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Il observait distraitement le chat qu'il avait recueilli jouer avec un emballage en plastique, un peu dément. Il aimait bien cette bestiole, il l'avait accueilli à la maison alors que ce n'était qu'un chaton et l'avait vu grandir et... grossir, un peu. Mh. C'était sa seule compagnie, le seul être qui ne pourrait pas risquer de le trahir - en tous cas, pas de sa propre volonté. Par contre, il pourrait le mener à sa perte. Mais bon. Ce n'était pas son seul tort.
Son regard dériva sur la porte d'entrée de son appartement, alors que son esprit dérivait sur l'existence irritante et frustrante de son voisin. Rosario. Non, attendez. Altaïr. Quel nom. Aden avait beaucoup d'imagination. Rien qu'en y pensant, Amaury se sentait nauséeux. On lui avait arraché son jouet des mains - il se refusait de considérer Rosario comme étant plus qu'un jouet, notamment parce que sinon, son coeur allait probablement exploser de désespoir.
Au final, il réussit à se lever et à sortir de son appartement, mortifié - minuscule dans ses habits sombres et proches du corps, bien différents de ses habituelles tenues très... riches. Les bras résolument croisés contre son torse, triturant ses doigts nerveusement, Amaury était allé toquer à la porte d'Altaïr. Il ne s'attendait à rien.
Il ne s'attendait à rien, et c'était bien ça le problème. Aden l'avait défendu, à mi-mots, de déranger Altaïr de quelques façons que ce soit. Alors, le soir même où Rosario avait emménagé à côté de chez lui, il s'était précipité à sa porte - il espérait que cette amnésie ne soit qu'un mensonge, ou alors que sa simple présence allait suffire à ramener Rosario. Mais au final, il s'était contenté de se présenter à son nouveau voisin, et de repartir chez lui les yeux humides et le coeur serré par la honte.
Amaury avait toqué, et maintenant il se sentait particulièrement stupide. Parce que ce n'était plus la peine, parce que c'était inutile, parce qu'il était un imbécile, un idiot fini. Et il s'apprêtait à vite fuir chez lui, parce que de toutes façons il n'avait rien à dire à Altaïr, mais la porte de l'appartement venait de s'ouvrir.
Ft. Amaury
Je n’ai rien remis en question, par acte de docilité ou d’idiotie, je n’en savais plus rien. Aden avait été clair, mon rôle était de ne pas me laisser influencer, par qui que ce soit. Rien ne semblait réellement pouvoir le satisfaire si ce n’était ma loyauté et mon silence. Et pour ses désirs, j’étais prêt à tout.
Alors pourquoi est-ce qu’il y a ce sentiment de vide ? Une soirée de plus passée enfermé entre ces murs. L’impression de ne pas en avoir fait assez ne me lâche pas. J’aurai dû proposer mon aide à Aden avec davantage d’insistance. Dire à Laney que –
L’attention déviée de mes pensées, mon regard se pose sur la porte d’entrée. Est-ce que c’était Aden ? Non. Sûrement pas. Aden n’avait pas que ça à faire. J’approche de la porte à pas mesurés. Pas de précipitation, on ne savait jamais. Sans réfléchir, j’entrouvre la porte, fronçant les sourcils à la vision se présentant devant moi.
Le responsable du District 11… Quel était son nom, déjà ?
Aden avait dit qu’il devait rester prudent. Que des traîtres siégeaient au Conseil. La porte grande ouverte, l’homme face à moi ne semble plus si imposant. La tête légèrement penchée sur le côté laisse une cascade vermeille s’écouler le long de mon épaule. Imitant sans peine le comportement de l’individu me faisant face, je croise les bras sur mon torse, observant l’autre d’un air dénue de toute émotion.
Pourquoi mon regard a parcouru les lignes sveltes de ce corps reste une interrogation pleine et entière à ma conscience. Mais ce que j’y vois me fait relever les yeux sur le conseiller. Un élément de plus qu’il pourrait utiliser à bon escient.
Il a les yeux humides et du venin sur le bout de la langue, mais il s'était tut. Rosario n'était pas qu'un jouet, pas vrai ? Dieu qu'il l'avait aimé. C'était stupide. Amaury était stupide. Il ne savait plus s'il était en colère contre lui-même ou contre le système. En réalité, il ne savait même plus vraiment s'il était en colère ou s'il était juste triste.
Son regard se détourne d'Altaïr. Il n'a rien à lui dire. Parce que s'il lui parle, il allait juste essayer de faire revenir Rosario, dans un espoir vain qu'il puisse revenir. Amaury soupire et laisse ses bras retomber de chaque côté de son corps, visiblement contrarié.
Un dernier regard. Une partie de lui espère qu'il sera retenu, mais clairement pas par Altaïr. L'espoir fait vivre, hein. Par contre, l'espoir bannissait très vite.
Ft. Amaury
Alors pourquoi ma main retient-elle son bras ?
