Ft. 1004
Les rues nocturnes sont bien vides. La nuit est trop avancée. Une erreur de calcul ? Non, Arun a simplement toujours plus aimé les nuits claires. Peut-être que ça lui rappelle cette fois où sous la pluie, ils avaient échangé un baiser. Peut-être que c’est simplement parce qu’aujourd’hui, pour la première fois depuis toute une vie, il a le droit d’errer dans les rues à ne regarder que les étoiles. Oh, son attention naturelle à éviter les caméras est toujours là, mais si d’aventure, il devait être aperçu, il n’a plus la même peur au ventre. C’est sûrement pour ça qu’Arun semblait si détendu… L’air de la liberté ? Non.
C’était plutôt de pouvoir enfin tenir sa promesse, dignement.
Nerveux ? Peut-être un peu, par la force des choses. Les jours avaient filé sans un mot échangé. Il avait pourtant pris cette habitude qui n’avait jamais été sienne avant ça. Le réflexe presque irraisonné d’écrire à cet homme par besoin, non. Par nécessité. Parce qu’il y avait des choses que son cœur ne pouvait simplement plus contrôler. Oh, Arun n’avait même pas le souhait de pouvoir garder tout ça sous contrôle, non. Il espérait seulement qu’il n’aurait pas pensé qu’il avait failli. Qu’il n’aurait pas pris son silence pour un changement de cœur de sa part, alors qu’il était désormais prêt à tout lui donner, sans concession.
Se glisser dans le bâtiment est aussi aisé qu’il en avait le souvenir. Rien n’avait changé si ce n’était lui. Comme si les ombres étaient devenues siennes. Comme s’il sentait encore le froid rassurant des doigts d’Abysse au creux de sa paume. Il n’a peur de rien. De rien si ce n’est d’un rejet. De lire la peine dans les yeux aimés. Les étages sont gravis sans le moindre bruit. Il n’y a plus rien pour l’éloigner de son objectif. Plus rien pour stopper cette quête indécente du bonheur qui s’était ouverte à lui.
Devant cette porte, il prend une longue inspiration, recentre ses idées, calme ses pensées. Sur Arun, rien ne semble différent, si ce n’est peut-être cette simple égratignure persistant sur sa joue – cadeau de bienvenue d’un Chouchou top excité qui l’avait allègrement griffé de l’un de ses bracelets –.
Un coup, puis deux et trois. Suffisamment fort pour couper la quiétude de la nuit. Et quelque part, il l’espérait, suffisants pour pouvoir le réunir avec l’être de ses rêves. Il voulait seulement le voir, le sentir, le serrer contre lui. Et peut-être, peut-être… Peut-être cette fois pourrait-il enfin l’embrasser sans le moindre remords. Lui offrir tout ce qu’il pourrait désirer. Lui le premier si tel en est son souhait.
Lorsque tu ouvres la porte, en grand, n'ayant peur de rien, tu te retrouves simplement éblouit par les lumières criardes du couloir, contrastant à t'en faire mal avec l'obscurité dans laquelle baignait l'appartement, toutes fenêtres ouvertes, il y faisait presque froid. Tu avais l'air d'un spectre, comme ça. Ta main était machinalement venue se poser sur tes yeux pour les protéger, les refermant, avant de chercher longuement à discerner la silhouette sur le pas de ta porte. Mais tu l'avais reconnu à son parfum, finalement. Et, inévitablement...
Ce n'est pas toi. C'est un rêve. C'est un rêve, tu ne peux pas être là. Tu te mets à murmurer, machinalement, mâchant tes mots, comme en pleine crise d'angoisse. Arun ne peut pas être revenu, pas maintenant, pas pour toi. Ce n'est pas possible. Pourquoi tout ce silence. Pourquoi. Non. Tu dois simplement faire un énième cauchemar, lorsque tu t'habitueras à la lumière, tu le verras taché de sang ou de tu-ne-sais-pas-quoi.
Ft. 1004
Il ne dit rien d’abord. Le serre seulement là, au creux de ses bras, dans cet étau qu’il ne souhaite jamais plus relâcher. Il enfouit son visage contre sa gorge, contre ses cheveux, embrasse sa gorge et inspire profondément. Il est là. Leon est là. En sécurité, au creux de ses bras. Leon n’est pas un rêve, et Leon est à lui. Bien à lui. Juste à lui.
Chaque jour, chaque heure, chaque seconde. Il se souvient des derniers mots échangés. Du dernier baiser volé. De la lueur si délicieuse du miel dans le regard sulfureux de l’homme qu’il désire faire sien plus qu’il n’a souhaité aucune autre chose dans son existence.
Parce qu’il voulait le choyer, lui donner tout ce qu’il était. Lui offrir tout ce qu’il avait. Et s’il n’était plus rien ni personne, si n’était plus qu’une ombre dansant dans la paume d’Abysse, il était au moins libre. Libre d’être avec Leon. Libre d’être à Leon.
Il n’en aurait plus la force. Il n’en avait plus l’obligation. Il s’était défait de ses chaînes. Et désormais, il n’y avait plus que ce fil rouge entre eux. Ce fil rouge qu’il protégerait de tout son être. Leon avait eu raison depuis le début.
C’était le destin.
