CHROMA
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in a movie only for us (FT. 1652)

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Amaury
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Quelle chance. De la pluie, enfin. Finalement. Il pleuvait peu sur Inner-A13. Et maintenant, il fallait croire que les forces se déchaînaient sur la ville, et il pleuvait, oh il pleuvait... Amaury était incapable de fermer l’œil. Cela faisait des jours, il ne comptait plus trop. Ses mains tremblaient et sa tête était lourde et il ne comprenait pas trop ce qui lui arrivait - défaillant comme une flamme faible sous la pluie torrentielle.

Mais il remerciait cette pluie, toute cette eau - Aden, lui avait dit tant de jolies choses. Ils avaient leurs secrets, désormais, et Aden lui faisait confiance. Enfin, c'est ce qu'il lui avait dit. Oh, Amaury se doutait bien qu'il ne restait qu'un pion parmi tant d'autres, et que s'il fallait l'évincer pour conserver sa place, Aden n'hésiterait pas. Et entre nous ? Amaury comprenait, parce que lui, c'était pareil. Il voulait survivre, vous comprenez ? Enfin, c'est ce qu'il se disait avec fermeté, alors qu'il se foutait en l'air.

Et pourquoi il marchait comme ça, une fois la nuit tombée, déjà ? Peut-être pour un semblant de liberté, au moins pour avoir un peu l'impression de contrôler sa vie. Il était pathétique, misérable, et autant il voulait survivre, autant il considérait l'idée d'aller voir en premier d'où venait toute cette eau. Il n'arrivait plus à penser correctement. Et il faisait froid. Même sous la plus épaisse des couvertures, il faisait froid. Il faisait bien, bien trop froid. Et il se sentait seul, bon sang qu'il se sentait seul. En même temps, il avait cherché, s'il arrêtait de se mettre tout le monde à dos pendant une minute, hein ? Même Lucian, qui pourtant lui colle aux basques dès qu'il entre dans le siège du Conseil, doit probablement le détester. Mais bon, hein. Qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour survivre, alors.

Ses yeux se posent sur 1652. Ah, il pense, morne comme toujours, alors qu'il s'approche un peu. Lui aussi, il est pitoyable. Et il a envie de se rapprocher et de lui faire la morale, de l'emmerder et de lui dire de ne pas rester sous la pluie comme un minable. Et quand il se rapproche, évidemment, il glisse, se rattrape in extremis à un poteau, manque probablement de s'éclater la boîte crânienne sur le bord du trottoir.

Putain !

Ah, l'exclamation de rage. Elle résonne dans la rue, explosive. Son regard croise celui de 1652 et il baisse la tête. Il a l'air malin, tiens. Amaury fait encore quelques pas, et s'assoit à côté de l'autre homme, tremblotant. Il n'a rien à lui dire. Il le déteste, parce qu'il représente tout ce qu'il n'aime pas, vous comprenez ? Son insolence et comment il contourne les règles. Oui, bien sûr. Il le hait, parce que c'est certain qu'il a encore la force de haïr qui que ce soit. Oui. Evidemment.

Rentre.

Il soupire simplement. Il n'y a rien d'autre à dire, mais ils sont stupides, tous les deux, à rester dehors sous la pluie.  
Déchu
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La vérité avait été trop dure à porter. La vérité l’avait laissé brisé quelque part tout au fond de lui. Et si le monde avait dû se rire de sa situation, il l’aurait fait de cette manière. En laissant la pluie s’abattre sur son monde, froide, poisseuse, déplaisante et grise. S’il devait avouer sa vérité, 1652 ne voulait plus ressentir ce sentiment. Ne voulait pas laisser cette boule de flipper qu’Abysse avait mise en liberté dans les fondations si durement érigées de sa personnalité. Il avait suffi d’un souffle, de quelques mots, d’une caresse et d’une réalité terrifiante. 1652 n’avait pas réussi à accepter sa part du marché. Pas encore.

