● @08-M-1652

Il n’y avait rien de plus frais que de sentir la pluie. Rien de plus beau que d’observer les nuages s'amasser dans un tas difforme au-dessus des têtes pour venir pleurer. Il y avait quelque chose d’assez envoûtant dans ce décor, de voir les gens se presser à vive allure sous leur parapluie sombre, traverser la route dans un bruit de clapotis, se serrer pour ensuite venir se faire engloutir par une bouche de métro. Ils semblaient ne former qu’un seul et même monstre, quelque chose de fade, gris et gluant. Sa chair aurait pu traîner au sol, sa gueule avaler chaque passant. Il lui semblait bien qu’au final, les hommes finissaient par dévoiler leur vraie nature. N’est-ce pas là un aperçu de ce qui l’attendait ?

Les gouttes perlaient de plus en plus aux pointes de ses cheveux, elle n’avait pas pris soin de s’armer d’une protection, un vieux journal avait fait l’affaire. Il gisait maintenant entre ses mains, tremper et visqueux et de ses doigts elle s’amusait à le dépecer morceaux par morceaux. Mais son attention était portée ailleurs, sur cette foule qui s'agglutinait sur le trottoir en face. Elle ne pouvait s’empêcher d’observer la montagne de détails qui s’offrait à elle, cela était semblable à un jeu télévisé. “Comptez le nombre de personnes qui portent du rouge et vous remporterez une récompense !” Elle s’était arrêté au numéro onze. La récompense sera pour une prochaine fois.

Un bruit sur sa gauche la tira de son jeu et elle tourna légèrement la tête, venant dégager un amas de cheveux noirs qui lui collaient au front. Elle jeta nonchalamment le journal déchiré sur le côté avant de se le laisser choir contre le banc, se malaxant les mains d’ennuis. Son regard se porta sur la personne à ses côtés, elle observa silencieusement la courbe de son visage, son nez, ces cils, sur lesquels la pluie venait se déposer. Elle soupira avant de finalement croiser les bras, ennuyée. “Je crois que j’ai oublié de vérifier la météo ce matin.” Elle se pinça les lèvres, visiblement agacée de ne pas avoir prévu un second plan pour la journée en cas d’intempérie. “Tu veux faire quoi ? On reste ici ou on bouge ?”

● @08-M-1652

Les mouvements sur sa gauche ne la firent pas tressaillirent, elle se laissa faire, presque instinctivement. Quelque chose chez Arun l'apaisait plus qu'elle ne voudrait l'admettre, elle appréciait ses manières, ses gestes, il devait faire partie de ces rares personnes chez qui 0746 appréciait le contact, elle qui s'échappait à  la moindre occasion quand un rapprochement devait avoir lieu. Mais pas chez lui, non. Elle aimait secrètement sa présence. L'évocation des examens et de la milice la ramena brusquement sur terre, comme si en parlait effacer toutes sensations de flottement, les mille battements dans son ventre se stoppèrent. Elle détourna les yeux, en colère de devoir penser en priorité à cela. Triste de constater qu'il avait raison.

Sa vision se troubla un instant sous la pluie quand elle sentit sa joue s'écraser sous le contact des lèvres de son ami, la faisant se tourner vers lui un peu surprise, les gouttes de pluie effaçant rapidement la sensation du baiser. Comme une enfant vexée, 0746 gonfla légèrement les joues après la remarque, forcer d'admettre qu'il n'avait pas tort. Mais le sourire d'Arun effaça sa consternation, jamais elle n'aurait pu en réalité être en colère contre lui. Sinon, cela ne durait guère longtemps. Elle s'empressa de lui saisir sa main, prête à le suivre n'importe où, loin de tout ce merdier ambiant. “J'ai pas spécialement envie de retourner au foyer.” souffla-t-elle presque gênée, elle n'avait pas envie de se remplir le crâne à coup de problèmes mathématiques, elle en avait assez goûté la nuit dernière. Et la migraine n'en avait été que désastreuse.

0746 marchait d'un pas lent, elle pouvait sentir tout son corps s’alourdir, ralentir, comme si à ses pieds des poids avaient été attachés. La fatigue la fit bayer aux corneilles, elle ne prit pas la peine d'être discrète. Elle se frotta ensuite frénétiquement les yeux de sa seule main libre, de l'autre elle tenait toujours celle d'Arun, elle avait oublié ce détail, c'était presque devenu une habitude dont elle ne pouvait se détacher. Dont elle ne voulait pas se séparer. Elle avait parfois peur de le laisser partir, de le voir disparaître à travers la foule, se faire engloutir par InneR-A13. Elle ne faisait que repousser l'inévitable, lui qui avait été un repère pendant des années. Un pincement au cœur la fit serrer les dents, elle referma un peu plus sa prise sur la main de son compagnon, avant de balayer d'un mouvement de tête des pensées obscures. ”Dis Arun, tu te vois comment toi plus tard ?”