La peau halée de 1652 semble marquer un contraste poignant contre la pâleur de celle de 1004, pourtant, il ne recule pas. Etudie ses traits et repousse ses larmes du bout des doigts. Il le scrute longuement et caresse enfin sa joue, repousse ses cheveux, s’abreuve de cette beauté candide.
Comment en étaient-ils arrivés là ? Comment le monde avait-il fait en sorte que de parfait inconnu, cet Adonis aux cheveux de feux revienne hanter sa vie ? Est-ce que c’était finalement ça le destin dont 1004 n’avait cessé de parler ? Quelque chose qui rapprochait les êtres par la force des choses ? Comme deux aimant aux pôles opposés inexorablement forcés à graviter en direction l’un de l’autre. Etait-ce ici que se trouvait leur point de contact ? Il ne sait pas. Il ne sait vraiment pas. Il continue pourtant de jouer distraitement avec les cheveux du jeune homme, l’air presque pensif. Perdu.
Son sourire s’assombrit presque, il glisse sa seconde main contre la gorge de Leon, appuyant son front contre le sien. Ses belles mèches andrinoples sont humides, l’eau perlant sur ses boucles délicates. Un soupir et il appuie un baiser contre son front.
Ce qu’il n’ose cependant pas lui dire, c’est que toute chance qu’il pouvait y trouver ne semblait qu’apporter son équivalent de danger dans la vie de 1004. Et cette simple idée lui brisait le cœur.
Ne me lâche pas. Tu réfléchiras à tout ça plus tard, tu as encore quelques secondes, quelques minutes, quelques instants pour profiter de ce moment, de ce sentiment agréable de ne pas être seul. Tu soupires. Tu ne sais pas vraiment ce qu'Arun attend de toi, ou ce qui l'a vraiment amené à venir à toi, à réclamer ta présence de cette façon. Mais tu lui offres, et ce soir tu es probablement prêt à beaucoup offrir, trop. Trop pour ne pas regretter. Enfin, tu gardes la tête sur les épaules.
J'aurais tellement aimé pouvoir t'offrir plus qu'un dessin... Te voilà en train de faire directement référence à la petite bouille boudeuse de 3793. Oh tu aurais aimé être assez fou pour aller la chercher dans sa chambre, ce soir, et la ramener à son père, la ramener à ses parents. Tu en aurais été si fier, finalement.
Un soupir et il finit enfin par se reculer, contemplant l’état du jeune homme, l’ombre d’un sourire étirant ses lèvres. Ils ne devaient pas avoir fière allure, tous les deux, trempés de la sorte. Il repousse une goutte de pluie roulant le long de la joue de Leon, l’air presque mélancolique et lui souffle doucement.
Pourtant il ne se met pas immédiatement en mouvement, cherchant sans le réaliser à préserver le contact entre eux deux. Traquant la chaleur de la peau d’opale sous ses doigts. Une question lui vient alors en tête. Pourquoi être passé par Lovebees ? Pourquoi avoir prétendu être une femme ? Uniquement pour le retrouver ? D’une certaine façon, cet élément ne faisait que trop peu de sens. 1652 n’est pas une créature curieuse par nature. Pourtant il s’étonne à vouloir en s’avoir plus. A vouloir comprendre les intentions de cet ange que la vie avait mis sur son chemin.
Ses doigts glissent jusqu’à la main de l’enseignant. Elle est froide et il n’a que des regrets de l’avoir obligé à quitter la chaleur de ses draps pour venir ainsi s’exposer aux intempéries et au danger. Peut-être pourrait-il lui offrir un semblant de chaleur. Leurs doigts de lient et il le tire prudemment des ombres. Le monde semble terne et noir. Mais à ses côtés, un rayon de soleil persiste malgré l’épaisseur des nuages.
