Il n’a pas travaillé aujourd’hui, non. Il s’est contenté de fixer le plafond, peut-être de dormir un peu. Mais a surtout réfléchi, car l’ennui le tourmente, l’accable des plus tristes pensées. Il lui montre les failles de son coeur, les souvenirs rongés de sa colère, la folie des images qui l’assaillent. 1009 ne se souvient pas bien, ou peut-être s’en souvient trop bien. Il ne sait pas ;
(et je ne sais pas non plus, Vanyce,
jusqu’où s’étendent tes vanités).
Jusqu’où se perdent tes pensées, vagabondes, sauvages, taillées dans le diamant brut, confectionnées dans le moule de cette société. Il n’y a pas d’autres modèles qui puissent se présenter à tes yeux.
Alors 1009 a fixé son plafond, se voilant la face, souriant à l’écrou de son existence. Il ne se rendra au travail que ce soir, car il y a eu un changement. Exceptionnellement, et pendant quelques jours, il devra sortir de nuit, surveiller les rues. Il n’a pas l’habitude de la nuit, alors sans doute aura-t-il peur du noir.

La porte claque contre le casier d’à côté. Il n’a pas bien géré sa force. Un regard autour de lui, personne ne semble avoir fait attention. Il espère ne pas avoir dérangé. Un haussement d’épaules, il se contente d’attrape son uniforme. D’abord il se déshabille, se cachant sans doute un peu ;
(il n’apprécie pas les regards qui se posent sur son corps ;
n’apprécie pas même son propre regard ;
sent ses propres jugements qui lui ronge la peau, le torture de frissons). Et rapidement, il enfile la veste qui lui donne toujours trop chaud, le pantalon de sécurité. Ses grandes chaussures, qu’il lace rapidement. Le voilà déjà qui part dans les rues du District 5, les mains gantées ;
(d’un fer qu’il ne veut pas).

Il déambule dans la rue, seul.
Il serait une proie de choix, pour toi, roi de l’Abandon.
Ou peut-être seras-tu une proie sur laquelle les mains du bourreau s’abattront. Lui, ne se laissera pas faire ; ne succombera pas à tes charmes, quels qu’ils soient, et ce, même si ton visage trouve grâce sous ses yeux ambrés, sous la marque de ses enfers.
Il ne veut pas, n’espère pas te rencontrer ; 1009 ne veut pas se battre ;
(vois la fatigue qui transparaît dans ses yeux). Il ne veut pas se faire bourreau de ton âme, ne veut pas t’envoyer au bannissement (à la mort).  

Alors il avance, dans la rue, dans le silence des vergers au loin, alors qu’une légère brise vient souffler au creux de son être, que te voir sera inévitable.


 

Le silence de tes pas vient se mêler à celui de la nuit. Et 1009 n’a pas fait attention, il a l’âme perdue dans les méandres de la noirceur ; l’âme perdue dans le brouhaha de son esprit qui ne cessera jamais. Une mélodie entêtante de laquelle il ne peut plus se détacher (un écho lointain, que lui rappelle les tourments qui résonnent). Il se craque les doigts, d’un automatisme qu’il ne se défait pas alors que doucement, il de vient ta proie, ta cible.
Quelques instants ;
(pour une éternité).
1009 marche sans faire attention à toi, au silence que tu portes sur ton dos, au poids de tes péchés, être qui se complaît dans la liberté. Lui ne la connaît pas ;
(ne la comprend pas et ne la rencontrera sans doute jamais, pense-t-il). Il ne voit pas tes mouvements qui se glissent dans la nuit noire, qui se délient à la lumière des lampadaires. C’est la surprise qui l’attend au coin de la rue, tandis que ta main vient s’abattre sur lui. Peut-être ses yeux se voilent-ils d’une colère teintée de sang, alors qu’il se retourne et te fait face.

Topaze.
Vanyce ne connaît pas ce nom. Vanyce n’est rien d’autre que 1009. Son propre prénom n’évoque chez lui plus que de mauvais souvenirs, ne sont qu’un passé lointain duquel il se défait chaque jour, chaque instant un peu plus. Alors de son regard ambré, aux larmes d’or, il te fixe une seconde. Son visage marqué d’une éternité se ferme, ne dit pas un mot. Il n’en a même pas le temps, car ton bras le pousse déjà jusqu’au mur dans un geste violent.
La respiration coupée, son visage tire une grimace incontrôlable. Vois, Abandon, comme tu fais naître une réaction sur ce masque de marbre, habituellement si parfaitement contrôlé ;
(tandis que les émotions se déchaînent ;
dans un tourbillon brûlant).

1009 ne se laissera pas faire. Son coeur tendre sait pourtant se faire noir ; et même si ton visage saurait lui inspirer de la compassion, ses mains sont déjà prêtes à s’abattre ;
(peut-être pourrait-il se retenir de l’abîmer ?
sans doute y voit-il une quelconque beauté).
Ses gestes se font vifs, il est entraîné, à se battre face aux vagabonds. En serais-tu un, Abandon ? Ses yeux te fixent alors que rapidement il se dégage de ton emprise, donne un violent coup et recule de quelques pas. Ses mains sont fermées, prêtes à frapper et s’abattre une nouvelle fois, d’une violence dont il ne veut pas faire preuve ;
(si le monde semble avoir trouvé pour 1009 une place, lui n’est pas sûr d’avoir trouvé la sienne).
Et sa voix s’élève, froide et assurée.

— mains contre le mur. donnez moi votre numéro de matricule.

