Du vert. Du vert partout sous les lumières UV qui ensoleillaient les vergers. Du vert à perte de vue. Une couleur fraîche qui changeait bien à quoi les travailleurs du centre étaient habitués – et bien d’autres districts, évidemment. Même s’ils étaient à l’intérieur, les vergers semblaient apportés une certaine fraîcheur au reste de la ville, ne donnant qu’envie d’y rester, d’admirer ce qu’il y poussait. Les pénitents qui y travaillaient avaient pour la plupart une jolie teinte halée grâce à leur exposition à la lumière. Il était donc plus facile de déceler qui n’était pas du tout de ce district, qui faisait un peu tache blanche dans le décor.

C’était bien le cas de notre cher PDG de Lovebees Industry. Déjà pâle à la base, avec ses cheveux d’un blond vénitien, il était facile repérable dans les vergers – en plus d’être très grand, impossible de passer inaperçu. De toute façon, mais que faisait-il là ? Pourquoi ce membre du conseil faisait acte de présence dans le troisième district ? La raison était la même, et toute simple : pour le travail. Et il n’était pas seul. Avec lui, une petite équipe de tournage, se préparant à tourner une publicité pour promouvoir l’application Lovebees. Ce n’était pas la première fois qu’ils le faisaient, se déplaçant dans plusieurs districts pour capter des images intéressantes, parfois même des visages qui donnaient envie de trouver l’amour. De retour dans les vergers, ils étaient venus plusieurs fois, Ezra affectionnait bien le cadre visuel qu’était les vergers. Et ça restait une bonne excuse pour apprécier la fraîcheur des aliments qu’on y trouvait, n’est-ce pas ?

Aujourd’hui, le grand blond n’avait qu’enfilé une chemise blanche dont il avait replié les manches sur ses avant-bras. Une de ses rares journées où il ne portait pas de veste de travail, car sous les lumières UV la chaleur montait rapidement et franchement, il n’avait pas vraiment envie de suer plus qu’il ne le fallait. D’autant plus qu’en général, il devait retourner au siège de la compagnie pour quelques heures et terminer des rapports, il n’avait pas le temps pour une douche. Le set de tournage mis en place, il n’était là que pour superviser et s’assurer que tout le monde s’appliquait à la tâche. Et en cas de besoin, si des gardiens posaient des questions. Les yeux rivés sur son téléphone portable, il était concentré à répondre à des messages jusqu’à ce que les mots de l’un de ses producteurs ne lui parviennent jusqu’aux oreilles, celui-ci s’adressant à une jeune pénitente.

"Hey miss, vous pouvez vous poussez du cadre un moment!? On essaie d’filmez là!"

Sortant de sa torpeur, Ezra leva les yeux de son téléphone et se tourna vers ses employés ainsi que l’interpellée quelques mètres plus loin. Fermant son téléphone, le glissant dans sa poche, il enjamba lentement la distance entre eux, s’approchant de son équipe de tournage. Alors que le producteur grommelait contre la jeune fille, tel un vieux grincheux manquant de professionnalisme, il figea alors qu’Ezra posa ses yeux sur lui.

"Que se passe-t-il ?"
"Eh… c’est… rien m’sieur… c’est juste-… on avait une bonne image et la fille elle a—"
"N’oubliez pas que nous sommes sur leur lieu de travail. C’est à vous de faire de votre possible pour avoir une bonne image sans nuire à leurs tâches. "

Coupa d’un ton plus ferme, toujours neutre, le PDG. Il n’aimait pas les excuses, encore moins lorsqu’elles étaient stupides. Rougissant de gêne et d’une possible petite frustration, le monsieur retourna à son cadrage pour la production tandis qu’Ezra se tourna vers la jeune victime de cette mauvaise humeur. Posant ses yeux verts sur elle, il la dévisagea pendant un instant. Ses cheveux bruns courts, un peu fou, ses grands yeux, ses lunettes rondes… son visage lui était familier. Hm… Ah, mais il l’avait déjà croisé, non ?



@03-F-1856  

Si le producteur était mal à l’aise, Ezra ne l’était pas le moindre du monde. S’il n’était pas réputé pour avoir un mauvais caractère, c’était bien le fait qu’il faisait si haute stature en étant de marbre qui effrayait les autres. Si Ezra ne mordait pas, il était tout à fait capable de montrer les crocs. Et puis, s’il restait indifférent la plupart du temps au reste du monde, il n’appréciait néanmoins pas les indiscrétions de ce genre et les employés sous lui qui n’arrivaient pas à rester dans leur position. Encore moins lorsqu’ils devaient empiéter sur le travail des autres. Une sorte de défenseur sans expression ? On pouvait dire cela comme ça. Il en prendrait bien le mérite si seulement il avait la décence de le réaliser, mais comme ce n’était pas le cas... Disons qu’il préférait ne rien dire, encore une fois.

