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Ft. Aden
Etouffer les idées noires dans les rapports est la seule solution que j’ai trouvée. Eviter cet appartement, éviter Amaury, me soustraire au regard trop sachant de Raven… Le monde tourne trop vite dans sa silencieuse inertie. Et si la pluie ne tombe plus, si le monde a déjà changé, je ne vois plus comment je pourrai réapprendre à être utile. Réapprendre à ne pas être indésirable. Alors je me contente du mieux que je peux faire. Echappe tant que je peux au regard d’Aden, reste dans son ombre, travaille et travaille jusqu’à en perdre le sens du temps, des besoins, des nécessités.
Depuis combien de temps est-ce que j’épluchais les rapports au sujet de la disparition de Lucian ? Je sais que ça ne relevait pas de ma responsabilité. Je sais qu’Aden n’en serait sûrement pas satisfait. Il avait été clair, c’était un dossier qu’il gérerait lui-même. Mais la peine du responsable du District 10 ne pouvait pas m’échapper. La réalité de la situation était presque trop… trop.
Est-ce qu’Aden m’aurait cherché avec autant d’intensité, si ça avait été moi ?
L’idée me brise le cœur. Je n’aurai jamais dû donner vie à cette interrogation. Pas plus que je n’aurai dû me donner le temps de réfléchir à la réponse, pourtant évidente.
Installé là, à ce bureau dispensable, les documents s’empilent sans que je n’y trouve sens, à en perdre doucement, inexorablement la tête. Depuis combien de temps ? Depuis combien de jours ? Depuis combien de vies ? Le visage enfoui entre mes mains, le désespoir semble un abîme rassurant. Une promesse que personne ne pourrait briser.
Les heures passent et la fatigue finira par venir à bout de lui. Endormi sur ses bras croisés, il n’y a pas d’autre signe de sa présence que la lumière allumée de son bureau. Son souffle paisible à cette heure trop avancée de la nuit. Tout le monde est parti depuis bien longtemps. Personne ne reste jamais délibérément au Conseil. Ici, il est en sécurité. Ici il ne fera de mal à personne.
Ici, il peut disparaître.
Aden murmure, à l'oreille d'Altaïr, tout bas, pour ne pas brusquer le jeune homme pendant son sommeil. Peut-être qu'il n'essaye même de le réveiller, c'est à se demander. Il n'est pas là depuis longtemps, mais voir Altaïr affaissé sur son bureau de la sorte l'avait suffisamment inquiété pour qu'il s'approche, qu'il approche et qu'il brise l'espèce de mur qu'Altaïr avait monté entre eux, sûrement pour se protéger de lui, comme d'autres avant lui. Il fallait croire que ces murs n'étaient pas suffisamment hauts. Aden passe sa main tendrement dans son dos, tout doucement, il cherche à le réveiller, sans la moindre violence.
* Réveille toi, je vais te ramener chez toi.
Il s'inquiétait de son état, c'était évident. Il n'avait jamais voulu qu'Altaïr s'épuise à la tâche pour lui.
Ft. Aden
Les mèches andrinoples coulent le long de mon dos, je n’ai aucune douleur d’avoir dormi ainsi, mais je cherche naturellement la chaleur de mon maître. Il est là, debout, près de moi, et mes pensées ne rattrapent pas encore ma raison. Je me redresse et viens presser naturellement mon visage contre son flanc, cherche son contact. [i]Il ronronne presque sous ses doigts. [i]Il est heureux de retrouver sa raison d’être. Mais Altaïr devrait savoir. Devrait se souvenir. Pourquoi est-ce qu’il n’avait pas ressenti cette chaleur depuis des jours… non, des semaines…
Ça ne semble pas le frapper immédiatement. Ils sont le genre à avoir les idées trouble au réveil. Comme si deux pensées mêlées devaient réapprendre à se séparer. Altaïr relève les yeux sur Aden. Rosario sourit.
Les mots lui ont à peine échappé que je fronce les sourcils, ne semblant pas reconnaître ma propre voix. L’or s’emplit de doute, et je cherche le regard aux couleurs si chaudes d’Aden. Mon cœur se serre et je réalise, doucement, que ce n’est pas ma place. Ne trouve pourtant pas la force de m’éloigner et baisse seulement les yeux, le cœur serré.