Arun te tire doucement, pour t’entraîner vers les bâtiments, vers chez toi. Tu imagine que c'est un hasard s'il prend la bonne direction, et à la vérité tu ne te poses même pas vraiment la question. Peut-être que la direction à prendre est aussi évidente que tout le reste de votre toute aussi étrange relation. Tu te laisse faire, prenant tout de même un peu la direction des opérations et serre tes doigts glacés contre ceux du mineur. Tu l'avais tiré de son lit, Leon. Tu l'avais tiré d'un confort agréable, tu l'avais sorti de là, il devait habiter avec sa femme, dans un petit appartement, et même s'il semblait s'évertuer à dire qu'il préférait être seul, d'une certaine façon, tu ne pouvais t'empêcher de penser que si, bien sûr que si, ils s'aimaient. Ils étaient heureux. C'était important. Tu n'avais absolument rien à faire là dedans. Pourquoi est-ce que tu continuais ? Par égoïsme, sans doute. Toi aussi, tu voulais compter, ne serait-ce qu'un petit peu, ne serait-ce que dans les yeux d'une personne. Tu ne demandais pas énormément, mais tu demandais ce que tu n'avais pas. J'habite là. Tu désigne le bâtiment à peine plus loin, et fronce les sourcils lorsque vous vous approchez. Monte. Ce n'est pas vraiment une question, mais tu estime qu'il était prêt à venir dans l'appartement, s'il te raccompagne, et tu ouvre la porte sans te poser de questions. Si les caméras vous ont notés jusqu'ici, nul doute que le destin est déjà scellé, alors pourquoi se priver d'un peu plus de ça ? Tu imagine. Tu es peut-être juste fou, trop fatigué pour réfléchir.
Pourtant le voilà ici, dans l’appartement d’un homme qu’il connait trop peu pour pouvoir l’appeler ami. Qu’il estime trop pour ne pas vouloir lui donner ce qu’il désirera en échange de ce qu’il lui a déjà offert. Était-ce par désir ou par besoin. Par envie ou pas obligation ? Tout ce dont 1652 est certain c’est que la fragrance légère de 1004 semble comme ravivée par la pluie. Mais c’est suffisant. Suffisant pour faire tiquer cet interrupteur qu’il n’aurait probablement jamais dû toucher. Suffisant pour réveiller ce sens d’une angoisse dont il ne parviendra probablement plus à se défaire.
L’appartement de Leon est aussi simple que n’importe quel autre. Et pourtant, quelque chose donne au lieu un sentiment de chaleur qui n’existe pas dans cet endroit qu’il partage lui-même avec 8027. La porte se referme derrière eux et il relâche la main de Leon après l’avoir incité à ne pas avancer davantage dans l’appartement.
Lorsque leurs regards se croisent, 1652 souffle, approchant d’un pas de plus, baissant le visage pour observer ce visage qu’il se surprenait à avoir appris par cœur. Il n’y a rien entre eux. Il ne devrait rien y avoir. Ses doigts caressent la peau froide de son visage avant de descendre jusqu’à sa gorge, effleurant à peine les lignes élégantes qui le composent. Repousse d’un mouvement lent la veste trempée. Cette étincelle de mélancolie au fond des yeux de 1652 ne devrait pas exister. Il ne devrait pas y penser. Pas y céder.
Il devait y avoir quelque chose. Il devait y avoir une raison. Une logique. Ses doigts sont tendres lorsqu’ils repoussent ses cheveux humides, épousent la ligne de sa pommette. Il ne devrait pas se pencher sur lui. Il ne devrait pas. Mais la nuit est froide, et sa main libre se glisse sans qu’il n’y pense sur la taille légèrement marquée d’un homme dont il ne connaît rien à part la douceur et l’odeur enivrante.
Il devrait reculer. Il devrait retourner auprès de 8027. Ses pieds nus sont trempés sur le sol de la pièce, mais le froid ne l’atteint pas. Pas lorsqu’il se noie dans l’or en fusion qui coule dans le regard de cet ange-là.
Il est sincère, tu le sais. C'est stupide, tu penses, si tu réfléchis comme ça n'importe qui pourra te mentir à loisir, ce n'est pas parce que tu l'as là, devant les yeux, tout près - trop près - qu'il est forcément sincère, qu'il dit forcément tout ce qu'il a sur le cœur. Tu semble oublier comment il agissait lorsqu'Amaury était là. Tout te semble si flou ce soir, tu prend toujours ce que tu préfères, tant pis pour le reste. Si c'est ce qu'il dit, alors tu préfères t'y noyer, au moins un peu, parce que c'est agréable. Et tant pis pour la chute, si elle est douloureuse, elle n'en sera que pire.