Mais il sait que ses jours sont comptés. Il sait qu’il n’est plus le maître de sa propre destinée. Qu’un autre l’a enchaîné à une laisse qui ne fera qu’inexorablement l’étouffer. Il refuse d’abandonner. Refuse de se noyer dans cette mélasse infâme qui avait progressivement englouti les mines. Il pouvait y voir une image dérisoire d’ironie. Voir combien tout ce travail qu’il avait mis à la tâche se retrouvait sous l’eau, inaccessible, intouchable. Comme si tous ses secrets avaient été exposés. Comme si cette partie la plus sombre de lui avait été envahie par un envahisseur indésirable. Comme si le monde s’efforçait de l’asphyxier.

Les murs l’étouffent. Les parois des mines. Les murs de leur appartement. Les grilles de cette cité maudite. Il avait voulu fuir. Mais il n’y avait plus nulle part où aller. La nuit ne lui offre plus cet écrin d’oubli. La pluie n’est qu’une deuxième peau glaçante sur ses vêtements imbibés. Il voudrait y laisser sa vie. Mais ce monde ne le lui permet pas. Il voudrait être 6188. Blessé et banni. Probablement disparu ou mort dans les limbes infinis de ce monde.

Mais rien de tout ça n’est possible. Il ne reste que la pluie. Aussi répétitive et harassante qu’elle sait l’être. Aussi insensible et froide qu’il l’avait un jour été.

1652 relève le visage, le regard vide, alors qu’un juron résonne dans la rue. Devant lui, l’élégante silhouette noire se redresse comme si le monde avait pu basculer sous ses pieds. Il ne sourit pas. Ne ressent pas le moindre éclat de quoi que ce soit. Les prunelles d’Amaury lui semblent refléter sa propre âme.

Alors c’était donc ça qu’il ressentait ? Mort de l’intérieur.

Il reprend sa position initiale, accoudé à ses genoux, voûté et le visage bas. Il ne veut pas penser. S’il reste suffisamment silencieux, la pluie sous son dos laisse entendre son écho au creux de ses os. S’il oublie le reste du monde, peut-être que la pluie deviendra acide et l’effacera de ce monde.

« Rentre. »

Le mouvement est lent, et ce n’est même pas par démonstration d’un geste mesuré. Il est affable. Presque éteint. Son regard cherche les lignes graciles et strictes du visage d’Amaury. Il le voit. Il le voit.

1652 ne réfléchit par lorsqu’il se rapproche de l’autre homme, se laissant simplement glisser sur le banc avant d’en descendre, s’accroupissant sur le pavé éclaboussé et froid. Il relève les yeux vers lui et souffle doucement.

« Je vais seulement regarder. Ne bouge pas. »

Il n’attend pas d’acquièscement. Il n’attend rien et glisse une mains derrière le mollet du conseiller pour lui faire relever la jambe, calant prudemment le haut de sa cheville contre son propre genou plié. Poussant le bord du tissu noir dont Amaury est couvert, il révèle une cheville qui semble indemne. Il la repose au sol, réitère le même manège. Et cette fois, l’articulation paraît légèrement rougie. Légèrement enflée. Il dénoue les chaussures du brun sans un mot, le visage bas, ses cheveux trempés gouttant sur le monde entier. Il pourrait ne faire qu’un avec la pluie.

Ses doigts sont froids lorsqu’ils saisissent délicatement le pied de l’autre homme. Des pieds fins et pâles. D’un mouvement de ses deux mains, il le force doucement à se mouvoir. Relevant son regard vers le brun pour constater les dégâts. Quelle ironie, oui. Il était presque sûr que même brisé comme il l’était, Amaury ne le laisserait pas entendre.

Parce qu’ils étaient probablement pareils.