N’ayant pas perçu l’embarras de la jeune fille lors de son altercation avec son employé, le PDG l’avait dévisagé sans la moindre retenue. Peut-être par curiosité, surtout par réflexe de jauger les gens pendant une première fraction de secondes, sa seule micro réaction fut de hausser un sourcil de manière minime alors que celle-ci semblait le dévisager à son tour. Ah. Elle sembla le reconnaître également, mais son prénom ne lui revenait pas. Sans nul doute qu’ils ne s’étaient jamais présentés de toute façon, ce n’était pas Ezra qui faisait les premiers pas dans ce genre de circonstances. Il pouvait voir dans ses grands yeux les questions qui s’accumulaient, ces questions qui allaient devoir attendre. Un son auquel aucuns des deux, ni personnes, ne s’était attendu d’ailleurs. Tout se déclencha si vite soudainement, la situation changea de tournure comme une girouette dans une tempête. Alors qu’il allait s’excuser poliment et tourner les talons pour retourner à la raison de leur venu dans les vergers, il n’eut à peine le temps de faire un pas de côté qu’un son peu familier parvint à leurs oreilles.

Chklong.

Hm ? Un deuxième son pratiquement pareil se fit suivre, attirant le regard de la jeune fille vers le plafond. Fronçant les sourcils, Ezra fit de même, levant les yeux à son tour, plus lentement. S’il avait été plus alerte, il aurait compris que les boulons retenant la lampe UV au-dessus de la jeune fille n’avaient pas l’intention de tenir en place. Mais l’inévitable arriva, les derniers boulons sautèrent. Les yeux d’émeraudes s’écarquillèrent alors que tout se passa si vite. Ses iris passant de la lampe qui tombait à la jeune fille, figée comme une petite brebis devant les phares d’une voiture. Prête à subir ce sort cruel. Tous les muscles du corps d’Ezra se crispèrent alors qu’il plongea par réflexe, sans réfléchir, vers la jeune fille. À peine eu-t-il le temps de prendre une respiration qu’il l’attrapa par le bras de sa grande main et la tira avec force vers lui. À peine eu-t-il le temps de dire « ouf » que son souffle se coupa alors que la jeune fille percuta son torse sous l’impact de son mouvement. À peine eu-t-il le temps de réaliser que la grande lampe avait effleuré de justesse les cheveux de celle-ci qu’il passa son autre bras autour d’elle en se retournant pour faire figure de bouclier. À peine eu-t-il le temps de respirer qu’il trébucha sur un câble au sol alors qu’il tentait de s’éloigner, soulevant toujours la jeune fille entre ses bras, qu’il tomba au sol à la renverse.

Grimaçant légèrement sous l’impact, plus de surprise que de mal, il resta immobile un instant, la poussière se levant autour de la lampe maintenant au sol venant percuter leurs visages. Entrouvrant les yeux, c’est à ce moment seulement qu’il réalisa leur position. Qu’il réalisa qu’il était couché au sol, dans la terre. Que la jeune fille était étendue de tout son long contre lui. Qu’elle semblait si petite et si frêle comparé à sa composition. Que son visage était juste en face du sien. Qu’une légère lueur surprise se lisait dans les yeux verts, malgré l’impassibilité parfaite de son visage toujours présente. Que sa chemise blanche était forcément fichue après cette chute.

Ses employés s’approchèrent rapidement ainsi que quelques travailleurs dans le verger, regardant l’étendu des dégâts. Son assistante, bredouille et inquiète, trébucha dans ses mots "Ezra ! V-vous allez bien...!?" sans qu'il ne lui accorde la moindre réaction, restant aussi calme qu'un moine.

"Oui. Tout va bien."

Toujours en mode coussin de secours, ses yeux passèrent de la jeune fille à la grosse lampe en morceaux, laissant tomber un soupir en appuyant sa tête contre le sol. Le silence qui venait d’envahir la serre était lourd, si lourd, et ce n’était pas tout à fait à cause de l’incident. Mais plutôt à cause de la position dans laquelle les deux personnes étaient toujours, le grand blond ne semblant même pas s’en embarrasser, impassible comme jamais. À ces joues rougissantes de les voir ainsi, à ses murmures qui commençaient à s’élever tel de minuscules bourdonnements d’abeilles, Ezra fixa soudainement la maraîchère de ses yeux perçant, desserrant l’étreinte de ses bras autour d’elle maintenant que le danger était passé. De bons réflexes ? Certainement, à la plus grande surprise de tous. Une surprise surtout relative au fait qu’il avait délibérément réagit sans se poser de questions, prêt à risquer sa propre vie… jusqu’à même se salir royalement.  

Un destin lié un peu brutalement, effectivement. Ce n'était pas dans cette optique qu'il avait prévu de passer sa journée de travail, il ne pouvait pas le nier. Tout comme il n'avait pas prévu de tomber au sol, une jeune fille blottie contre lui, sous le regard de tous. Parce que si ça avait été le cas, il aurait revêtu un vêtement sombre pour éviter que les tâches ne soient trop apparentes, comme sur sa belle chemise blanche qui allait terminé chez le nettoyeur ou bien dans les poubelles. Oui, oui. C'était bien à quoi le grand blond était en train de penser, à ces saletés et cette chemise bousillée, sans vraiment porter attention au fait que la jeune maraîchère était toujours sur lui. Couchée, sur lui, même. Reprenant vie tout les deux, la jeune fille se mit à rougir brusquement, réalisant en premier leur position trèèèèès compromettante. Son regard passa de sa secrétaire à 1856, la fixant sans la moindre retenue, sans réaliser que ça n'allait rien aider à la situation.