Il n’en a pas besoin, il s’en doute, que tu n’en as plus. Il se doute que tu n’es qu’un vagabond qui fuit dans les rues ;
un misérable à éliminer.
(un bug dans la matrice ;
un grain de sable dans l’ordre qu’il s’évertue à maintenir).




 

Ses sourcils se froncent un instant, minime ; une seconde qui ne verra pas même le jour. Il ne te croit pas. Il n’est pas convaincu ; 1009 n’acceptera pas ces justifications. Il se doute déjà que tu es un vagabond, que tu lui mens pour sauver ta peau. Il n’est pas dupe. Et pourtant, il en a presque envie de te laisser partir ;
(mais ses yeux se voilent de la colère ;
de toi, de vous, d’eux tous, qui sortent du système ;
il ne voit que le soucis de ta présence en cet instant).  

Abandon, tu n’as rien à faire ici. Que tu sois la douce rigidité de ce nom matriculé 11-M-1057, ou bien roi de la nuit, vagabond qui glisse entre les doigts, ta présence ici n’est pas requise. Ta première réaction n’a été que de le frapper ? Il ne te laissera pas t’échapper. Regarde ses yeux aux couleurs des blés, à l’ambroisie éternelle, qui se teintent d’une assurance ; qui sont prêts à t’interpeller, à mesure que son esprit connecte les différentes informations. Tu n’es même pas dans un quelconque uniforme, Abandon.
Tes mensonges ne sont que la naissance de ces conflits ; ta présence n’est qu’un problème à éliminer.

1009 n’a le temps de rien dire, que te voilà déjà qui le charme, qui tente de t’échapper. Une main qui se referme, un visage qui paraît soudainement plus doux, dans une doucereuse malice, une provocation qui pourrait étreindre son coeur, s’il n’était pas pris de ce conflit perpétuel qui l’anime ;
(qui fait battre son coeur indécis).
Sous la clarté des lumières, son visage se teinte d’une rougeur qu’il ne peut contrôler. Ses yeux s’agrandissent légèrement, se laissent attendrir par le compliment qui le déstabilise, juste une seconde, juste un instant. 1009 se tait, et son silence montre bien qu’il ne sait pas comment réagir, ne sait quoi dire. Ses poings restent pourtant fermés et d’un clignement, il se reprend.

— vous n’avez rien à faire ici. je me répète : les mains contre le mur.

La sienne se délie et se rend jusqu’à son talkie-walkie, l’attrapant rapidement. Il a appuie déjà sur un bouton et sa voix s’élève à nouveau, ne te lâchant pourtant pas une seule seconde du regard.

— individu suspect bloc 11, rue 7.

Il range son appareil et se rapproche à nouveau de toi, prêt à t’interpeller comme il le faut. Tout individu doit respect et obéissance aux autres, après tout. Il le sait, si tu ne te soumets pas à sa demande, il n’hésitera pas une seconde de plus à te frapper.

 

Il te fixe de ses mines d’or, de ses regards durs, te demandant d’agir comme il le demande. 1009 n’a pas peur ; n’aura pas peur, de devenir violent, et ce même si son coeur le pousse à ne pas l’être. Ses mains sont menées d’une habitude qu’il ne connaît que trop bien. Et tu le troubles, il doit bien l’avouer, à agir de cette façon. Il détourne le regard, gêné, tandis qu’il se rapproche de toi.
1009 n’est plus un enfant (peut ne l’a-t-il jamais été ?), et pourtant, il reste facile à troubler, son coeur est celui de ceux qui le laissent s’envoler ; son coeur est volatile, fragile, tendre au possible. Ne le brise pas, de tes charmes qu’il ne veut pas voir.
1009, Vanyce, (vanité), ne veut pas se laisser faire. Il le sait, que ses émotions ne sont que des débordements ;
que ses mains ne sont que des barreaux d’une cage dorée.

Il ne prend pas la peine de te répondre ;
(peut-être ne sait-il pas comment agir ;
ne sait pas comment répondre à ces avances qu’il ne maîtrise pas). 1009 ne veut pas devenir esclave, ne veut pas se laisser aller à tes mots serpentins, ceux des Rois (de l’abandon). Il attrape une de tes mains et la coince dans ton dos, d’une clef de bras qu’il veut douloureuse, afin de t’empêcher de bouger.

— stop.

Et il n’a jamais rien demandé ;
Vanyce n’a jamais demandé à ce que les souffrances de son monde tiennent entre ses mains, se laissent aller à glisser dans ses doigts. Il n’a jamais demandé à être autre chose, qu’une tempête cachée pas les temps mémoriaux ;
de ses sourires, ne naissent plus que les fleurs de pierre ;
de ses soupirs, vivent encore les fleurs d’oranger.
Il fixe ton corps qu’il ne veut pas voir, détourne les yeux ;
(ne supporte pas de voir ;
peut-être te laissera-t-il partir ?)

— non.

Et le voilà qui plaque violemment ton corps contre le mur, t’empêchant de bouger. Il te tient fermement. 1009 ne deviendra pas Vanyce, ne se laissera pas aller aux vanités de ton vagabondage ; ne laissera ni les contemplations, ni les rêveries s’en prendre à lui. Pris au piège des fils d’une société, il se déplaît de ton désordre. Et d’une main, il commence à te menotter, referme un anneau sur ton poignet pris dans son étreinte.

Fuis si tu le peux ;
de ta mort, il ne veut pas se tenir responsable ;
(ne souhaite pas se faire bourreau ;
pas aujourd’hui, pas ce soir ;
pas cette nuit).