Trop obstinés pour s’autoriser à exister.
Amaury
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Sa démarche le dépasse un peu, il faut bien l'avouer. Les yeux brillant d'un doré stupéfait observent 1652, qui est bien trop gentil, bien trop précautionneux. Ça active certaines alarmes dans un coin de sa tête, et même s'il sait qu'il ne fait pas confiance à 1652, il n'en tient pas rigueur, il fait taire ces alertes, il reste silencieux. Ils sont trempés jusqu'aux os. Et c'est stupide, de rester là, alors qu'il pleut des cordes, mais, bon.

Amaury trouve qu'il n'y a aucun endroit qui ressemblerait à un chez-lui. N'importe où, qu'importe où il se trouve, l'angoisse l'étreint, comme si on allait se saisir de lui dans la seconde qui suit et qu'on allait le jeter dans l'eau qui entoure Inner-A13. Ça fait peur. Il avait trouvé du réconfort auparavant, chez Rosario, ou Léandre, ou Aden. Est-ce qu'il allait faire la même chose avec 1652 ? Est-ce qu'il était tombé aussi bas que ça ? A devoir tomber dans les bras du premier qui était un tant soit peu attentionné envers lui (et encore) pour se sentir mieux. C'était pathétique. Il était pathétique. Il ne fallait pas se mentir.

Il se déteste de faire ça, mais il a posé sa tête contre l'épaule de 1652, s'est blotti contre lui. Ce n'est pas une technique pour se réchauffer, merci bien, quoique. Un petit soupir traverse ses lèvres gercées alors que ses yeux se baissent sur sa jambe nue et les mains du pénitent posées sur elle.

Il va falloir que tu me lâches, à un moment.

Le contraste entre sa peau laiteuse, cadavérique même et celle de 1652 le fait vaguement sourire. Au final, il ferme les yeux. Amaury est épuisé.

Je n'ai rien. Tu le sais bien.

Ils ne peuvent pas avoir mal comme les vagabonds. Ils sont protégés - il ne sait pas comment, ni pourquoi. Il le sait, c'est tout. Il suppose que c'est le cas pour tout le monde. Il suppose que tout le monde sait.

Je veux que tu rentres et que tu te mettes au sec, 1652.
Déchu
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Il ne réalise son erreur qu’après en avoir déjà trop fait. C’était instinctif. Comme le fait de perpétuellement trouver à s’inquiéter pour 8027. Comme le fait de toujours garder la trace de tous les avertissements qui l’entouraient. C’était comme devoir respirer. Quelque chose qu’il avait appris à faire sans réfléchir. Parce qu’il a connu trop de vagabonds. Parce qu’il a appris que si eux n’étaient pas atteints par les blessures et la maladie, d’autres pouvaient l’être.

Et là, juste devant le responsable d’un District – devant un membre du Conseil – il venait de faire la démonstration la plus évidente de son lien avec une partie purement illégale de leurs deux mondes. Il déglutit et relâche le pied d’Amaury avec lenteur, la réalité de cet échec plus qu’évident. Il avait déjà un avertissement à son actif. Copiner avec les vagabonds pourrait lui valoir un ordre de bannissement immédiat. Il n’avait pas pu mettre en place tout ce qu’il avait envisagé pour protéger 8027 et 3793. Il n’avait pas pu faire ce qu’il fallait pour assurer qu’un autre prendrait sa relève.

Il avait échoué. Mais il n’avait en aucun cas le droit de le montrer. Jouant l’indifférence, 1652 se redresse et attrape la main du Conseiller, le faisant se lever à son tour. Tous deux sont trempés, et sur le visage ruisselant de pluie d’Amaury, il y a quelque chose d’indescriptible. D’autres diraient que la fatigue lui avait ôté son âme. A lui, il lui semblait pourtant que son âme n’avait jamais plus été à vif qu’à cet instant précis. Alors il tente sa chance. Force le destin comme Leon le lui a appris.

