Derrière cette porte avait la chance de ne pas se faire défoncer, le PDG de la compagnie Lovebees ne se doutait pas une seule seconde du déroulement que sa soirée allait prendre. Lui qui croyait revivre cette routine de tous les jours était déjà installé sur son canapé, un dossier ouvert devant ses yeux, soufflant sur son thé chaud qu’il venait de préparer, une douce odeur de menthe poivré se glissait dans le salon en s’échappant de la vapeur de la tasse. Sa journée avait été relativement ordinaire comme beaucoup d’autre, peut-être un peu plus chargé niveau socialement – si l’on peut considérer des réunions interminables pour des choses sans importances auxquels Ezra n’eut que pour seule réaction un long silence suivit d’un ou deux mots, direct et ferme pour passer au prochain sujet, sans aucune hésitation dans ses décisions. Et puis sans oublier tous ses papiers à remplir, ses vérifications auprès des employés qui n’étaient pas au travail à l’heure, … bref. Il en avait l’habitude, ce n’était pas pour rien qu’il dirigeait cette compagnie. Et ce n’était ni étonnant qu’il fasse parti du conseil.

La journée s’était donc terminée sans plus, prenant la direction de la voiture qui l’attendait avec plusieurs dossiers bien caler sous son bras, prêt à se détendre chez lui, cuisiner, travailler encore un peu… C’était pourtant bien ce qu’il était en train de faire à l’instant. Petit naïf, il n’avait aucune idée que ses plans allaient tomber à l’eau d’ici les prochaines minutes. Levant la tasse chaude, la portant à ses lèvres pour souffler sur le doux liquide, son geste se suspendit un peu sec en entendant un poing entrer en contact avec sa porte. Déposant la tasse lentement, se préparant à se lever avec une petite curiosité intérieure, il eut à peine le temps de regarder sa montre et réalisé l’heure que le poing se fit entendre de nouveau. Plus insistant. Repoussant ses cheveux vers l’arrière, il s’approcha de la porte d’un pas lent mais assuré, plus étonné qu’inquiet que l’on cherche à entrer en contact avec lui à cette heure du soir. Il ouvrit la porte, son visage de marbre habituel, tombant nez à nez avec un visage qu’il connaissait bien.

"Celes ?"

Un froncement de sourcils presque imperceptible à la vue du conseiller. S’il ne s’attendait pas à recevoir de la visite à cette heure tardive, la simple pensée que ce soit cet homme avait encore moins effleurée son esprit. Détendant sa main sur la poignée, il entrouvrit un peu plus la porte de sa nonchalance habituelle, son regard s’accrochant au sien. Le sondant silencieusement.

"Il est tard."

Était-ce une once reproche ? Non, il était seulement un peu perplexe de le trouver à cette heure sur le seuil de sa porte, son ton restant neutre teinté d’un soupçon d’interrogation. Bien des gens se seraient sentis inconfortable d’être ainsi en face à face avec ce grand brun, de se faire transpercer de ses yeux si froids pourtant si brûlant de colère, d’impatience. De petits détails qui n’échappaient pas à Ezra… qui les chassaient de son esprit comme s’il soufflait sur une poussière.




@Celes  

Oh. Besoin de ses services ? Son regard dévia à peine sur la main contre la porte, sentant la pression qui la fit s’entrouvrir un peu plus. Le grand blond n’y fit aucune objection, se contentant de plisser imperceptiblement des yeux en dévisageant Celes. Il ne l’avait jamais vu ainsi. Désespéré. L’homme devant lui avait tout d’un cauchemar pour plusieurs. Froid, imposant, impulsif, brutal à ses moments. Mais ce n’était pas l’image qu’il dégageait entièrement pour Ezra. Ils avaient beaucoup de points communs malgré tout, et le respect était l’un d’entre eux. Le fait qu’il se pointait à cette heure chez lui, lui jetant son désespoir silencieux au visage, il savait que cela était beaucoup demandé de sa part pour ne pas tout briser sur son passage pour arriver à ses fins. De lui demander de l’aide. Pour articuler ces mots simples. S’il te plait, hm ?

Gardant le silence comme il savait si bien le faire, Ezra fit un pas sur le côté en ouvrant la porte entièrement, se contentant de lever la main vers l’intérieur de son appartement en guise d’invitation. Nul besoin de gaspiller sa salive, Celes comprendrait très bien le sens de ce geste, de cet accord silencieux de l’aider dans ses recherches. Refermant la porte derrière lui, sans le quitter des yeux, le blond laissa le responsable de quartier errer dans son salon à sa guise, sans aucune inquiétude. Il n’avait rien à cacher de toute façon, il pouvait retourner son appartement dans tous les sens, Ezra n’en ferait rien. Mais ce n’était pas le but de sa visite, non. C’était quelque chose de bien plus sérieux, de plus… insensé. Celes cherchait donc Lucian ?