Sur mon visage, la surprise de mon propre mouvement est évidente. Et la façade jusque-là illisible laisse voir les lignes d’incompréhension, le clair sentiment de perte d’équilibre au fond de mes yeux. J’arrache ma main contre la volonté de mon propre corps, presque douloureusement, comme brûlé et recule d’un pas, visiblement déstabilisé. Qu’est-ce que je fabrique ? Je ne connais pas cette personne. Pourquoi est-ce que j’ai fait ça ? Pourquoi ?
L’inspiration suivante est tremblante. Qu’avait dit Aden ? Il m’avait dit de ne pas approcher les membres du Conseil. De ne faire confiance à personne sauf à lui. Mais quelque chose ne colle pas. Quelque chose ne fait plus sens lorsqu’à l’expression du jeune brun se superpose celle d’un sourire. Un autre pas en arrière et je détourne les yeux, comme confronté à un miroir. Je ferme les yeux, rabats ma main pour cacher ma vue, comme si ce rempart supplémentaire pouvait faire la différence. Essayant vainement de faire taire le bruissement indistinct à mes oreilles. Je déglutis, recule encore d’un pas.
Plus aucune autorité ne filtre, quelque chose ne s’additionne plus. Je recule encore d’un pas et heurte le guéridon installé là, un bibelot décoratif en céramique s’écrasant avec fracas sur le sol. Pourtant je ne fais rien pour réparer cet incident, trouvant simplement un sens de protection et d’équilibre lorsque ma main touche enfin le mur.
J’aurai dû écouter Aden. J’aurai dû écouter Aden et ne pas interagir avec qui que ce soit. C’était de ma faute.
Amaury fait semblant. De ne pas comprendre ce qui arrive à son voisin, et il joue le rôle de l'innocent bien mieux qu'il l'imaginait. Il se rapproche, s'accroupit et ramasse les plus gros morceaux de bibelot brisé, se faisant une réflexion sur son état mental qui correspondait bien à cette image de céramique explosée.
Son regard se lève à nouveau vers Altaïr - il lui sourit, un peu faiblement, en fait il tire de toutes ses forces sur les traits de son visage pour esquisser le plus fin des sourires, mais ses efforts ne se voient pas; heureusement. Il a l'air juste désolé et inquiet. C'est parfait.
Allez. Il est capable de se mettre Altaïr dans la poche. Il en est capable. Il était capable de le faire avec n'importe qui, auparavant. Il n'avait pas envie d'être sous-estimé, il n'avait pas envie d'avoir à se dire qu'il était moins doué qu'avant, plus faible, plus fragile. Il était capable. Altaïr ne serait qu'un sale clébard du Conseil de plus, qu'il réussirait à amadouer. Qu'importe qu'il ne soit fidèle qu'à Aden, il lui apprendrait d'autres tours. En tous cas, il allait essayer. Il se redresse doucement, observe les mains d'Altaïr.
Il se rappelle l'emprise sur son poignet et soupire un peu. C'était Rosario, ça. Son instinct. C'était sûr. Comme il mourait d'envie de le revoir, comme il souhaitait pouvoir lui parler à nouveau.
Il avait décidé qu'il ferait semblant de ne pas être au courant des ordres qu'Aden avait transmis à Altaïr. Peut-être que s'il faisait bien semblant, Altaïr et son si cher instinct n'aurait pas la force de l'envoyer balader.
Ft. Amaury
Chaque mot a pourtant un impact innommé. Comme un électrochoc, comme une vérité oubliée. Sa voix est trop familière. Il tire sur quelque chose tout au fond de moi qui m’effraie. J’ose à peine croiser son regard, apeuré, presque terrifié, mais lui reste calme, doux. Et le son tremblant de ma voix devrait me faire honte. Je tremble et avoue cette faiblesse que je devrais garder cachée. Je lui donne sans le réaliser les clés de cette faille béante qui s’est affichée entre nous.
J’ai peur. J’ai peur et je ne réalise pas que mes doigts s’agrippent au tissu du vêtement trop fin que porte l’autre. Mes doigts tremblent, et je finis par relâcher ma prise, comme un enfant, me laissant retomber en position accroupie, comme pour mieux me cacher. Comme pour dissimuler l’immondice de cette réalité. Je suis une honte pour l’homme qui m’a recueilli. Les larmes débordent sans que je puisse les contrôler, le cœur battant, des images et des souvenirs ne m’appartenant pas brûlant ma rétine inlassablement.
Aden sera en colère. Aden m’en voudra d’avoir agi de la sorte. Un sanglot et je dissimule mon visage, la voix brisée lorsque je dis à l’autre homme de partir. Lorsque je le somme de quitter cet appartement. De me rendre ce silence qu’il m’a volé. Lorsque mes doigts s’agrippent sans que je ne le comprenne à lui.
Lorsque deux faces de la même pièce se battent pour deux réalités bien différentes.
Il veut lui faire du mal. Sa main vient chercher les doigts d'Altaïr, alors qu'il se fait la réflexion que chaque larme que l'autre homme verse est un baume terriblement efficace sur ses propres plaies. Il a toujours été comme ça - martyrisant les plus faibles à la moindre occasion pour se sentir mieux. Il sait que ce n'est pas bien, mais c'est trop tentant. Il ne mérite pas d'être le seul à souffrir, pas vrai ?