« Invite-moi plutôt chez toi. »

Il n’y avait aucun sous-entendu, pour tout ce que 1652 pouvait pourtant ne pas douter du fait que si Amaury lui présentait une ouverture, il pourrait la saisir. Mais ce moment n’existe pas encore. Il tire doucement sur la main d’Amaury et pour la première fois, lui adresse l’un de ces sourires amusés, ceux qui atteignent son regard. Ceux qui laissent entendre qu’il n’en a pas fini.

« Et essaye de rester sur tes deux pieds, jolie dame. »
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Leurs mains liées remuent quelque chose en lui, mais il refuse de le montrer. Amaury trouve qu'on peut déjà suffisamment lire en lui, non ? Il est comme un livre ouvert, et face à quelqu'un comme 1652, cela le met mal à l'aise. Comment pouvait-il même assurer sa place au Conseil s'il n'était pas capable de bluffer, hein ? Oh, pas qu'il n'en soit pas capable. Mais ces derniers temps, c'était si compliqué. Tout était si compliqué. Alors Amaury faisait profil bas, car quitte à éveiller les soupçons de tout le monde quoi qu'il fasse, autant essayer de se faire oublier un peu. Et le voilà, refaisant la même erreur qu'autrefois, s'acoquinant avec des pénitents alors qu'il clamait haut et fort à quel point les membres du Conseil étaient supérieurs, à quel point il ne souhaitait pas se mélanger avec les fourmis qui pullulaient sous leurs pieds. Eh bien. Il se haïssait d'être aussi faible et prévisible. Peut-être bien que 1652 n'était qu'un Rosario de plus à ses yeux, qu'il se laissait atteindre par crainte de la solitude, qu'il était simplement incapable d'ériger ses barrières en ces temps troublés.

Sa surprise, malgré tous ses efforts, est visible sur son visage comme s'il n'essayait même pas de la cacher. Il s'esclaffe même un instant, marmonnant que 1652 ne se gêne pas - mais sa main n'a pas quitté la sienne, minuscule contre la paume de 1652, il la serre un peu même. C'est rassurant.

Tu es bien envahissant. Tu t'es fait jeter de chez toi, ou quoi ?

Une petite remarque sur les pénitents qui en demandaient toujours trop plus tard, après tout il restait le même, Amaury détourne un peu les yeux - les mots ayant soudain un peu plus de difficulté à faire leur chemin jusqu'à ses lèvres.

Enfin. J'imagine que je pourrais faire ça, oui.

Sans réfléchir, il rend son sourire à 1652 ; un sourire timide, un peu cassé, mais qui lui donnait l'air tellement plus vivant par rapport à la mine d'enterrement qu'il tirait d'ordinaire. C'était déjà un grand pas. Amaury n'essayait pas d'ériger ses barrières, il n'essayait pas de se protéger. Et même s'il se détestait d'agir de la sorte, il ne forçait pas 1652 à reculer, à s'éloigner, à le laisser tranquille comme il le devrait. Même, il l'entraîne vers le centre de la ville, refusant de lâcher sa main.

Pendant le trajet, il ne parle pas, ou peu. Il lui rappelle subtilement qu'il devrait faire attention à ne pas traiter les "gens normaux" comme des vagabonds, sinon cela pourrait lui causer du soucis. Il lui demande des nouvelles de 1004, comme cela, distraitement. Amaury essaie de se ficher de 1004, mais il ne peut juste pas. Au final, ils arrivent devant le bloc 43, et il n'a toujours pas lâché sa main. Bon sang. Amaury se dit distraitement qu'il est foutu. Mais il évite cette pensée et entre dans le building, se faufilant jusqu'à son appartement. Putain. Si Altaïr ouvre sa porte à ce moment-là, ils sont morts.

Mais ? Tout se passe bien et ils terminent chez lui. Avec son chat qui vient leur dire bonjour, aussi, sinon ce n'est pas drôle. Amaury lance un regard à 1652 alors qu'il lâche (enfin!) sa main et qu'il s'accroupit pour caresser l'animal.

