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* Je t'attendais.
Il tend les mains vers le mineur, des mains d'une paleur iréelle, comme si sa peau avait dérobé toute la luminosité absente du ciel.
Ft. Abysse
Pour la première fois depuis des semaines, le monde semble enfin retrouver un sens. Arun n’aurait pas cherché les fonds de sa propre pensée pour y trouver la raison. C’était… Comme chaque caresse offerte par Leon. Comme ce dernier baiser donné à Clarice. Comme cette accolade d’un oubli infini qu’il avait volée à Dante, dans un rêve éveillé. Comme le parfum des fleurs du onzième. Il quitte ce lieu comme on prend une première inspiration après avoir été sous l’eau. Pleine, bruyante et si vivante. Il ne peut de toute façon plus rien y faire. Il ne peut rien donner de plus. Il n’a plus rien à donner. Le monde survivra sans lui, sans peine. Ah, même mieux, s’il devait vraiment se l’accorder.
Le seul danger ici c’est toi Arun.
Ne t’en fais pas pour moi.
Ne me laisse pas…
Il pousse la porte de l’immeuble le regard bas, inspirant l’air de la nuit sans avoir encore réalisé que c’était bel et bien la dernière fois. Mais la voix d’un maître est toujours reconnue par la loyauté. Arun relève les yeux et dans son regard clair, la dévotion ne nécessite pas d’un instant de plus. Alors il avait réussi ? Il avait réussi. Et cette simple idée lui enlève un fardeau dont il avait oublié être le porteur.
Il lui sourit, d’un quelque chose de doux, de reconnaissant. Comme on retrouve un mentor après des années. Comme on esquisse sur ses traits la fierté innée d’avoir pu satisfaire. D’avoir été à la hauteur. Il approche d’un pas mesuré, mais sa hâte… il n’essaye même pas de la cacher lorsqu’il le rejoint. Il doit être idiot. Idiot de ne pas avoir le cœur de se protéger. D’avoir baissé chaque barrière, chaque rempart. Il n’a pas peur d’Abysse. Abysse l’avait retrouvé. Abysse avait retrouvé Arun.
Peut-être était-ce une erreur de sa part que d’oser étreindre même quelques courtes secondes l’emblème de sa salvation. Mais dans la ferveur de son emprise, il murmure, comme on promet, comme on jure sur sa propre vie. Comme on donne sa propre vie sans compter.
* Viens, Déchu, tu n'as plus d'autres maître que toi-même, désormais.
Sans doute qu'il avait besoin de ses chaînes pour vivre, sans doute qu'il avait besoin de la main d'Abysse pour le rassurer et le guider. Il semblait le savoir, l'avoir libéré ne lui donnait pas l'envie de vouloir l'abandonner..
Ft. Abysse
Déchu.
Il croise le regard d’Abysse et son sourire est calme, presque paisible, plus qu’il ne l’a été depuis des mois, probablement des années. L’absence d’objectif imminent, la réalité de ne plus être partie à un monde qui ne lui correspond pas, ne lui a jamais correspondu. Sa servitude s’en est finie, oui, mais quelque part, Arun sait qu’il n’a plus besoin de s’interroger sur son allégeance pour le ressentir. Comprendre sans la moindre forme ni les moindres mots qu’il appartenait à un tout bien plus grand qu’un simple district. Et dans un soupir, il laisse le poids du monde lui échapper. Ce n’est plus de sa responsabilité. Ce n’est plus son rôle.
C’était sûrement idiot. Sûrement imbécile de sa part de trouver un tel soulagement dans une chose qui pouvait tant effrayer les autres. Ses épaules se délient, comme naturellement et il lève les yeux au ciel. La pluie a cessé depuis des semaines, mais il semble capable de voir les astres au ciel pour la première fois.
Il ne sait pas de quoi demain était fait, ni même jusqu’où le bout de cette nuit le mènerait. Il souffle et l’idée l’effleure alors qu’il lance un regard vers l’immeuble qu’il vient de quitter – il n’a pas prévenu Clarice. N’a pas pu écrire un dernier message à Leon, si ce n’était le simple bonne nuit qu’il lui avait adressé il y a quelques heures. Il n’avait rien de ces choses qui pourraient le faire retrouver. Seule sa flasque, et peut-être, un peu d’espoir. Il tourne son regard vers les rubis incandescents de son nouveau roi et murmure.
Il le suivrait jusqu’au bout du monde.
- À la maison.
Lorsqu'il se mit à nouveau à avancer, c'était comme une machine implacable, un train d'enfer que personne n'aurait pu retenir. Lorsqu'il le fit entrer dans les souterrains, par l'accès le plus proche, c'était sans la moindre crainte d'être filmé, au contraire, il savait où se trouvaient les caméras, ça se sentait à sa façon de les regarder un instant l'air de dire tu es le prochain au milicien qui la regardait.
Ft. Abysse
Lorsqu’il glisse ses doigts entre ceux d’Abysse, il sait à quoi s’en tenir. Sait qu’il n’y a pas à attendre plus, ou moins. Ce n’est plus une question de chair, mais bien une question d’âme. Et si certains diraient à tort qu’il a vendu la sienne au Diable, Arun sait qu’il a pactisé avec tout ce dont il avait besoin. Que dans cet échange quasi silencieux, il n’avait rien à craindre. Que pour tout ce qu’Abysse lui donnerait, Arun le lui rendrait au centuple, à hauteur de ses capacités.
