, tu le laisses t'offrir tout ce qu'il a t'offrir, tu le laisse te couvrir de cadeaux, te chérir comme on chérit ceux qui comptent plus que tout. Et tu t'abandonne corps et âme, en attendant au moins autant de lui. Laisse moi t'appartenir, ce soir. Tes yeux cherchent les siens et ne les quittent plus lorsqu'ils les trouvent. Tu veux juste être sûr, être parfaitement certain de la sincérité qui l'emplit. Ce soir et ceux qui suivront, laisse moi n'être qu'à toi. Tu n'avais personne, l'angoisse revenait doucement, silencieuse, insidieuse. Tes doigts avaient retrouvé l'arrière de son crâne pour le caresser, le maintenir bouche contre peau, sans forcer. C'était plus une supplication. Laisse moi être à toi comme tu m'appartiens.
Son nom sonne pourtant comme la plus belle des plaintes contre les lèvres rougies de Leon. Il aurait pu baiser cette bouche jusqu’à en perdre son souffle. Jusqu’à se perdre lui-même. Mais rien de tout ça n’arrivera. Rien de tout ça n’est possible. Car quand ses yeux croisent ceux si clairs et innocents de l’autre homme, quand ses paroles filtrent dans le brouillard débilitant d’une passion qu’il n’avait jamais ressentie de la sorte. Oh, Arun. Qui pensais-tu être pour voler un ange aux cieux ?
Les paroles de Leon lui font l’effet d’une claque. La vérité, c’est que le seul danger ici c’est TOI Arun.
Comme brûlé… Non. Comme étant l’infâme diable qui brûlerait Leon jusqu’aux cendres, ses doigts se défont de sa peau, son regard se trouble et il ne réfléchit pas, il recule, recule jusqu’à quitter le cocon si rassurant qu’il avait profané. Il recule et le souffle vient à lui manquer. Il ne le mérite pas. Il ne mérite rien de tout ça. Il est un homme. Il est un époux. Il est…
Aucun mot ne parvient à franchir ses lèvres. La peur le rattrape, le tenaille, le renvoie là d’où il n’aurait jamais dû s’enfuir. Arun ne mérite pas la chaleur ou la lumière. Arun appartient aux mines. Appartient à la nuit. Appartient aux ombres. A Abysse.
Il déglutit, réalise son erreur, réalise le mal qu’il venait encore de laisser dans son sillage. Et dans lignes si claires de son visage, la détresse se lit avec plus de force qu’il ne l’a jamais ressentie. Un pas, deux, son dos rencontre le mur et l’instinct lui hurle de fuir. De fuir et de ne pas empirer sa cause. De protéger Leon. De protéger Leon et-
Sa voix cille, et dans la constriction spontanée de sa cage thoracique, l’horreur le rattrape. Non. Non il ne peut pas faire ça. Il est un époux. Il est un père.
Il est un mensonge.
Lorsque tu te redresse, doucement, lentement, les boucles rousses retrouvent leurs places sur tes hanches. Tu n'as pas remarqué à quels points tes mèches avaient bouclé, sans doute un effet de la pluie. Tu ne sais pas pourquoi c'est à ça que tu penses, lorsque tes pas te ramènent à lui, inlassablement, les fils carmin enroulés autour de ton index. Tu ignore d'où te viens cette sérénité, si elle est due à ce bourdonnement dans tes oreilles ou si c'est juste l'adrénaline qui te pousse à ne pas lâcher l'affaire, mais le sourire que tu affiche n'a rien d'humain, non. Aucun humain ne pourrait afficher une telle tristesse, Leon. Tes joues sont baignées de larmes, pourquoi n'avais-tu pas remarqué ? Tu tremble comme une feuille, vas-tu finir par enfin t'écrouler ? Me laisse pas... Incompréhensible, cette voix qui s'échappe de ta gorge et que tu peines même à reconnaître, comment peux-tu être si faible ? Comment a-t-il osé te briser si fort ? Comment fais-tu pour te tenir encore debout, pour le réclamer encore, après tout ça.
Les larmes ne viennent pas, cette fois-ci. Il n’y a que l’horreur viscérale de ses propres torts. Il n’y a que son cœur qui, dans son innocence si bien gardée, réalise trop tard qu’Arun n’aura jamais le droit d’aimer. Il veut le toucher. Veut essuyer ses larmes. Veut le chérir, le consoler, lui rappeler qu’Arun n’est rien. Qu’il n’est personne. Qu’il suffirait d’un mot pour qu’il disparaisse éternellement de sa vue.