Je te fais confiance.

C'est très bizarre, de laisser quelqu'un rentrer ici. A nouveau. De commencer, maladroitement, à accorder sa confiance. Bien sûr, tout cela pourrait s'arrêter très rapidement, et aussi stupide qu'il est, Amaury n'a pas envie de prendre trop de risques. Il se redresse alors que le chat retourne vaquer à ses occupations, et observe 1652 en le guidant vers le salon.

Bon. Il faut qu'on se sèche. Je reviens. Je... Fais comme chez toi, j'imagine.
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C’est comme ça qu’il a pu voir ce premier sourire de la part d’Amaury. Il n’aura sûrement pas de regrets tout de suite. Simplement pour le plaisir de penser qu’il avait réussi ce pari quand bien même il ne l’avait jamais pris. Leurs mains sont liées jusqu’à rejoindre l’appartement du conseiller. Si les caméras les avaient surpris, rien de ce qui venait de se passer ne pourrait les innocenter.

La réelle différence se fait lorsqu’ils pénètrent enfin dans l’appartement. L’endroit est sombre et froid, presque désordonné. Mais surtout, la créature féline parcourant sereinement les lieux force 1652 à porter un nouveau regard sur le brun. Confiance. Une chose qu’il fallait accorder avec parcimonie. Une chose que 1652 prendrait avec énormément de délicatesse.

Il n’essaye pas d’approcher l’animal qui déjà semble repartir vaquer à ses occupations. 1652 ôte simplement ses chaussures près de l’entrée. Il est trempé, l’empreinte de ses pas marquant le sol d’une humidité certain. Son regard parcourt patiemment les lieux. Et il sait pertinemment à quel instant Amaury a commis sa plus grande erreur.

« Fais comme chez toi, j’imagine. »

1652 n’est pas animal, non. Il est simplement sauvage. Et de ses pas silencieux, il n’a aucun mal à coincer Amaury dans la salle de bain où il s’était échappé pour aller récupérer une paire de serviettes. Penché sur la nuque du brun sans qu’il ne l’ait encore remarqué, il murmure contre sa peau, un sourire en coin étirant la commissure de ses lèvres, le timbres sombre de sa voix résonnant presque dans la petite salle d’eau.

« Tu sais aussi bien que moi qu’il y a une façon bien plus efficace de se débarrasser de ce froid… »

Un regard, un silence, il effleure la nuque de l’homme de la pulpe de son index, dessinant une arabesque sur la chair de poule qui s’était invitée sur sa peau, redessinant le col de son vêtement alors que son torse se colle insidieusement au dos trempé du responsable de district.

« Si tu as si froid, pourquoi ne pas simplement tout enlever… ? »

Suivant la ligne de son dos, marquant sa colonne vertébrale d’une pression délicate, son souffle chaud s’écrase contre l’oreille pâle légèrement rougie par le froid… ou serait-ce plutôt de la gêne ? 1652 se pourlèche les lèvres, amusé.

« Tu sais aussi bien que moi de quoi tu as besoin. De quoi tu as envie. »

Il contourne la chute de ses reins, et sa seconde main s’invite dans ce bal interdit. Ses deux bras à sa taille ne touchent pas ses courbes, quand bien même son captif se retrouve encerclé de ses bras. 1652 devrait connaître la honte d’ainsi savoir dévêtir quiconque sans même devoir voir le textile sous ses doigts. Mais les boutons de la chemise blanche étroitement cachée sous ce manteau d’encre s’ouvrent, un par un. Sa respiration est lente, il ne touche pas à sa peau, ne se laisse que deviner à ses sens.

« Dis-moi Amaury. De quoi as-tu envie ? »

Est-ce le hasard si ses doigts caressent à peine la ligne de ses côtes ? S’ils touchent la courbe volée d’un galbe inavoué ? De cette même main, 1652 attrape l’une des serviettes encore tenues dans la paume du brun, ronronnant presque.

