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Le vent souffle dans leurs cheveux et Amaury se rapproche d'Aden, presque serré contre lui. Ce n'est pas de la peur qu'on peut déceler dans ses yeux, mais une simple curiosité. Il s'était toujours questionné sur le néant qui les entourait, incapable d'accepter simplement son existence sans broncher. Il devait y avoir quelque chose derrière ces ténèbres.
Comme lui demande Aden, il tend l'oreille, intrigué. Il y a un bruit, dont il ne reconnaît pas la provenance. C'est un grondement, un roulement régulier qu'il n'a jamais entendu auparavant. De grands yeux d'or se lèvent vers Aden, stupéfaits.
Est-ce le vrombissement de machines au loin qu'ils peuvent entendre ? Amaury n'a aucune idée de ce qu'il entend alors, mais une lueur d'espoir s'allume timidement au fond de lui, remuant ses entrailles, serrant son coeur. Peut-être qu'il y a une porte de sortie. Peut-être qu'un jour, ils pourront voir "le monde".
Est-ce que ce bruit avait toujours été là ? Dissimulé par l'agitation de la ville, le brouhaha constant qui agitait Inner-A13 ? Le vent qui agitait ses mèches bicolores était soudainement plus frais, plus léger, plus nouveau. Peut-être qu'il y avait quelque chose, loin, très loin d'eux. Quelque chose qui valait la peine d'être découvert.
Aden doutait néanmoins qu'Amaury s'amuse à longtemps les limites de la ville, rien que pour le plaisir de profiter de l'immensité sombre et silencieuse qui s'étendait au delà des limites. Toute fois, Amaury était toujours plein de surprises, pas vrai ?
* C'est de l'eau, que tu entends.
Un sourire s'était vaguement affiché sur ses lèvres, et ça n'avait rien d'un sourire satisfait, bien au contraire. Il avait l'air inquiet, il avait l'air de perdre un peu le contrôle de ce qui, jusqu'ici, était considéré comme acquis : au delà de la ville, il n'y avait rien. Qu'un vide sans fond, sans rien ensuite.
* Je l'ai observée plusieurs fois, et j'ai l'impression qu'elle monte.
Ce n'était pas la première fois qu'il venait. Il l'avait observé, via plusieurs quartiers, pour plusieurs points de vue, mais le 4e était le plus silencieux à ce point là, de son point de vue, il était donc facile de ne croiser personne et de faire son tour. Il serra la main d'Amaury dans la sienne, sans vraiment s'en rendre compte.
Il a envie de lui dire qu'il a peur. Au moins un peu. Ce n'est pas encore la panique, mais se dire qu'ils vont peut-être se retrouver submergés un jour l'angoisse. Il ne sait même pas pourquoi il en vient à de telles conclusions, d'ailleurs. Il se contente de relever les yeux vers Aden - et dans un geste un peu désespéré, vient poser sa joue contre son épaule, tournant le regard vers l'étendue sombre.
Amaury demande tout bas, chuchotant presque. Il ne veut pas lâcher la main chaude d'Aden, il se dit qu'ils vont bientôt devoir rentrer et ça l'emmerde. C'est privilégié, comme moment.
Oh, ça va hein. Il a le droit de rêver un peu, regardez ils se tiennent la main et ils sortent dans la ville de nuit. C'est romantique non ? Si ça se trouve, Aden le tenait par la main parce qu'il avait peur du vide. C'était possible aussi. Un soupir le traverse.
Autant prononcer les mots fatidiques soi-même, hein.
* Ça va nous poser bon nombre de problèmes, et il va falloir l'annoncer publiquement avant que ça ne nous dépasse.
Ils ne pourraient pas éternellement le cacher, certains s'en rendrait vite compte, et c'était peut-être même déjà le cas. Il grimaça à l'idée que ça puisse être le cas, d'ailleurs avant de se détacher d'Amaury lorsqu'il finit par dire qu'il fallait rentrer. Il avait encore des choses à lui dire, mais il supposait qu'Amaury avait peur, qu'il n'était pas prêt. Ça l'avait un peu refroidi.
* J'imagine.
Il tonne, ferme, sa voix tremble, presque grinçante. Aden va le prendre pour un fou furieux. Il va penser qu'Amaury veut le jeter par dessus les barrières, dans l'eau tout en bas. Son "non" résonnerait presque dans l'immensité sombre, intimidante, terrifiante. Un sourire timide trouve son chemin jusqu'à ses lèvres gercées. Putain, il est moche, il se dit. Surtout en comparaison d'Aden, Aden tout puissant et si beau avec ses grands yeux dorés et ses cheveux clairs. Lui, en comparaison, il est... Il ne sait pas trop. Un petit bout de femme à moitié mort, à la limite. Il vivote, Amaury. Mais pas cette fois. Il voudrait bien montrer, à Aden, à quel point il peut briller, lui aussi, à quel point il peut être vivant.