Tout ce que je veux Arun... Tu te crispe un peu, tu te promets de ne pas céder aux larmes encore une fois, bon sang Leon, tu es un adulte, tu sais te comporter comme un adulte. Tu fronces les sourcils, serre un peu les poings, essaye de ne pas penser à son bras qui enserre ta taille, essaye de ne pas te perdre contre le contact de sa main sur ta peau, essaye de ne pas te noyer dans ses yeux, mais c'est dur. C'est dur, et pas seulement parce que c'est nouveau, récent, mais parce que jusqu'ici, il n'a rien fait de mal. Tout le reste du monde ne fait qu'agir par intérêt ; éliminer les autres pour avoir une chance de briller et ... Arun n'est pas comme ça. Arun n'est pas comme tout ce que tu as connu jusqu'ici. Alors... Tu ne sais pas. Tu devrais lui rendre la pareille, lui dire toute la vérité.
Ce serait facile ;
Ce que je veux, c'est compter pour quelqu'un, ne pas être seul à nouveau.
Il comprendrait, tu sais, tu lui as déjà dis, sans qu'il sache que c'était toi, cette détresse il l'a déjà vu, tu es sûr qu'il la voit encore en te regardant là, en te détaillant, en te dévisageant. Ta détresse, elle te colle à la peau.
C'est toi. Tu murmures, sans ciller, les mâchoires crispé, comme quelqu'un à qui on forcerait de faire dire la vérité, toute la vérité. C'est ce que tu as murmuré, après avoir convenu avec ton esprit que ce serait exactement ce que tu ne dirais jamais.
Tu penses que ton cœur va s'arrêter de battre, maintenant.
Mais il ne le fait pas.
En fait, rien ne se passe. Rien ne te tombe sur la tête, la pluie ne redouble pas, le vent ne s'ajoute pas, la foudre ne tombe pas sur ta tête. C'est comme si rien de grave ne venait de se passer.
Mais ce soir les nuages cachent le reste du monde et la pluie étouffera le silence de la nuit. Ce soir, 1652 ne se reprend pas quand encore une fois, il se surprend à vouloir essuyer les larmes qui menacent de monter aux yeux du jeune homme au creux de ses bras.
1652 lui avait donné son nom, lui avait révélé le plus lourd de sa réalité. Il n’avait rien à dissimuler, et pourtant… Pourtant Leon ne semblait pas vouloir revenir sur son choix. Ne semblait pas prêt à reculer. Les doigts du mineur caressent distraitement la cambrure élégante du bas du dos de l’enseignant. Le tissu est sec, mais ses doigts encore trempés laissent certainement leur marque sur le tissu léger.
1004 n’en demande pas tant. 1004 demande quelque chose que 1652 a déjà donné sans compter. Et rien dans le souffle de la voix de Leon ne donne à Arun le désir de ne pas lui céder.
Les doigts basanés se perdent dans le vermeil délicat de ses cheveux humides. Effleurent sa nuque et l’attirent encore un peu plus à lui. Sous le tambourinement encore léger de la pluie, les lèvres d’Arun rencontrent celles de Leon avec une douceur mesurée. Un contact simple, une pression qu’il ne lui impose pas. S’il voulait fuir, il ne le retiendrait pas.
Un baiser se meut en un second. Puis d’un geste assuré ne trahissant aucun doute de sa part, il quémande délicatement l’accès à cette bouche qu’il devinait sucrée. Est-ce qu’il commettait une erreur ? Evidemment. Mais rien ne le ferait arrêter si ce n’était l’homme lui-même. Il ne force pourtant rien. Laisse les lippes rougies à peine humides et parcourt sa joue, sa gorge et souffle contre son oreille.
Tu n'as pas cherché à fuir, le contact a beau être décevant, il est agréable. Peut-être que ce que tu attends est juste impossible, que ça n'existe pas. Peut-être que le temps passé à rêver de cette situation l'a rendue finalement un peu fade. Oui, le problème vient sûrement de toi. Mais tu ne veux pas te défiler, non, tu ne peux pas te le permettre, pas alors que tu te promets de rester fort, de lui montrer que tu es capable d'être fort. Après tout, tu as promis de protéger sa fille. Oh bon sang Leon, dans quelle pente glissante et plus que douteuse t'es-tu donc lancé ? Idiot.