« Je t’attends à l’extérieur. »

Et comme l’ombre qu’il a toujours été, 1652 se recule sans un son, laissant Amaury là, dépourvu de son contact ou de sa chaleur, mis à nu sur bien des facettes. Seul le son du cliquetis de la porte de la salle de bain se refermant derrière 1652 marquera la fin de cet échange.

Sur son minois, un sourire régal.
Amaury
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Passer 1652 par la fenêtre ou se défenestrer soi-même ? Telle était la question. Amaury n'avait eu aucune idée de comment réagir. Déjà, 1652 l'avait fait mourir de peur pendant une seconde, parce qu'il ne s'était pas attendu à ce qu'il le suive dans la salle de bain, et il ne l'avait pas entendu arriver. Le souffle coupé, chacun de ses muscles tendu au possible, il était resté figé là même quand 1652 était parti et avait refermé la porte sur son passage. Amaury n'avait aucune idée de ce qu'il voulait, c'était une évidence. Et le voilà tremblant, ne réalisant pas, essayant de se dire que ce n'était pas si grave, et qu'il n'allait pas en faire toute une histoire. Parce qu'au final, est-ce qu'il avait détesté ça ? Non, bien au contraire. Il avait frémit, et il aurait presque pu ronronner dans les bras du pénitent. Parce qu'il était comme ça, et ça n'étonnait personne. Même s'il se détestait pour ça. Il avait ses secrets, et 1652 avait frôlé de peu la vérité. Assez littéralement, d'ailleurs. Bordel.

Et voilà la colère qui commence à serrer son coeur. Comme une vague qui dévaste tout sur son passage, elle le fait voir rouge. Amaury n'avait jamais appris à gérer ses sentiments, il supposait que ça se voyait assez bien, mais la colère ? La colère était pire que tout. Elle explosait dès qu'il y avait le moindre trop-plein sans même qu'il n'ait l'occasion d'essayer de la contrôler, elle le rendait terrible. C'était sans réfléchir, sans se donner le temps d'y penser qu'il avait déboulé hors de la salle de bain, qu'il avait trouvé 1652 et d'une main l'avait retenu par le col pour l'abaisser à sa hauteur, et de l'autre lui avait infligé une gifle monumentale. Le bruit de sa paume contre la joue de 1652 avait résonné dans l'appartement, un bruit vif et bref.

Je peux savoir pour qui tu te prends ? Ou mieux, pour qui est-ce que tu m'as pris ?

Sa voix siffle, mauvaise, il menace de le gifler à nouveau, mais au final son poing s'écrase avec beaucoup moins d'intensité sur le torse de 1652 alors qu'il soupire lourdement. Sa vision est d'ores et déjà floue, il a les yeux humides, et il se demande depuis quand il est si émotif. Au final, Amaury lâche 1652 et recule, reniflant un peu.

J'espère que ça t'a plu de me faire peur.

Il a un petit moment de silence, avant de revenir un peu à la réalité et il se détourne légèrement, le temps de reboutonner sa chemise. Il est stupide. Tellement stupide, tellement, tellement, tellement stupide. Ça le tuera.

Je ne sais pas de quoi j'ai envie.

Sa voix tremblote un peu, mal assurée.

Je crois que je me suis beaucoup trop accordé de choses depuis que je suis là.

Il ne sait plus depuis combien de temps il est au Conseil, depuis combien de temps il tient cette mascarade idiote. Ses mains tremblent contre le tissu immaculé.

J'aimerais croire que tu n'es pas une erreur de plus. J'aimerais bien en être persuadé.