Mais bon, peut être pas cette fois. Il ne parvient qu'à luire faiblement, à peine. Sa voix se tarit vite. Il déglutit et regarde Aden comme s'il ne savait plus où se mettre.
C'était dur. Bien sûr que ça l'était. Il espérait de tout son coeur qu'Aden ne le prenne pas pour un fou furieux. Et qu'il accepte, aussi, accessoirement, même si Aden avait eu l'air déçu et qu'Aden n'est jamais déçu impunément. Il se retient de soupirer, cette fois.
Tout à coup, Amaury vire à l'over dramatique sans raison. Voilà qu'il a changé d'avis et souhaite absolument rester, ayant probablement bien compris qu'Aden ne voulait pas rentrer tout de suite. Ce dernier essaye d'ignorer ces quelques secondes un peu gênantes avant de détourner les yeux vers l'horizon sombre, flou, qu'on ne discerne pas là bas. Il tire sur la barquette de fruits dans sa poche et l'entrouvre avant de piquer avec sa petite fourchette dedans, grignotant un morceau de kiwi, pensif.
* Si l'eau continue à monter, qu'est-ce que tu penses qu'on y trouvera, dedans ?
Il eut un sourire triste, nerveux et triste avant de montrer d'un signe de tête la petite plateforme où étaient pratiqués les bannissements.
* Imagine la panique si des centaines de corps flottent là dedans.
Il n'en savait rien, Aden n'avait aucune véritable notion de mort ou même d'éventuelle décomposition des corps, mais il se doutait que voir des bannis refaire surface - littéralement - ne serait pas une très bonne nouvelle pour personne, finalement. Mais il ne semblait pas que c'était la seule chose qui l'inquiétait.
Bon sang, il va se jeter dans l'eau. Qu'est-ce qu'il est con, c'est quand même incroyable. Il préfère ne rien rajouter, histoire de ne pas avoir envie de se foutre le feu immédiatement, et surtout histoire de ne pas aggraver son cas.
Au final, Aden propose une alternative qui lui donne envie de vomir, et à choisir, il préfère les poissons. Il lance un regard effrayé et dégoûté vers les ténèbres. Quelle horreur. Si ça se trouve ils étaient encore tous vivants. Ça, par contre, c'était inquiétant. Non, il n'y avait pas moyen. La chute était trop rude. Il supposait qu'ils chutaient. Parce que jusque là, il était persuadé que les bannis disparaissaient simplement une fois jetés hors de la ville. C'était ce qu'il s'était dit quand il était petit et il n'avait juste jamais changé de version.
Il soupire doucement, et, Aden lui ayant rappelé l'existence de leur nourriture, commence à manger des fruits distraitement, lui aussi. Ça va juste réussir à lui donner faim sans parvenir à le caler, mais bon. Finalement, il relève les yeux vers Aden mais ne dit rien, curieux de voir s'il avait d'autres choses à lui raconter.
C'est fou mais la petite remarque amusante d'Amaury n'aurait clairement pas dû le faire sourire, et pourtant le voilà qui esquisse l'ébauche d'un sourire amusé. Finalement, oui, il y a sans doute des poissons là dedans, c'est ce qu'on leur a apprit, eau = poisson, pourquoi s'inquiéter d'y trouver des corps, il est peut-être paranoïaque, voilà tout.
* Je préfère ta version.
Un regard dans sa direction, il croque dans un morceau de pomme et à nouveau ses yeux se font plus doux, plus tendres lorsqu'ils observent Amaury. Il l'apprécie et ne cherche pas à s'en cacher, alors qu'ils ne sont que tous les deux, à un endroit où personne ne viendra les chercher.
Lorsqu'un bruit sourd, un genre de grognement venu des tréfonds de l'obscurité raisonne, Aden se fige, il se pétrifie, devient livide. Peinant à retrouver sa respiration lorsque silence se fait à nouveau, ses yeux n'ont pas quitté Amaury.
Il préférait largement des poissons innocents, à des montagnes et des montagnes de corps détrempés. Il ne devait pas être le seul, il supposait qu'à choisir, tout le monde préférait les poissons.
Le grondement sourd le fait sursauter violemment - et pendant un instant il n'arrive pas à même comprendre qu'il a entendu quelque chose. Ça semble irréel, encore plus que les tremblements doux des vagues. Sa bouche s'entrouvre, alors qu'il cherche à exprimer sa surprise, mais au final il se tait simplement et se contente de se serrer contre Aden. C'était terrifiant. Il se sentait énormément en danger, vraiment.
Il murmure, sa main allant chercher la manche d'Aden pour s'y accrocher comme le ferait un enfant perdu. Finalement, il recule de quelques pas, entraînant Aden avec lui.
* On rentre.
Il peine à cacher sa peur et son désarroi dans l'instant, si ce bruit vient d'en bras, ce qui l'a produit devait probablement être énorme. Aden n'a pas spécialement envie de rester là pour l'apprendre. Il soupire faiblement et tire Amaury derrière lui.
* Je te ramène chez toi.
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