Ne me laisse pas. Ne me laisse plus. Tu supplies mais tu sembles trop épuisé pour avoir la force de pleurer, pour avoir la force de t'agiter réellement. Finalement, tu as sans doute trop pleuré ces derniers temps, tu as sans doute versé jusqu'à ta dernière larme. Si Arun n'était pas venu, qu'est-ce que ça signifiait, au juste ? Je t'aime, je t'aime Arun... Ce n'est pas un secret, même si c'est susurré à son intention comme s'il en s'agissait. Tu t'accroches à lui et supplie intérieurement pour qu'il comprenne à quelle point sa présence est vitale, à quel point tu ne peux tout simplement pas faire sans Arun. Même si tu l'as fait jusqu'ici, tu ne veux plus être l'ombre de toi-même à nouveau, pas maintenant que tu lui as offert ton éclat.
Je ne suis rien sans toi. Silence, tu réalises que ce n'est pas la question, que tout ne doit pas toujours tourner autour de toi. Espèce d'égoïste. Est-ce que tout va bien, qu'est-ce qui t'es arrivé ? Au fond de toi, tu sais déjà. Tu devines sans qu'il n'ait à prononcer le moindre mot. Tu sais parce que ça coule de source, comme une évidence muette que plus rien n'est pareil, que si Arun est toujours celui que tu as connu, ce n'est plus vraiment 1652.
Ft. 1004
Un soupir, du soulagement, pur et simple, alors que ses doigts l’agrippent avec force. Non, il ne le blesse pas, jamais. Jamais il ne pourrait. Il ne peut plus, de toute façon, pas vrai ? Il inspire à nouveau son odeur et il se recule, juste assez pour capter son regard, pour appuyer son front contre le sien et enfin caresser ses joues, repousser ses cheveux, y perdre ses doigts. Arun peut enfin perdre ses yeux dans ceux de l’être aimé et le sourire qui étire doucement ses lèvres est plus sincère qu’il ne l’a jamais été. Parce qu’il ne porte plus le poids de cette vie. Parce qu’il a retrouvé sa liberté.
Peut-être n’était-ce pas le moment. Ils auraient d’autres occasions de se parler, de laisser les mots se perdre entre leurs deux souffles. Mais les yeux du vagabond s’égarent un bref instant contre les lèvres de Leon et il murmure, relevant ses yeux clairs sur les siens.
Cette nuit et probablement beaucoup d’autres.
Reste autant que tu le voudras, Arun, tu es chez toi. Tu murmures, tu n'as pas honte, pas honte d'accueillir un homme marié, un père même. Quel idiot. Quel idiot tu fais à briser des ménages de la sorte. Quel imbécile. Tu t'en voudras plus tard, peut-être, lorsque le temps passera et que tu réaliseras. Sans doute que tu comprendras le jour où tu ne seras plus une distraction assez efficace. Remarque. Ce que tu vois dans ses yeux te rassure. Il ne te considère pas comme tel, non. Il ne te voit pas comme ça. Arun est différent, Arun est spécial, Arun est précieux. Arun est ton trésor, et tu comptes bien le garder, aussi longtemps que tu le pourras, tu comptes bien le rendre heureux, faire en sorte qu'il se sente aussi vivant que tu l'es lorsqu'il est près de toi.
Je ne compte fuir nul part ailleurs que dans tes bras. Un sourire complice, un silence, tu détournes les yeux avant de chercher un peu tes mots, et finalement te revoilà qui plante à nouveau ton regard dans le sien. Dis moi juste si tu as des problèmes. Je veux t'aider, autant que je le pourrais.
Ft. 1004
Il n’est pas cet homme. Il n’est plus cet homme. Arun n’a plus d’accroche matérielle. Ce n’est plus lui, cet homme qui pensait que le bonheur se cultivait au creux d’un silence infini, à tenter de fuir et faire fuir ceux qu’il aimait. Ce n’est pas une réalité. Fuir n’est pas la solution. Il le savait désormais. Abysse le lui avait appris.
Les doigts d’Arun sont d’une délicatesse infinie. Comme si avoir appris la douleur lui avait révélé qu’il n’avait pas suffisamment pris soin de ce qui lui était cher. Comme si la notion de douleur était inhérente à celle de satisfaction. Et lorsque les mots de Leon résonnent dans l’obscurité, il sait. Il sait que rien ne changera jamais cette brûlure insidieuse qui lui ravage le cœur.
Ses lèvres se posent enfin contre sa joue, embrassant sa peau chaude et pâle. Il pourrait se reculer mais il n’en fait rien, reste là, leurs visages en contact, comme s’il en avait manqué des années, toute sa vie, même.
Sa voix est grave, lourde de sens, mais ses bras se referment davantage autour de Leon, comme si cet aveu, cette vérité était la seule et unique raison de son retour. Parce qu’il s’est absout de ce mal qui le rongeait de l’intérieur. Parce qu’il est désormais son propre maître.
Un autre baiser, à la commissure de ses lèvres cette fois, et lorsque leurs regards se croisent, Arun sourit, quelque chose d’une tendresse jamais vue. Quelque chose qu’il n’avait pas au fond de lui, lorsque ses chaînes le rattrapaient encore, lacérant son âme, ferrant ses rêves.
|
|