Oh, bien sûr. Il ne demandait qu'à en être convaincu, qu'à être persuadé.
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C’était ce qu’il avait attendu. En réalité, c’était même ce qu’il aurait lui-même demandé. Depuis Abysse. Depuis 1055. Depuis 1004. Depuis qu’il avait trahi la confiance de 8027. Depuis que 3793 était devenue une réalité bien trop tangible. Depuis qu’il avait réalisé combien les raisons mêmes de son existence lui échappaient. Depuis qu’il savait que son temps lui était compté. Depuis que chaque ombre lui rappelait qu’Abysse attendait, tapi dans l’ombre, prêt à récupérer ce qu’il avait unilatéralement clamé comme lui étant dû.

Le claquement est sec et net. Le chat dans l’une des pièces adjacentes miaule, curieux, et trotte pour retourner trouver un endroit dont le bruit ne lui fera pas défaut. Le poing qui heurte son plexus ne le fait pas bouger. Son visage ne s’est pas détourné malgré la force de l’impact. Devant lui, Amaury se tient débraillé, moitié nu, révélant une vérité qu’il avait déjà depuis bien longtemps deviné. Comment cette personne survivait-elle au Conseil en mentant sur son genre, était un mystère. Il se foutait de ces choses. Se foutait des mystères du genre humain. Se foutait de la vérité.

La voix du conseiller est mal assurée. 1652 reste immobile, l’observant, lui et ses mains tremblantes, lui et les larmes qui menacent de rouler sur ses joues émaciées. Il n’y a rien de beau dans cette scène. Rien d’honorable ou de gratifiant. Non. Mais pour la première fois… Pour la première fois.

« Alors tu es encore en vie, là-dedans. »

Il ne répond à rien, ne reprend aucune de ses phrases. Il avance juste d’un pas mesuré et attrape ses mains pâles sans brusquerie. Il ne lui fera pas peur cette fois-ci. Il a obtenu ce qu’il voulait. Il regrette que les coups ne l’aient pas davantage heurté. Il regrette de ne pas pouvoir faire plus.

« Ne la referme pas. Va simplement prendre une douche. Fais ça et tu prendras ta décision une fois fait. Je partirai si tu le souhaites. »

Il relâche ses mains, l’observe et glisse le dos de son index sous la paupière cernée, marquée par des ombres infinies, fait disparaître les traces de ses larmes refoulées.

« Pardonne-moi. Je n’ai jamais voulu te faire peur. »

D’un mouvement un seul, il se recule et lui intime, le regard perdu dans le vague.

« Pour ce qui est d’une erreur… Je présume que l’avenir nous le dira. »
Amaury
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Il vient presser sa tête contre la paume de la main de 1652 doucement, fermant les yeux. Son côté paranoïaque le taraude, il en vient même à se demander si le pénitent essaie de le mettre dans sa poche pour mieux le poignarder dans le dos ensuite ; il comprend, il aurait fait la même chose, surtout en voyant son état, surtout en voyant à quel point il était fragile, à quel point il laissait ses défenses tomber.

Tu as sans doute raison.

Il aurait dû frapper plus fort. Parce que 1652 méritait, il supposait, parce qu'il lui avait vraiment, vraiment surpris. Presque à contre-coeur, Amaury recule d'un pas puis d'un autre, détournant le regard. Oui, prendre une douche. Ça lui paraît bien. C'est une bonne idée de s'éloigner de l'autre homme pendant un moment, d'essayer tant bien que mal de se remettre les idées en place. Et puis, il est trempé, frigorifié et tremblant. Il faudrait peut-être voir à se ressaisir. Histoire d'avoir l'air moins abruti.

Je reviens.

Il préférerait que 1652 ne soit plus dans son appartement quand il reviendrait de la salle de bain ; il préférerait que tout ne soit qu'un rêve un peu trop amer, ou que le pénitent ait compris qu'ils faisaient une erreur et qu'il ait fui. Mais évidemment, une fois qu'Amaury fut revenu dans le salon, en bien meilleur état que lorsqu'il l'avait quitté, 1652 était toujours là.