C'était lui qui méritait d'être aux côtés d'Aden. Pas Altaïr. Altaïr ne méritait rien. Peut-être que sa haine soudaine venait de sa frustration de ne pas réussir à avoir Rosario, son Rosario, pour lui, maintenant, tout de suite. Probablement. Il se penche, parlant tout bas, le regard en coin sur l'autre homme. Quel jeu dangereux.
Il voulait qu'il l'aime à nouveau. Il méritait.
Ft. Amaury
Après tout, Aden n’a jamais dit qu’il m’aimait.
Les iris mordorées débordent de larmes lorsque mon regard croise à nouveau celui clair de l’autre homme. Et dans la violence de ses mots, j’étouffe ma peine et mes espoirs, réalisant bien trop tard que j’avais déjà commis une erreur irréparable. Je devais protéger Aden, et j’avais sombré dans l’idiotie de croire que ce rôle m’autorisait à plus. J’ai été cupide et avide, de croire que dans ce monde, un homme aussi parfait qu’Aden pourrait me trouver un intérêt.
Les doigts du brun s’accrochent aux miens, et ma garde tombe et s’effondre à chaque parole, à chaque larme qui s’écrase sur la paume de mes mains. Je suis un échec. Une déception. Une aberration. Mes lèvres se tordent, comme un enfant réalisant trop tard son tort, comme si la peine m’écrasait le cœur. Devant le conseiller, je perds mes moyens et baisse enfin le visage, agrippant sa main, cherchant un réconfort que je ne mérite pas.
Aden ne viendra pas.
Mais l’homme face à toi en veut un autre.
Les mots s’emmêlent, je voudrais qu’il poursuive ses caresses contre mes cheveux. J’aimerai un peu d’oubli, un peu de répit. Mais ma voix se brise alors que j’avoue, conscient de mon erreur.
De la paume libre de ma main, j’essuie les gouttes barrant mon visage, chasse ma peine sans y parvenir. Je plaide son pardon, cherche son regard et murmure, un aveu mal assuré. Une vérité dont j’ai bien trop conscience.
Il n'y a aucune méchanceté dans ses mots - il est même un peu triste quand il les prononce. Il vient s'asseoir près d'Altaïr, le prend dans ses bras avec précaution. Il caresse ses cheveux doucement, observe leur rouge si spécial. Ce rouge si unique qui lui plaisait tant. Amaury se fait la réflexion qu'il pourrait tuer pour avoir Rosario dans ses bras à nouveau. Il imagine un plan bien élaboré qui lui permettrait de rayer tous les autres de la carte - pour donner du temps à Rosario, lui donner le temps de revenir. Mais Amaury n'est pas aussi puissant qu'il le souhaiterait, et il ne peut rien faire sinon enlacer Altaïr et prier pour quelque chose qui ne viendra peut-être jamais.
Altaïr est comme un enfant crédule et Amaury compte bien en profiter. Profiter de cette page vierge pour y écrire absolument n'importe quoi, pour y inscrire les pires horreurs - et bien en rigoler ensuite. Qu'importe les conséquences, il suppose qu'il a besoin d'un sac de frappe
Son ton se fait pressant. Ses yeux dorés percent ceux, semblables, d'Altaïr. Il est impitoyable. Il veut qu'Altaïr pleure.
Voire plus.
Ft. Amaury
Comme un enfant face à sa plus grande peur, Amaury est tout ce qui me protège encore du monde. Amaury veut bien dissimuler mon larcin par amour pour Aden. Parce que le décevoir lui n’était pas une option. Parce qu’Amaury aime aussi Aden. Parce qu’il ne l’abandonnera pas. Ou peut-être que si.
Des mots que je n’ai pas conscience d’étouffer contre lui. Cette peur panique m’oppresse et les mots dépassent la pensée.
Pourquoi m’être mis dans cet état ? Parce que la pluie bat sur le monde ? Parce que l’obscurité m’effraie ? Parce que dans ce corps sans souvenir, l’oubli semble une peine capitale, et la compétence de survie qui s’y allie n’existe pas. Je regrette de ne pas pouvoir toucher Aden. De ne pas pouvoir implorer son pardon. Mais le Conseil est juste. Le Conseil est mené par Aden. Amaury fait partie du Conseil. Le Conseil est digne de confiance –
Je me recule et repousse mes larmes, tremblant, semblant si petit devant l’imposante prestance d’un homme qui voile chaque regard d’un poids que je ne semble pas apte à soulever seul.
Pour lui plaire. Pour le satisfaire. Pour être la marionnette qu’il ne jettera pas au feu. Pour qu’il m’aime également.
Un simple ton, une simple note, comme un faux raccord. Le son est trop juste, presque alien. Un surnom qui n’appartient pas à Altaïr. Un surnom qui aurait dû être oublié. Une erreur que je ne réalise pas. Trop fragile. Trop fébrile. Trop apeuré. Trop certain que les paroles d’Amaury l’aideront à reconquérir le cœur et la confiance d’Aden.
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