Tout au fond de lui, il n’y a plus un bruit. Plus un bruit si ce n’est l’écho décharné d’une blessure à vif qu’il a asséné à Leon. Comment avait-il osé ? Qui pensait-il être pour faire ça ? Clarice avait eu raison. Abysse avait eu raison. Il n’a jamais rien eu de précieux, et lui, l’incapable et l’affable, avait voulu toucher les étoiles. Mais la pluie ne cessera pas. Du fond de la terre, le soleil ne brille pas. Et si sa vie devait être telle que la solitude devait être son chemin, il devait l’accepter. Arun ne mérite pas d’aimer, ne l’a jamais mérité. Ne connaîtra jamais ce sentiment. La romance est à ceux qui disposent d’un cœur. Lui n’est que de suie et d’acier.
Mais il a promis. Il a promis. Et tant qu’il respirera, jamais il ne le trahira.
Ses mains viennent saisir son visage en coupe, et lorsqu’il attire Leon à lui, il ne cherche pas son regard. Son menton appuyé contre la couronne de ses mèches enflammées, Arun l’étreint, le protège. Le protège du monde. Le protège de lui. Il est une promesse qu’il aurait dû faire sans sourciller. Arun aurait dû lui promettre de disparaître. Il aurait dû lui jurer de le laisser en sécurité.
Le seul danger ici, c’est TOI Arun.
Je ne veux pas des phrases que tu dis à tout le monde. Je ne veux pas de ça, Arun.
Je ne veux pas m’écraser à te supplier si tu n’es même pas capable de dire la vérité sur toi.
Ses doigts se referment sur Leon à l’instar de son cœur se refermant sur lui-même. Sa vérité n’est pas sienne. Son monde n’est qu’une illusion. Les formes et les couleurs ne lui appartiennent pas. Seul le danger subsiste. Seules les promesses existent.
Lorsqu’Arun soulève Leon, cette fois-ci, il n’y a plus aucune flamme de sa passion. Il n’y a pas de sourires, de contentement. Lorsqu’il allonge Leon sur le lit, il ne le laisse pas s’échapper. Il l’étreint contre lui, remonte les draps sur son corps glacé.
Leon avait demandé à s’endormir dans ses bras. Arun avait souhaité faire de Leon la raison de son aube.
Il pouvait leur offrir ça. Au moins une ultime fois.
Tu n'es pas bien à proprement parlé, mais tu es mieux. Bien mieux. Chaque seconde détend un peu ton corps, te pousse à souffler, à doucement laisser se calmer ton cœur dont le battement vrille tes oreilles et t'empêche d'attendre. Arun ne reviendra pas, après ça. Tu le sais. Tu le sais et tu n'as sûrement rien à perdre, finalement. Tu n'es qu'un enfant égoïste et seul. Tu ne le mérite pas. Tu ne mérite personne. C'est très bien ainsi, pour tout le monde. Tant pis si l'appartement est grand et morne, tant pis si les enfants ne rient aux éclats que dans les cours d'école. Tant pis si tout cela n'est qu'un rêve, si c'est un rêve c'est le tien. C'est mieux que rien.
Je t'aime Arun. C'est murmuré tout bas, un secret qui étreint ton cœur plus fort encore, quitte à le serrer tellement qu'il s'arrêtera de battre. Dans l'instant, c'est peut-être même tout ce que tu souhaite. Tu ne pourrais être plus heureux. Tu ne pourrais te sentir plus en sécurité que dans les bras d'un homme qui t'oubliera un jour. Excuse moi... Je ne voulais pas... Mais... Silence, tu soupire et ton front vient trouver naturellement la gorge du mineur, s'y lovant en suppliant qu'il ne te repousse pas. Ce soir, tu ne pourras pas le supporter. Tu ne pourras pas vivre avec ça. Je te dois toute la vérité... Même si ça fait mal.
Et il n’aurait jamais pu mieux la comprendre.
Arun connaît la peine d’être déçu. Mais il connaît encore plus celle de décevoir. Et la silhouette gracile entre ses bras est la preuve qu’il n’a jamais rien mérité de bon en ce monde. Les larmes qui trempent sa peau, elles sont son fardeau. Il voudrait apaiser Leon. Mais rien n’y ferait. Il en avait déjà trop fait. Tout ce qu’il lui restait à présent… Tout ce qu’il lui reste, c’est de tenir sa promesse.
Pourtant Leon semble s’agiter. Non pas pour se débattre ou le repousser, même si l’idée est si claire dans ses pensées qu’il se prépare à quitter les lieux sans indisposer davantage le bel ange qui jusque-là aurait pu sembler endormi. Mais rien ne s’est jamais passé comme il le souhaitait. Jamais rien.
Jamais rien si ce n’est ces mots murmurés au silence.
Il reste immobile, comme si les paroles de Leon ne l’avaient pas atteint. Mais le voilà déjà à s’excuser. A… A dire la vérité. Toute la vérité.
Et son cœur semble cesser de battre. Semble ne plus vouloir repartir. C’était donc ça… C’était donc ça, l’effet que ça faisait. Arun n’aurait jamais cru. N’aurait jamais pensé. N’aurait jamais voulu y croire. Ses bras se referment malgré tout plus étroitement autour de Leon. L’étreignent probablement à l’en blesser lorsqu’il enfouit son visage contre ses cheveux. Il voulait graver Leon dans sa chair. Graver ces mots au fer rouge contre son âme. Il voudrait… Il voudrait.
