Ft. Vengeance
Mais les choses se passent rarement comme on l’entend, n’est-ce pas ? Parce qu’Arun n’avait jamais pris un élément considérable en considération. Que pour tout ce que son épouse serait furieuse d’apprendre son choix, d’autres pourraient également lui présenter les reproches les plus dignes de ce nom. C’était sûrement de sa faute, lui qui n’avait pas saisi les signes. Lui qui n’avait pas été suffisamment clairvoyant pour comprendre les paroles de Dante.
Pour comprendre que Dante était devenu bien plus.
Les mines lui semblent pourtant terriblement rassurantes, lorsqu’il y pénètre, utilisant l’une de ces galeries dérobées qui mènent aux secteurs inondés. L’endroit n’est pas sûr, instable, ne sera jamais ce genre de lieu où trouver refuge puisse être sûr. Mais c’est pourtant là qu’il l’a vu. Là qu’ils se sont retrouvés, comme une providence.
Il y a une pointe de soulagement. Quelque chose de doux, quelque chose qu’il avait toujours adressé au plus jeune. Quelque chose qui n’était probablement plus justifié, aujourd’hui.
Car aujourd’hui Vengeance rencontre Déchu.
Il errait sans fin dans les mines, là où il se sentait le mieux. Il fuyait Nora, parce qu'il avait honte, parce qu'il n'avait pas été assez. Assez bien, assez fort. Et sa main lui faisait un mal de chien ! Enfin, ce qu'il restait de sa main, évidemment. Qui aurait pu croire un seul instant qu'un triste estropié pouvait mener le clan Vengeance ? Pourquoi tous ces gens se sont sacrifiés pour cette cause qu'il n'était pas près à défendre ? Pourquoi tous ces gens mettaient leur vie entre ses mains ? Sa main ? Il était pathétique. Nora allait peut-être mourir par sa faute.
Il aperçoit Arun à quelques pas, apparaissant soudainement entre les roches, et il résiste à l'envie de venir pleurer dans ses bras comme il le faisait lorsqu'il était jeune. Pleurer, se confier. Être faible. Lui qui lui avait dit de ne pas s'inquiéter ! Visiblement, désormais Arun était bien plus capable que lui. Désormais, Arun était un vagabond.
Il voit bien, il le sent. Arun est du côté d'Abysse, maintenant. Instinctivement, Vengeance se méfie.
Ft. Vengeance
Alors qu’il hoche la tête pour seule réponse, la vérité est évidente sur ses traits. L’inquiétude n’est plus ce poids qui courbe son dos. Le poids d’un fardeau qu’il ne supportait plus lui a été ôté. Mais il voit, malgré tout. Voit que pour tout ce que l’obscurité lui a offert le repos, Dante semble vivre d’une tourmente inexplicable. Lorsqu’il incline à peine la tête à sa remarque sur leurs statuts de vagabonds, Arun ne réalise pas, non. Parce qu’il n’a pas appris ces mots de la bouche de quiconque. Et sa surprise est candide, parce qu’il ne pense pas devoir faire preuve de fermeté face à lui. Parce que Vengeance reste Dante à ses yeux, peu importe ses objectifs et son dessein.
Combien de temps avait-il arpenté les souterrains, guidé par ceux du clan Abysse, scrutant les visages, cherchant la chevelure claire de l’autre homme ? Mais rien n’y avait fait. Et s’il n’avait pas ressenti un sens de déception, il n’en était pas moins curieux.
Arun approche, il n’est pas armé, et s’il avait dû s’inquiéter, il n’en savait visiblement rien. Car Dante était en peine. Car aider Dante était écrit dans ses sens comme aimer Leon l’était. Arrivé près de lui, d’un pas à peine les séparant, il effleure son bras et lui offre un sourire rassurant, resserrant calmement ses doigts sur son avant-bras, là où sa main existe encore, et souffle, grand frère empli de sollicitude.
Il le pense. Il le pense de tout son cœur, c’est évident. Il veut simplement le rassurer. Était-ce déjà trop en demander ?
Est-ce qu'ils vont se disputer ? Dante tremble comme un enfant effrayé. Il ne veut pas se disputer avec Arun. Pas avec lui, qui signifie tellement, qui est si précieux. Mais que se passerait-il si Arun se met en travers de son but ? Pourquoi y penser maintenant ? Il plisse les yeux. Ses pupilles sont énormes, deux grands gouffres noirs.
Il tend même la main, pour attraper celle d'Arun.
Peut-être que c'est le condamner à une mort certaine, peut-être qu'il va le tuer comme tout les autres. Mais là où Vengeance s'inquiète de la survie des membres de son clan, Dante est juste égoïste - Dante veut Arun à ses côtés, n'en déplaise à Abysse, n'en déplaise à Nora.
Ft. Vengeance
La remarque sur Abysse glisse sur l’ancien mineur non sans qu’il la retienne. Un différend, il en était certain. Mais il ne pouvait juger de la véracité des propos de Dante, pas à cet instant, pas lorsqu’il semblait si désorienté, si perdu, si incertain. Alors Arun referme ses doigts sur ceux de Dante, ne comprend pas, ne voit pas, qu’à cet instant précis, leurs deux histoires veulent à tout jamais se déchirer.
Il a pourtant ce comportement si naturel de s’approcher, de chercher ses yeux, de glisser sa main libre contre la joue pâle et de capter son regard, la glace contre un océan d’un autre nom, leurs pupilles deux tâches d’encre dans cette obscurité partielle. Rassurant, voilà ce qu’il est, cet homme qui ne voit pas la noirceur du cœur de son frère de cœur.
Ils étaient désormais dans le même camp. Oui. C’est ce qu’Arun se dit, ignorant encore que toutes ces choses n’étaient pas aussi simples. Que si dans le monde réel, la dualité opposant le Conseil aux vagabonds, les choses n’était pas aussi manichéennes. Que pour tout ce qu’Arun croit qu’ils pourront trouver le salut, il vient seulement d’effleurer de son cœur le goût d’une vengeance qu’il ne comprendra que trop tardivement.
C’est sensible, fragile, presque. Avouer ici, dans ce lieu qui les a vu grandir et mourir, qu’il ne voulait plus le perdre, était la vérité la plus tendre qu’il pouvait lui offrir. Tout ça ne pouvait être éphémère, et ce mirage ne verrait pas de fin. Pas lorsque les lèvres d’Arun effleurent le front de Dante, se voulant protecteur, ce qu’il avait toujours été.
Si naïf, Arun. Si naïf de croire qu’à ce moment encore, vous n’êtes qu’Arun et Dante. D’oublier que peut-être, dans ce monde, il était devenu le second de tout ce que Dante abhorre.
Mais peut-il seulement encore l’appeler ainsi ?
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