Il a peur. Ça s’entend dans sa voix.
* Qu'est-ce qui te fait si peur ?
Silence, il a promit de le protéger, en serait-il si incapable ? Altaïr le fuyait depuis des semaines, il y avait sûrement une raison à ça. Oh, il se doutait, il se doutait bien que son placement d'appartement vers Amaury n'avait sans doute rien apporté de bon, il le sentait dans tous les regards dérobés, il le sentait même à la façon dont Raven le regardait parfois. Il faisait tout de travers, mais il n'avait pas le choix.
* Laisse moi assez de place dans ta vie pour que je sois capable de te protéger.
Ft. Aden
Relever les yeux vers lui serait presque douloureux. Mais Altaïr est aussi doux qu’un agneau, même dans ce sourire écorché, même lorsqu’il avoue, la voix basse et fragile.
Mes doigts se perdent dans mes cheveux, ce même geste nerveux que Rosario partageait aussi, quand bien même ce dernier avait été bien meilleur à concilier ses peurs et son anxiété. Je ne le fixe pas, n’aie pas cette audace. Je veux juste lui dire la vérité. Il m’a demandé de ne jamais lui mentir. Je ne saurai pas faire sans. Aden est tout ce qui compte. Et s’il devait être chassé ou banni, il vivrait avec le poids de son sort, aussi courte soit sa vie après ça.
Comment une créature sans maître pouvait être survivre, lorsqu’elle avait été apprivoisée à répondre au doigt et à l’œil ? Il souffle doucement et se relève, lentement, là, si proche d’Aden, et pourtant si loin. Rosario n’est plus là, mais Altaïr semble penser par lui-même pour la première fois.
Mais mes épaules tremblent. Je force cette vérité hors de mes lèvres. Essaye de dissimuler le puits d’immondice que mes larmes ont rempli ce soir-là. Quand j’ai compris qu’Aden se forçait certainement. Qu’Aden faisait au mieux pour les autres, pas pour lui.
Ce qui se brise dans la voix d'Aden semble volatile, aussitôt que sa bouche se referme, cet éclat de détresse disparaît. Il n'a pas quitté Altaïr du regard et ne semble se décider à le faire. Altaïr veut le libérer. Altaïr veut le laisser. Altaïr veut vivre et Aden n'est pas sûr d'y parvenir. Des deux, si l'un était emprisonné, ce n'était pas lui, pas vrai ? Et pourtant ses mots résonnent d'une bien étrange façon au creux du coeur d'Aden. Il baisse les yeux, puis finit même par les clore tout simplement.
* Je comprends que tu as mal, lorsque tu es prêt de moi, Altaïr.
Il s'en voulait, ça sonnait comme une évidence. Mais était-il prêt à le laisser partir ? Rien de moins sûr.
* Mais c'est toi, c'est toi dont j'ai besoin. Pas d'un souvenir effacé par le temps.
Ft. Aden
L’interrogation m’échappe avant que je ne puisse réellement y réfléchir, et mes doigts se referment sur la veste d’Aden, là, contre son torse, comme pour le secouer, comme si je voulais, pour la première fois, qu’il entende, qu’il écoute. Qu’il voit de ses propres yeux que..
Les mots m’écorchent la gorge et il n’y a plus un brin de Rosario. Plus qu’Altaïr et l’incompréhension infernale qui le dévore. Je relève les yeux sur lui, cherche son visage, cherche ses yeux, et je perds mes moyens, agrippe un peu plus fort le tissu, comme pour le garder là. Comme pour m’assurer qu’il ne s’en irait pas.
Et la voilà, la peine dans mes yeux. Celle qui me dévore depuis des semaines. Mes yeux retombent sur mes mains qui froissent ses vêtements et je les retire, comme brûlé. Je n’ai pas le droit, pas le droit de… J’aplanis timidement les plis que j’ai fait et murmure tout bas, la voix nouée. Je lui dois au moins la vérité. Même s’il me rejette et décide de me faire disparaître.
Je cherche mes mots. Cherche à défendre mon cas comme j’aurai dû me défendre devant Jeremiah pour une plaidoirie. Mais les mots me manquent, mes épaules tremblent et je laisse juste mes mains là, contre lui, comme si ce seul contact pouvait me protéger on m’anéantir. Je chuchote, comme un secret, comme si aucune autre vérité ne pouvait compter.