Et pour la première fois, le mot maison ne sonne pas comme un piège tendu par le Conseil pour l’étouffer. Pour la première fois, cette notion n’est pas une source d’anxiété. Il culpabilisera des jours, d’avoir laissé Clarice seule. De ne pas lui avoir donné tout ce qu’il avait de meilleur pour elle. Mais c’était trop tard. Ça avait sûrement été trop tard dès le début. Pas ici. Pas dans cette vie.
Alors peut-être était-ce le destin. Ou simplement la chance. Arun voulait croire que ses propres choix l’avaient mené ici. Là, dans ces rues quadrillées par la milice, à ne craindre aucune caméra, à ne plus craindre le moindre arrêté du Conseil. Ici et maintenant, il était devenu autre chose entièrement. Et si les souterrains qu’il n’avait fréquentés qu’à de rares occasions sont un environnement étouffant pour bon nombre d’entre eux, aujourd’hui, pour la première fois, aux côtés d’Abysse, il ressentirait presque le sentiment d’une appartenance sordide. Comme l’augure d’un nouveau jour. Si les pas d’Abysse sont d’un silence infini, Arun ne s’en interroge pas, ne se rend pas curieux d’où il le guide, il lui fait pleinement confiance.
Un sourire étire ses lèvres et il souffle, plus bas, plus doux.
Répond calmement Abysse, sans sourire, sans expression collée au visage. Il n'en a pas besoin et le sait, il sait ce qu'il adviendra d'eux, il sait le chemin à parcourir et ce qu'il ne sait pas, c'est où leurs pas les mèneront. Réussite, ou échec ? Il n'était personne pour le dkre, même si ici bas on le traitait comme un dieu, tantôt adulé tantôt craint, il s'en amusait. Il ne l'était pas, il ne le serait jamais.
* Ce n'est pas le temps qui manquera, tu verras.
Le temps, le temps... Abysse en avait à revendre, du temps. D'apparence du moins, lui qui donnait l'impression d'être immortel. Les souterrains étaient si sombres, mais ni l'un ni l'autre n'eurent de mal à se déplacer, ils avait l'habitude. C'était presque évident qu'à choisir, Abysse aurait pris un mineur.
Ft. Abysse
C’était pourtant trop rassurant. A trop bien connaître les mines, le monde aurait pu penser que ce genre d’appréhension finissait par quitter les mineurs. Mais bien sûr que non. Bien sûr que personne ne peut être si impunément insensible à la noirceur totale du monde. Que sans la moindre lumière, la folie guette même la plus robuste des âmes. Arun n’est pas épargné. Il n’est pas le meilleur à ce genre de petit jeu. Il est simplement excellent dans l’art d’oublier d’écouter ses propres inquiétudes et ses propres peurs. Mais depuis ce jour… Depuis Abysse…
Il pourrait sûrement poser mille et une questions. Il y avait tant de choses qui attisaient sa soif de savoir, de comprendre. Mais rien ne lui vient. Ce silence lui convient. La seule aura d’Abysse le tranquillise. Et si par inconscient, Arun resserre ses doigts sur ceux d’Abysse, ce n’est qu’un signe de sa foi la plus immuable. Il croit et sait. Il n’a pas besoin de plus pour l’instant. Il a été sauvé, et le monde ne pourrait désormais plus s’effondrer. Ç’aurait pu être alien, mais ce n’était qu’agréable. Et dans ces tunnels sans fin, il réalise que peu importe où il l’emmènera, il le suivra.
Et lorsque ses doigts se resserrent plus intimement sur ceux de l’autre homme… Peut-être qu’il a trouvé tout ce qu’il avait toujours cherché.
* Voici Déchu. Comme vous le savez, il nous rejoint aujourd'hui, et il veillera sur vous comme je le fais.
Il rebaisse ses bras, laisse le murmure se propager et repose ses yeux sur Déchu avant de lui sourire tendrement.
* Ils sont ta famille désormais. Tâche de les protéger.
Ft. Abysse
Dante aurait sûrement apprécié cet endroit. Onyx aussi. Il baisse les yeux et ramène son attention sur tous ces visages inconnus, s’arrêtant sur certains, croisant le regard curieux d’un homme aux cheveux de jais et au teint sombre. Mais Arun ne trouve aucune figure connue. Ne voit pas une seule figure connue, et peut-être est-il déçu, mais rien ne paraît sur son minois toujours aussi inexpressif. Même lorsque son regard suit sa main jointe à celle d’Abysse s’élevant en en une démonstration théâtrale de cette alliance étrange qui l’associait désormais à ce nouveau monde.
Mais pour toute fascination obscure existante en ce lieu, pour tous les regards qu’il attire sur lui, Arun n’adresse un sourire qu’à Abysse lorsque leurs regards se croisent à nouveau. Et c’est certainement de la faute d’Arun, oui, lorsqu’il ramène sa main libre contre la joue d’Abysse, effleure à peine sa peau du bout des doigts et souffle, sûr de lui, dans cette intensité qui n’est que sienne.
Ce n’était pas insolent, pas ses paroles familières, pas plus que la façon que ses doigts ont de toucher sa peau. L’azur perdu dans les rubis, il n’a pas besoin d’une promesse, pas besoin d’explications. Parce qu’Abysse est aussi sa famille désormais. Et que peu importe son matricule, son nom, son titre, il ne faillira jamais à ce rôle. Jamais il n’arrêtera de les protéger. De le protéger.
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