Elle était si petite, si menue comparé à sa composition. Il avait l'impression d'avoir un poids-plume contre lui, limite comme un enfant. Chose qu'il se garda de dire, évidemment, ce n'était pas le moment ni le genre de compliment - en était-ce vraiment un ? Sa tête vers l'arrière, il sentit une légère douleur à l'arrière de celle-ci commençant à naître. Il allait sans doute avoir une belle bosse demain. Grimaçant à peine, ce fut la jeune fille qui se décida à bouger contre lui qui le ramena à la situation encore une fois. Pourquoi semblait-elle autant... Mal à l'aise ? Ils étaient tombés et avaient évités le pire, c'est tout, non ?  Balbutiant, son regard croisa les yeux verts d'Ezra qui n'aidait en rien pour alléger la situation ou la rendre un tant soi peu à l'aise.

"Ce n'est rien, ne t'en fais pas."

Sa voix grave, si profonde, si neutre. Et cette manière de la tutoyez sans pour autant être malpoli à vous donner des frissons. Il ne pensa pas une seconde que cela allait possiblement enchainer un nouveau malaise, se contentant de la rassurer du mieux qu'il ne le pouvait. À sa manière. Qui n'était peut-être pas la meilleure des façons, en fait, hum. Tais-toi, Ezra. Ou dit un truc mieux que ça. C'était la pensée de tout ceux qui étaient présents autour d'eux, sa secrétaire ayant presque envie de se foutre la main contre le visage de découragement. Un malaise qui s'amplifia en force alors que la jeune fille se décida à se redresser sur lui, finissant à califourchon sur son bassin en appuyant sur son torse pour se donner un coup de pouce. Ah, cette fois, Ezra comprit pourquoi tout les gens avaient l'air horriblement gênés, horrifiés ou même un peu pervers à cette image. Gardant le silence, les sourcils légèrement rehaussés, il attendit que celle-ci le libère de son poids plume pour se redresser enfin sur ses coudes. Parce qu'il était temps de mettre fin à ce moment étrange, quand même. Et que toutes ces joues rouge disparaissent enfin.  Judith debout, c'est à ce moment qu'elle décida de lui offrir un grand sourire et lui tendre la main pour le relever. Une main qu'il hésita à prendre, car il doutait qu'elle soit capable de le supporter en se relevant. Une petite main qu'il décida de pendre malgré tout, s'efforçant de ne pas mettre trop son poids sur ses épaules dans sa relève.

" Merci, Judith."

1856, Judith. La fille des vergers. Préférant de loin les prénoms à ces matricules si facile d'oublier, si insignifiants. Son regard promena un instant sur elle avant baisser les yeux, s'époussetant de la terre comme il le pouvait. Il n'était définitivement pas son élément, ça sautait aux yeux.

"J'en toucherai deux mots au responsable du district, il ne faudrait pas qu'une telle situation ne se reproduise."

Parlait-il de la lumière ? Ou de la chute peut-être, suivit par cette position un peu trop suggestive dans laquelle ils avaient été impliqués ? Les deux, peut-être, mais Ezra n'en rajouta pas. Il fit signe à son assistante de s'approcher, celle-ci s'exécutant aussitôt en lui tendant son téléphone qui avait volé dans la précipitation des évènements. Se concentrant directement sur celui-ci, ce fut comme si une fois de plus le grand Ezra venait d'ériger une barrière qui le séparait des autres, comme si tout était déjà loin derrière lui, sans demander son reste. Pourtant, il leva les yeux sur la jeune fille après quelques secondes un peu trop longues.

"Je suis Ezra, PDG de Lovebees. Enchanté."

Rangeant le portable dans sa poche arrière, il posa ses mains sur ses hanches, une mèche de ses cheveux blonds vénitien se libérant pour venir se glisser devant ses yeux.

"Je viens d'envoyer un message à ton supérieur pour qu'il te laisse souffler pour les deux prochaines heures en plus de ta pause déjeuner. Je l'ai mit au courant des circonstances. Il pourrait toujours venir me voir s'il n'est pas d'accord."

Chose qui n'arrivera sûrement pas, comment oserait-il de toute façon ? Face à cet homme si grand, costaud et de marbre, il n'y avait pas grand monde qui aimait se dresser face à lui. Et pourtant, encore une fois, cela n'avait rien à voir avec sa personne ne réalité, ce n'était que l'impression qu'il dégageait. Il pouvait s'en offusquer, mais au final ça l'arrangeait bien dans des situations comme celle-ci, pouvant également exercer son pouvoir de faire partie du conseil pour de bonnes raisons.


@03-F-1856