* Qui. Qui t'a dit ça ?
Il aurait pu lui gronder après qu'il n'avait pas à écouter tous ce que ces abrutis du conseil pouvait dire, mais il avait une idée de qui avait pu lui faire du mal comme ça, et il se sentait déjà agacé par la situation. Il aurait dû s'en douter, il aurait tellement dû s'en douter, mais d'un autre côté, il préférait encore vivre dans l'illusion douce que tout allait bien. Que tout se passerait bien.
* Ne crois pas ce que les autres ont à te dire. Écoute moi, Altaïr. Je te veux à mes côtés, tous les jours. Je n'ai aucune intention de t'abandonner, et je ne t'en veux pas, pour quoi que ce soit. Tu dois reprendre tes marques, et c'est normal, c'est tout aussi normal que tu ais besoin d'espace pour grandir et fleurir à nouveau. Mais jamais, écoute moi, jamais je ne te laisserai, jamais je ne t'abandonnerai.
Et ça ressemble à s'y méprendre à une promesse lorsque ses doigts sur ceux d'Altaïr se lient un peu aux siens.
Ft. Aden
Pourtant, je ne réponds pas, pas instantanément. Je sais le mal que je peux causer. Je sais tous les dommages que mes mots pourront engendrer. Et peut-être le voit-il dans mon regard fuyant. Peut-être entend-il cet appel silencieux qui lui demande de ne pas me laisser. De ne pas se débarrasser de moi. De ne pas me rejeter.
Mes yeux sont ancrés dans les siens, et chaque parole me fait frissonner. Mon maître est encore à mes côtés. Il ne m’a pas remplacé. J’ai encore de la valeur à ses yeux. J’ai encore ma place contre son flanc, contre sa peau, là où le monde ne pourra jamais m’atteindre. Je resserre timidement mes doigts sur les siens, me rapproche de lui et je sais. Je sais qu’il n’aimera pas mes paroles. Je sais qu’il m’en voudra peut-être. Mais quand je viens contre lui, que je pose mon front contre son épaule, demandant silencieusement sa protection, je murmure à peine.
C’était pourtant le propre de ce mal qui me ronge. Cette insécurité constante. Cette peur de ne pas être suffisant. De ne pas être à la hauteur.
Je pouvais me briser. Je pouvais me briser entre les mains d’Aden. Et je le ferai délibérément, si je peux le protéger. Si je peux lui donner ce dont il a besoin. J’inspire contre lui, son odeur est apaisante, comme les fleurs dans les districts fleuris en plein soleil, une odeur que je ne connais pas. Une odeur que lui reconnaît et aime à s’en crever l’âme.
Il répond aussitôt, cette fois il ne lui fait pas l'affront de faire silence suite à ses mots. Il ferme les yeux en le sentant approcher, libère une de ses mains pour la passer autour des épaules d'Altaïr et le faire rester près de lui, sans violence, il serre tout de même un peu, ça sonne plus désespéré qu'autoritaire, en tout cas.
* Tu as pris la bonne décision. Je suis désolé de ne rien avoir vu.
Il le savait. Bien sûr qu'il savait que c'était Amaury. Qui d'autre. Qui d'autre aurait pu vouloir nuire à Altaïr ? Il s'assurerait que son logement se trouver loin, quelque part en sécurité, quelque part où il pourrait grandir en paix, loin d'Amaury et de lui même, pour être en sécurité. Il voulait juste s'assurer de pouvoir le voir régulièrement, autant qu'Altaïr en aurait envie. Peut-être qu'il aurait simplement dû faire son deuil. L'image du regard désolé de Raven le heurta violemment, il manqua de s'étouffer avec sa propre respiration.
* Je suis là, pour toi. Tes états d'âme, comme tu le dis, m'importent beaucoup. Tu sais que tu peux te confier à moi, jamais tu ne me dérangeras.
Oh, bien sûr, il y avait des moments qui n'étaient pas les bons moments, mais il savait aussi qu'il aurait fait beaucoup pour Altaïr, pour lui assurer la sécurité et le confort, autant par tendresse que par culpabilité.
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