let the words fall like rain

ce soir, comme le soir d'avant, et comme celui d'encore avant, il pleut. il pleuvra sans doute demain aussi, et le jour qui suivra demain. léandre a parfois l'impression de n'avoir rien connu d'autre que cette pluie fine tombant sans arrêt sur inner-a13, ce ciel gris et cette atmosphère lourde, humide, pesante. il y a pourtant eu un début à cette pluie, et il y aura une fin. en tout cas, il l'espère, sinon qu'adviendra-t-il de la ville et de ses habitants ? ils se noieront, sans doute, et léandre n'aura plus personne à sauver. quel dommage.

il pleut, donc, et pourtant cela n'a pas empêché le jeune homme de s'aventurer dehors, quittant la tour centrale du 12 d'un pas vif, sans même prendre la peine de s'abriter sous un parapluie. léandre déambule dans les rues, bras nus malgré la fraîcheur nocturne. ses cheveux humides lui collent au visage. il s'en fiche. il était déjà mouillé avant de sortir, de toute façon.

l'eau est entrée par les sous-sol, cette fichue eau qui ne veut pas s'arrêter de tomber et qui s'infiltre partout, même dans les lieux les plus protégés. elle est entrée par les sous-sols et elle a inondé les putain de serveurs. oh, pas tous, heureusement. seule une petite partie a été touchée, mais c'était suffisant pour le bordel et donner des heures de travail supplémentaires à tout le monde.

le stress, la fatigue, le sentiment d'injustice, toutes ces émotions négatives s'accumulent s'accumulent et font qu'à présent, léandre est d'humeur absolument exécrable. c'est rare qu'il laisse ses sentiments prendre le dessus, et pourtant, ce soir alors qu'il marche sous la pluie sans regarder où il va, le visage ruisselant, les poings serrés, ce soir léandre laisse tomber son masque, il oublie les sourires et les faux semblants, et il ouvre son cœur ; lourd, gorgé de larmes, à moins que ce ne soit la pluie qui le remplisse, lui aussi, à la manière d'une éponge. mais ce qu'il absorbe doit bien bien ressortir, à un moment, et il semblerait que ce soit sous la forme de colère.

pas de chance, c'est tombé sur toi. tu sais ce qu'on dit : mauvais endroit, mauvais moment. le hasard a voulu que dans la nuit, vos pas vous mènent au même endroit, et que son regard croise le tien. aussitôt qu'il te reconnaît, il s'arrête net, et te dévisage pendant plusieurs instants. il ne dit rien, ne bouge pas non plus. il réfléchit. tu es loin d'être la première personne à qui il souhaiterait parler actuellement. il pourrait faire comme s'il ne t'avait pas vu, passer son chemin et aller déverser ailleurs sa frustration. mais il en décide autrement.

en trois pas, il franchit la rue pour se planter en face de toi sur le trottoir étroit, les traits crispés et une tempête dans le fond des yeux qui n'a rien à envier à celle qui agite inner-a13 ces derniers temps.

* tiens, tiens. 1652. comme on se retrouve. je dirais bien que je suis content de te voir, mais ce serait un mensonge.

la dernière fois que vous vous êtes vus, c'était pour discuter d'une alliance, puisque vos objectifs sont proches, et que vos efforts combinés permettraient de les atteindre plus facilement. léandre a les informations, et toi, tu as (ou avait - j'ai entendu dire qu'elles étaient inondées, elle aussi) les mines.

malheureusement, ça ne s'est pas passé comme prévu. il est évident que vous êtes incapables de collaborer, pas sans mettre vos différents de côté, et ni l'un ni l'autre ne semble très disposé à le faire.

* c'est la pluie qui t'a chassé hors de tes mines ? ou bien tu t'es dit que tu allais visiter les autres districts, pour le plaisir ?

le sarcasme dégouline de ses lèvres et vient former une flaque à ses pieds, se mêlant à la pluie ; on pourrait presque s'y noyer.

let the words fall like rain

face à toi, léandre a l'impression d'être un gamin qui fait un caprice, et plutôt que de le pousser à s'assagir, cela ne fait que l'agacer encore plus. il devrait laisser couler (les mots, la pluie, les inondations, amaury qui ne lui adresse plus la parole, tout) mais il faut croire que même lui a une limite à ce qu'il peut supporter avant que la tension n'explose.

c'est un feu d'artifice dans ses veines, une étincelle dans son regard et sa machoire qui se crispe alors qu'il lève la tête pour te dévisager avec insolence. putain, il avait oublié que t'étais si grand. un autre serait peut-être intimidé, léandre ne fait qu'en rire, un rire moqueur qui résonne dans la ruelle vide, se mêlant au son persistant des gouttes d'eaux qui s'écrasent sur le sol.