Il aurait pu supplier, ses mots auraient été les mêmes. Sa voix est brisée. Ses larmes trempent doucement les mèches aux couleurs d’une aube meilleure. Il veut ce rêve. Il veut cette issue de secours. Il veut croire. Il veut espérer. Il veut aimer. Au moins une fois dans sa vie. Au moins une fois dans sa vie, il voudrait que ces mots ne soient pas un mensonge. Il voudrait avoir le droit de choisir sans y être contraint. Il voudrait qu’il n’y ait jamais eu de compromis. Qu’il n’y ait jamais eu ce pacte du silence. Il voudrait oublier qu’il a toujours fait passer les autres avant lui-même. Juste une fois, il veut être insouciant et aimer de son propre gré. Aimer sans être blessé. Choisir Leon par-dessus un marché conclu dans le passé.
Ses doigts sur la peau d’albâtre de Leon tremblent. Et il ne faudra qu’un sanglot pour sceller sa peine. Un sanglot pour qu’il décide de ce choix aberrant aux yeux du monde.
Mais il a déjà trop donné. Déjà consenti à trop sans avoir jamais eu le droit de décider.
Il veut l’aimer. Il veut l’aimer et oublier.
Je t'aime. Je n'ai jamais aimé jusqu'à maintenant mais je le sais. C'est comme une évidence. Tu l'aimes avec force, presque désespérément. Bien sûr, ça pourrait s'évanouir, dès que l'épuisement aura raison de toi, mais tu veux y croire. Tu veux entretenir cette passion dévorante comme on veille sur une bougie en plein vent. Tant pis si ça ne rime à rien, si c'est voué à l'échec, c'est ton cœur qui parle, il en fera ce qu'il veut. Dis quelque chose... Ce n'est même pas suppliant, tout juste inquiet d'avoir cassé en lui quelque chose auquel tu ne voulais pas toucher, pas approcher. Arun semble prêt à donner tant, es-tu prêt à en faire autant ?
Mais Leon est plus encore. Toujours tellement plus. Devant l’or bouillonnant de ses iris, Arun se sent comme l’un des enfants dont le bel ange a la garde. Vulnérable, faible et fragile. Mais lui ne connaît pas la peur. Ne connaît pas le doute. Il aime sans retenue. Sans contrainte ou chaînes. Et dans ces mots, dans ces paroles, Arun ne trouve pas la réponse qu’il avait espérée. Ne trouve pas l’épiphanie d’une vie. Non. Il trouve l’intime conviction que la chaleur qui brûle dans ces yeux, il veut la chérir jusqu’à ce qu’il en perde le droit. Peut-être était-ce illusoire. Peut-être était-ce de sa faute. Il avait blessé Leon. L’avait fait pleurer trop de fois déjà. Mais Arun n’est pas sage, non.
Arun est seulement humain.
A cette supplique presque silencieuse, sa main vient chercher sa nuque. Ses doigts se perdent dans la lave incandescente de ses cheveux et il l’embrasse simplement. Chasse ses lèvres et les mots qu’ils ont prononcé. Il n’en demande pas plus. S’abreuve d’un simple contact. Tire le courage d’un homme qu’il s’était pourtant juré de protéger. Le monde est une telle ironie, Arun. Qui, un jour, aurait cru qu’il serait celui qui devrait être protégé.
Les mots sont insaisissables. Une promesse. Une erreur, peut-être. Une incertitude. Un vœu qu’il souhaite rendre réalité. Il veut l’aimer. Il veut être aimé. Il veut tout lui donner. Il veut tout lui donner mais…
Les baisers d'Arun sont comme des mauvais sorts aux allures de bénédictions. Tu ne trouves pas la force de les repousser, quand bien même ils enfoncent en toi de nouvelles aiguilles. Tu le laisserais t'embrasser mille fois s'il le désirait, tu le laisserais te brûler les ailes encore et encore, ça ne te dérangerait pas. Tu lui offrirais tout ce que tu as à offrir, et tant pis pour le reste. Tant pis pour le reste, puisque dans les bras d'Arun, le reste ne comptait pas.
Aime moi. Aime moi Arun. Au delà d'un ordre, c'est une simple supplication, quasiment silencieuse, étouffée par tes lèvres qui s'écrasent contre sa joue pour te faire taire, comme si tu avais conscience d'aller trop loin, de faire les quelques pas qui t’emmèneraient plus loin que le point de non retour. Parce que, si tu blessais cet homme, jamais plus tu ne pourrais te regarder dans un miroir. Jamais plus tu ne pourrais t'accorder la confiance d'aimer à nouveau. S'il te plait...
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