Au moins, il avait repris du poil de la bête. Il se ressemblait déjà plus, de ce fait. Effectivement, il avait l'air aussi insupportable qu'avant. C'était bon signe. Ça voulait dire qu'il ne s'écroulerait pas au moindre mot de 1652. Et c'était tant mieux ; il supposait.

Bon.

Il jaugeait 1652, silencieux, les bras croisés. Il se passa un instant, avant qu'il ne parcourt la distance entre eux et qu'il vienne enlacer l'homme, cachant son visage contre son torse.

Reste ici encore un peu. S'il te plaît.

S'il restait seul, il allait vraiment finir par se jeter par la fenêtre.
Déchu
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C’était comme le lui avait dit Clarice. 1652 a toujours été son propre danger. Flirter avec les limites ne l’a jamais réellement effrayé. Plus maintenant. Plus avec cette pluie. Plus depuis que les mines sont inondées, et que l’une de leurs voies de fuite a été définitivement condamnée. Les roues d’un engrenage semblaient s’être emballées, pour ne laisser place à tant de doute que la réalité lui semblait presque difficile à croire. Est-ce que c’était ça, la vérité ? Qu’ils finiraient comme ces peintures sur les murs, une lueur rougeoyante tapie dans l’ombre.

Arun a le réflexe insensé de se retourner, comme s’il s’était senti observé. La paranoïa n’a pourtant jamais été de son penchant naturel. Les frissons ne manquent pourtant pas de lui parcourir l’échine. Le bruit de la douche n’aide pas à le distraire, non. Il a le réflexe insensé d’allumer chaque lumière de l’appartement. Comme si les ombres pouvaient se faire plus menaçantes. Il devait retrouver son calme. Retrouver sa contenance. Ce soir, il n’avait pas le droit de faillir. Pas ce soir. Pas jamais.

1652 est à la fenêtre lorsque le bruit de la porte se fait à nouveau entendre. Il se tourne vers l’autre homme l’air détaché, presque froid. Sa peau n’est pas glacée, mais la sensation de la pluie lui colle encore à la peau. Il avance dans la lumière, il n’a rien de plus à dire. Rien de plus à amender. Il attend son verdict, sa sanction.

Et tout ce qu’il aura gagné cette nuit-là, c’est le poids chétif et frêle d’un autre voulant se reposer contre lui. 1652 referme ses bras sur Amaury et souffle doucement, observant le mur face à lui, tentant d’apaiser une âme qu’il devine aussi meurtrie que la sienne.

« Autant que tu voudras. »

Il n’avait plus rien à perdre, s’il y pensait bien. Il n’avait certainement plus grand temps devant lui. Un sourire étire la commissure de ses lèvres et il repousse à peine Amaury, passant ses mains caleuses dans les mèches brunes encore trempées d’eau. Peut-être bien que…

1652 pose ses mains sur les épaules d’Amaury, le forçant à se séparer de lui avant de se détourner, retournant à la fenêtre, ses pas son silencieux, et une fois rendu là, sa respiration contre la vitre froide laisse un voile léger de condensation obscurcir la vue. Du bout des doigts, il écrit son nom avant de tirer sur le cordon des stores occultants.

« Si tu acceptes de faire tomber ton masque, je resterai. Je n’ai qu’une parole, Amaury. »

Il ne voulait pas de faux semblants. Il ne voulait pas d’étiquette. 1652 se tourne vers le conseiller et d’un nature impudique, il ôte enfin le tissu trempé couvrant son torse, le faisant tomber au sol dans un son quasi visqueux, revenant d’un pas mesuré vers le brun. Il touche enfin sa joue, un sourire amusé éclairant à peine ses traits.

« Ce que tu caches au Conseil, je n’en ferai rien. Je ne suis pas là pour ça. Je cherchais simplement un abri contre la pluie… Et toi… Toi tu étais là. »
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