Tu ne le pense pas. C'est murmuré, gentiment, tendrement. Tu ne veux pas avoir l'air froid, tu ne veux pas le repousser méchamment, tu ne veux même pas le repousser, mais tu n'arrives pas à le croire. Non, ce soir tu veux être égoïste. Son contact t'arrache un frisson, un petit soupir à peine dissimulé, tu fermes les yeux quelques instants, profite de ces contacts nouveaux. Je ne veux pas des phrases que tu dis à tout le monde. Je ne veux pas de ça, Arun. Tu vas le vexer, c'est sûr. Mais après l'avoir vu agir avec Amaury, comment être sûr, finalement ?
Le destin n’existe pas.
D’un geste pourtant toujours aussi tendre, il repousse encore une mèche rousse et incline légèrement la tête sur le côté. Lequel d’eux deux se faisait le plus d’illusions, il n’aurait su le dire. Mais lutter n’était pas réellement dans la liste de ses prédispositions. Parce qu’il n’a pas la force de se confronter à 8027. Pas plus qu’il ne l’a d’essayer de convaincre 1004.
Comment lui en vouloir. Si la réputation de 1652 ne le précédait pas, il n’en était pas moins ce que d’autres pourraient qualifier de coureur. Pour tout ce qu’un geste consenti pouvait lui apporter un sens de sérénité, il n’était pas un homme à voler aux autres ce qu’ils ne souhaitaient pas partager. Encore moins pour lui. Encore moins comme ça.
Des mots qui pourraient sonner blessés, mais il n’en est rien. Sa main s’échappe du toucher léger contre la joue de l’enseignant et il expire avant de reculer d’un pas, observant patiemment les lieux. Il n’avait pas lieu d’être ici. Il n’avait pas lieu de retourner dans cet appartement qu’il partageait avec 8027. Un sourire aux angles cassés se trace sur sa figure, et rien ne luit dans son regard.
Il pourrait se rattraper sur autre chose, sûrement. Il pourrait sinon essayer de compenser ses erreurs. De rattraper le mal déjà fait. Il se passe une main sur la nuque, l’air perdu pour quelques instants. Ce n’était pas une solution. En réalité, 1652 commence à douter qu’une solution puisse exister. Il aurait presque le goût de dire la vérité. De partager le fond de sa pensée. D’avouer l’inavouable. Mais il persiste simplement d’un sourire ; gardant le silence.
Le mineur détourne enfin le visage et s’apprête à prendre la porte, sans demander son reste. Mais la main sur la clenche, il prononce simplement, presque rhétorique.
Attends. Ce n'est pas de la lassitude, mais ça ressemble à quelque chose comme ça, ça n'a rien de passionnel, comme tu t'approches pour le retenir finalement, comme si toutes ces secondes silencieuses avaient actuellement servi à quelque chose. Tes pas hésitants se font plus sûrs lorsque tu approches, tes doigts trouvent les siens, l'empêchent de partir, pas tout de suite, pas maintenant. Tu soupires, t'excuses d'un regard. Tu ne pleures pas, plus maintenant, il faut croire qu'en quelques heures, quelques minutes peut-être, quelques jours à apprendre à connaître Arun, tu as grandi. Beaucoup grandi. Et peut-être qu'autrefois ça se serait fait, mais aujourd'hui, tu n'en sais rien. Tu ne sais plus rien. Tu m'as appris beaucoup plus en quelques instants que tout ce que j'ai appris durant ma vie. Tu t'es montré égoïste, odieux, peut-être. Oh bon sang tu réalises alors, mais le mal est déjà fait. Je sais que ça ne vaut pas grand chose venant d'un presque inconnu, mais je ne veux pas te perdre, Arun. Tes mains serrent, trop fort, bien sûr tu ne blesseras pas le mineur, mais tout de même c'est plus que tu as l'habitude de faire, même lorsque la colère et la frustration t'emplissent, parfois le soir. Tu as été et tu es plus que tout ce que je pouvais espérer. Il t'a ouvert les yeux, bien sûr, mais...
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