Déposant son thé sur le comptoir de la cuisine, Ezra le laissa en plan dans le salon pour se rendre dans sa chambre. Farfouillant dans un sac qu’il apportait régulièrement avec lui du travail, il en sorti un ordinateur portable et un cartable noir verrouillé d’un code sur la reliure, un code que seul lui et son assistante connaissait. Le déverrouillant, il revint vers Celes et lui tendit le cartable, soutenant son regard sans la moindre hésitation, sans la moindre crainte. Sa voix perça enfin le silence, de ce ton neutre et nonchalant :

"Le registre des activités de Lovebees des derniers mois. Tu peux commencer par ça."

Dans ce registre, il y avait tous les utilisateurs, inscrits ou désinscrits ainsi que toutes leurs activités au courant des derniers mois, sans oublier la section des utilisateurs fantômes. Tandis qu’il laissait Celes feuilleter le précieux cartable, le blond prit place à la table en ouvrant son ordinateur de travail. Trouver un utilisateur n’était pas difficile, un idiot en serait capable. Mais trouver Lucian était un tout autre défi. Jamais celui-ci n’aurait pris la chance d’utiliser son véritable nom, son identité, du moins pas pour planifier de s’évanouir dans la nuit par la suite. Pas avec Celes à ses trousses. Le cartable ne serait sans doute pas suffisant, mais il fallait bien débuter à un point A pour se rendre au point B.

N’importe qui aurait eu cette sensation d’être écrasé par la présence, par l’énergie tendue que dégageait Celes présent dans cette pièce. À vrai dire, cela en était presque suffoquant, d’être avec cette bombe à retardement, sans savoir s’il allait éclater à la moindre seconde, bien des gens auraient succomber à cette pression et auraient quitter la pièce. Pour Ezra, c’était comme un bouclier se formait autour de lui, repoussant cette pression qui l’effleurait à peine tandis que le grand brun avait saisi le document et s’installait sur le canapé. Il y avait quelque chose de bien étrange dans cette scène, les deux assis dans son salon à une heure tardive, comme deux jeunes universitaires qui travaillent sur un projet de recherche hâtivement. Sauf qu’ils n’étaient pas des étudiants. Et cette recherche semblait de la plus haute importance pour le responsable de quartier.

Ezra n’avait pas remarqué le mince sourire en coin qui venait de s’étirer sur les lèvres de Celes. Celui du ‘presque’ soulagement. À vrai dire, même s’il l’avait vu, il n’aurait pas réagi plus qu’il ne le faut. Surpris, oui, il l’aurait été car rare étaient les fois où il voyait Celes aborder une expression autre qu’être sérieux ou possiblement tendu. C’était un peu la même chose pour lui, s’il éclatait de rire sans prévenir ou qu’un élan de bonne humeur lui fendrait le visage d’un large sourire, bien des gens resteraient surpris. Toutefois, Ezra leva la tête à ses mots, posant ses yeux d’émeraudes sur son collègue, presque surpris qu’il perce le silence aussi rapidement. L’écoutant attentivement, le blond ne flanchit pas une seconde sous les yeux froids de Celes, laissant un nouveau silence entre eux. Un moyen de tracker la localisation ? Les longues secondes s’écoulèrent alors qu’il daigna enfin répondre à sa requête :

"C’est possible."

Déposant l’ordinateur, le PDG de lovebees se releva du canapé lentement et d’un pas naturellement relaxe, retourna fouiller dans la pochette de ses documents pour y en sortir une petite boîte noire. Revenant vers le salon, il attrapa de nouveau son ordinateur pour venir y brancher la petite boîte sans ajouter un mot, se concentrant de nouveau sur ses recherches tel le travailleur acharné qu’il était. Il était peut-être à la tête de la compagnie et tous croyaient qu’il ne savait que gérer l’entreprise et ses employés, mais Ezra avait plus d’un tour dans sa poche. Loin d’être un imbécile, il savait craquer un ou deux codes, mais encore plus : il était surtout doué pour prévoir. Comme il avait bien pensé au fait d’intégrer une option pour que seul une quantité très limitée de ses employés connaissait l’accès, dont lui, pour s’infiltrer dans les téléphones via les caméras. Tout comme il avait prévu qu’un tracker serait également utile… au besoin. Aux situations d’urgences. À une situation comme celle-ci. Et cette petite boite noire détenait ce logiciel qui permettait non seulement d’agrandir le champ de localisation, mais de craquer le système et d’accéder à cette fonction.

"Cela ne devrait pas prendre plus que quelques minutes."

Déposant l’ordinateur sur la table pendant que la petite boîte jouait de sa magie, le blond croisa les bras sur son torse et tourna la tête vers Celes. Allaient-ils rester en silence jusqu’au bout de cette recherche ? Possible. Mais contre toute attente, celui-ci pencha légèrement la tête sur le côté tout en soutenant son regard sans broncher, son visage de marbre et rajouta d’un ton neutre :

"Tu veux boire quelque chose ?"

Autant être civilisé puisqu’ils allaient passer une partie de la soirée ensemble. Calme comme un moine, Ezra n’était pas le moindre du monde déstabilisé ou inquiet que la recherche n’aboutisse à rien au risque de déclencher la rage de son collègue. Il était confiant d’avoir des résultats. Il savait qu’il trouverait quelque chose. Son regard semblait seulement lui dire de se relaxer.

D’être patient. Encore un peu.