* échoué ? répète-t-il comme un écho, si les échos pouvaient se teinter d'amusement et de mépris. et en quoi est-ce que j'ai échoué, selon toi, arun ?

il t'appelle par ton prénom, mais dans sa bouche, ça sonne comme une insulte. il sait comment tu t'appelles, bien sûr qu'il le sait. c'était facile de le découvrir, d'un seul coup d’œil à ton dossier. il s'est informé un peu, avant de te rencontrer, et encore depuis. c'est une habitude chez léandre, de fouiner un peu partout, surtout là où il ne devrait pas.

*  tu devrais faire plus attention à ce que tu dis. tous les membres du conseil ne sont pas aussi sympas que moi, tu sais. si l'un deux entendait parler de tes petites escapades dans les souterrains...

la menace est à peine voilée, et peu sérieuse. léandre n'a aucune intention de te dénoncer, pour l'instant. il ne te déteste pas assez pour te souhaiter le bannissement. il bluffe, tout simplement, parce que les mensonges et les artifices de ce genre sont ses seules armes. certains se battent avec leurs poings ; léandre, lui, préfère les mots.

bien sûr, leur efficacité n'est pas toujours assurée.

* tu ne voudrais pas attirer des ennuis à ta femme, pas vrai ?

un sourire dépourvu de la moindre sincérité étire ses lèvres, aussi faux que ses paroles, que lui-même. c'est effrayant avec quelle facilité il a renfilé son costume, à quelle vitesse il s'est de nouveau glissé dans son rôle. la force de l'habitude, sans doute.

fear all around but it weighs too much to slow you down

la menace ne semble avoir aucun effet. léandre a la sensation désagréable de s'épuiser pour rien à donner des coups d'épée dans l'eau. son sourire s'apparente plus à une grimace, et il serre les poings de frustration. il a presque envie de te frapper pour te faire ravaler tes mots, pour prouver qu'il n'a pas peur, qu'il n'est pas l'enfant gâté que tu sembles voir en lui. mais au fond, il n'est pas sûr que ça prouverait quoi que ce soit, hormis qu'il ne sait pas contrôler ses émotions, et c'est un truc de gamin, ça, n'est-ce pas ?

léandre n'est pas un gamin. il a arrêté de l'être le jour où il a mis les pieds pour la première fois au siège du conseil, la tête haute, fier et victorieux, sans se douter que le plus dur restait encore à venir. ou peut-être même était-ce avant, quand on lui a confié son premier emploi et qu'il a quitté le district 11 pour le 12, disant au revoir à tous ses amis. il n'a pas le droit de se montrer immature. il y a trop de gens qui dépendent de lui, ou du moins c'est l'impression qu'il a.

il inspire profondément, cesse d'enfoncer les ongles dans les paumes de ses mains, et s'apprête à répondre aussi calmement que possible lorsqu'une voix s'élève derrière lui, et quelque chose le frôle. quelque chose ? non, quelqu'un. un peu plus grand que lui, cheveux sombres, yeux rouges, et il croit apercevoir des dents pointues, mais ça doit être son imagination. il fait trop sombre pour être certain de quoi que ce soit.

en revanche, il entend très clairement l'inconnu l'appeler par son prénom, et un frisson le parcourt. ce n'est pas totalement inhabituel qu'on le reconnaisse (il est membre du conseil, après tout) mais il y a quelque chose à propos de ce type... il lui fait froid dans le dos.

* j'imagine que c'est à aden que tu fais référence ? ce que je fais de mon temps libre ne le regarde pas.

léandre fait un pas en avant, ignorant son instinct qui lui souffle d'être sur ses gardes, ou mieux encore, de s'enfuir loin d'ici.

* tu connais mon nom, mais il ne me semble pas qu'on se soit déjà rencontrés. tu as l'intention de me dire qui tu es ? à moins qu'arun ne veuille faire les présentations. vous avez l'air très proches.

une trace de sarcasme presque indétectable s'est glissée dans sa voix. il paraît avoir retrouvé un semblant de calme, mais combien de temps cela va-t-il durer ?