Aux premières lueurs de la lune, il a pu constater la douleur perpétuelle de Vengeance et se sentir misérable face à la détresse de Violence. Détresse qui, si la jeune femme faisait de son mieux pour la dissimuler, sautait aux yeux de Tempérance qui n'était pas dupe, pas le moins du monde.

Mais ce qui le choquait, c'était son inutilité flagrante. Tempérance ne pouvait rien faire; au final, il n'aidait pas. Il en était bien incapable ! Il n'était pas celui qui savait guérir les hommes, il ne pouvait pas apaiser la douleur qui assaillait Vengeance et qui rendait son esprit fou et son corps faible. Oh, il se doutait bien que le chef de clan pouvait faire preuve de force, il avait bien entendu appris ce qu'il s'était passé au cinquième district. Mais la douleur était là et elle altérait le jugement pourtant bien précieux de l'autre homme.

Alors il était parti. Sans demander son reste, en adressant quelques mots de soutien à Violence qu'il ne tarderait pas à revoir de toutes façons. Et maintenant il errait dans le dixième district, à la recherche de déchets qui pourraient connaître une seconde vie entre ses doigts habiles. Bien que cette nuit-là, il ne donne bien moins de coeur à l'ouvrage que d'ordinaire. Il se contentait de fouiller, sans rien trouver qui aurait pu lui rendre le sourire, malheureusement.

Ce fut alors qu'il retournait se terrer dans un coin des souterrains qu'il rencontra Altaïr. Tempérance évitait soigneusement certaines caméras de surveillance, encore bien actives, dont il connaissait la localisation grâce à quelques autres vagabonds (il pensait à Pomme, notamment, qui n'avait ni peur du danger ni peur de se faire repérer, visiblement). Il n'avait pas remarqué l'autre silhouette, et sursauta quand on le héla.

Alors bien sûr, il ne s'appelait pas la personne. Cela aurait pu être n'importe qui, ça aurait même pu être un membre de la milice. Mais Tempérance se tourna, curieux, et adressa un sourire affable à l'inconnu, la tête légèrement penchée sur le côté.

Oh, bonsoir !

L'homme aux longs cheveux rouges ne lui faisait pas peur, son visage lui était même étrangement familier - mais ces derniers temps, tout le monde lui paraissait familier.

Ne vous inquiétez pas ! J'ai de quoi me protéger au cas où. Faites attention à vous aussi, surtout. Vous cherchiez quelqu'un ?

Il a l'air triste, cet homme inconnu. Aussi triste que celui qu'il a rencontré aux confins des souterrains, l'autre nuit.

Je suis désolé de ne pas être celui que vous vouliez trouver. Est-ce que ça va aller pour rentrer ?

Tempérance est plutôt enjoué, contre toute attente. Il se sent bien, et l'air qui agite doucement ses cheveux ivoires et les longues, longues mèches de l'inconnu. Quelle élégante chevelure, d'ailleurs ! Il lui semble bien n'avoir jamais vu de cheveux aussi beaux. Leur couleur l'hypnotise un peu, lui rappelant les iris perçants d'Abysse, qui l'ont toujours fasciné. Tempérance aime le rouge comme peu d'autre couleur. Il aimerait simplement que le rouge sang cesse d'être versé et que le rouge des yeux d'Abysse brille d'un éclat plus joyeux. Tempérance ne pouvait qu'espérer, car il ne pourrait rien y faire.

Son attention est immédiatement piquée quand l'inconnu commence à parler d'un disparu. Les disparus, il les connaît bien - surtout ceux que le système recherche. Sa curiosité s'embrase immédiatement, il penche la tête, intrigué. Disparu, alors ?

Je vous aurais bien accompagné, mais ce serait peut-être un peu dangereux pour moi.

Il sourit en retour au pénitent, il n'est pas une menace non plus. Il n'a pas envie. Et il préfère largement se défendre plutôt qu'attaquer en premier. Tempérance observe la photo que lui montre l'autre homme, bien content de pouvoir savoir qui a disparu. Et c'est un visage familier qui se révèle à lui : l'homme du clan d'Abysse, celui qui était au Conseil. Pas étonnant qu'ils le recherchent, s'il a disparu. Mais la dernière fois qu'il l'a vu, le garçon aux cheveux d'océan n'allait pas si bien.

Je l'ai croisé dans les souterrains, oui. Il répond sans égard, il suppose que si le disparu voulait vraiment disparaître, le Conseil ne le retrouverait jamais. On a un peu discuté. C'est avec lui que vous m'avez confondu ?

Vraiment, qu'est-ce que sa chevelure est belle. Et comme ses yeux brillent d'une jolie lueur dorée ! Tempérance se retrouve à observer pensivement le jeune homme en face de lui, un peu admiratif ! Lui, sa peau halée prend des teintes grisâtres à force de s'immerger dans l'eau, et il est griffé de la tête aux pieds, et ses yeux d'un violet rouge se retrouvent souvent comparé aux orbes sanglantes d'Abysse, et ses cheveux sont sales et gris. Devant lui, l'homme est magnifique, il respire la vie et une richesse propre au Conseil - c'est la conclusion que dessine maladroitement Tempérance. Peut-être que ce n'est pas le moment d'être envieux : quelle ironie pour Tempérance que d'être envieux, presque jaloux !

Soudainement, l'homme mentionne Abysse - c'est l'énième fois que les yeux de Tempérance évoquent la peur que certains ressentent devant le chef de clan. Tempérance baisse les yeux, il aurait pu même les fermer si cela l'avait rassuré. Tempérance trouve ses yeux plus pourpres que rubis.

Ne vous en faites pas. Abysse est un homme bon, il ne viendra pas vous hanter parce que vous m'avez comparé à lui, loin de là !

Enfin, il suppose. Abysse a peut-être déjà fait un commentaire sur les yeux de Tempérance, mais si c'était le cas, alors Tempérance ne s'en souvient pas.

Je crois être heureux, oui !

Est-ce que Tempérance sait ce que c'est, d'être malheureux ? L'a-t-il été ? Est-ce qu'il est capable d'être malheureux sans s'en rendre compte ?

La vie est belle, en dessous. Dure, mais belle. Je suis libre, je crois bien. C'est dommage que vous faites partie du Conseil -enfin je crois ?-, sinon je vous aurais bien dit de venir avec moi !

C'était dommage, oui.