Page 1 sur 3 • 1, 2, 3
Qui sait.
Il allait être banni. Il le savait. Et Amaury était mort de trouille. Une peur incisive, peut-être que c'était pour ça qu'il n'en dormait plus de la nuit. Une anomalie, voilà ce qu'il était. Pas de transition, pour un neutre ? Des relations ? Sexuelles, qui plus est ? Et puis d'autres choses. Il y avait une petite masse ronronnante qui se faufilait régulièrement chez lui. Mais ça, passe encore. Il n'osait plus se regarder dans la glace, lui et son corps anormal, passible de bannissement. Il allait être banni. Il avait rendu justice lui-même, un jour ; ça venait de lui revenir, un souvenir d'antan, il avait cru à un cauchemar au début, mais c'était bien réel.
Il avait besoin de fuir - c'est ce qu'il fit, un peu désespéré - et il avait l'air vraiment trop con une fois là, dans la rue, en pleine nuit. Désorienté. Qu'est-ce qu'il était con. Incroyable. Amaury resta là, ébahi, hébété au milieu du trottoir. Heureusement, il n'y avait personne pour le voir dans ses derniers retranchements, dans ses pires moments. Il soupira, doucement, se retournant pour remonter dans son immeuble. C'était impossible de fuir de toutes façons.
Assis sur le bord de la troisième marche du perron du bâtiment 6 du bloc 43, Aden était en train de grignoter des morceaux de melon, coupés en petits carrés bien réguliers. Il détailla Amaury quelques instants, sans pour autant se redresser, avant de reporter son attention sur son téléphone, visiblement l'esprit occupé.
* Pourquoi es-tu debout à cette heure ?
Où pensait-il aller ? Est-ce qu'il était toujours en train de mener son enquête ? Oh, Aden n'était pas - encore - au courant de tous les petits travers de son protégé, mais est-ce que ça l'aurait vraiment dérangé ? Après tout, lui même n'avait aucune bonne raison de se trouver où il était.
Il était juste au bord du gouffre et clairement ce n'était pas Aden, Aden dans toute sa beauté impassible, qui allait l'aider. Au pire, il le tuait maintenant, ça ne le dérangeait pas. Peut-être qu'il aurait dû arrêter d'être dramatique comme ça.
A peine suspect, tiens. Il tourne les talons, observant la large porte vitrée et remontant les marches. Putain. Il est tellement con. En train de foutre sa vie en l'air alors qu'une occasion en or s'était présentée à lui. Mais bon, hein. Les vieilles habitudes, tout ça.
Il soupire, se redresse doucement, un peu difficilement, avant de soupirer tout bas. Amaury ne va pas bien. Il suppose que c'est probablement le cas d'un peu tout le monde, bien sûr, mais tout de même, il n'aime pas voir cette nervosité, ce stress. il n'était pas venu pour lui réclamer un rapport tout de suite, comme ça. Il époussette ton pantalon et jette la petite barquette de melon dans la poubelle du hall, alors qu'il lui emboîte le pas. Et alors, Amaury va grimper dans les escaliers et il va le suivre au pas de course ? Ils vont se retrouver coincés dans l'ascenseur tous les deux ?
* Attends, s'il te plait, Amaury.
Il semble songeur. Il n'est pas venu avec un but précis. C'est compliqué de l'exprimer mais... Il y a quelque chose, dont il veut être sûr. Il tend la main et passe ses doigts autour du poignet d'Amaury, un peu mollement, sans vraiment chercher à le faire rester, juste pour appuyer ses mots.
* Je dois te montrer quelque chose.
Machinalement ses doigts noués autour du poignet d'Amaury caressent sa peau tendrement, alors qu'il le dévisage avec insistance.
Qu'est-ce qu'il veut lui montrer ? Il plisse les yeux, silencieux, bouche bée même. C'est rare, ça. D'ordinaire, c'est plutôt lui qui colle aux basques d'Aden - même s'il fait de son mieux pour ne pas être un boulet, parfois il ressemble étrangement à Lucian, en plus extraverti, on va dire. Parfois, il a honte, mais en général, il ne fait que ronronner comme un chat en manque d'affection en se mettant coûte que coûte dans les pattes de son supérieur. Parce que la lèche, c'était encore ce qu'il savait faire de mieux, n'est-ce pas ? Ouais.
Il soupire, désobligé. Il aurait pu croiser les bras, essayer de se rendre plus grand, plus intimidant, mais c'est dur, surtout devant Aden, et honnêtement, il ressemble plus à un vieux chewing-gum séché, enfoncé sur le pavé qu'autre chose à l'heure actuelle.
Une pause. Il claque doucement la langue contre son palais.
Amaury semble retrouver du poil de la bête dès lors qu'Aden commence à vouloir le retenir et Aden ne serait l'expliquer, mais ça lui fait tout de même tout drôle. Quelque chose qu'il ne saurait expliquer, lui qui pourtant sait mimer à merveille les émotions. Cette fois c'est différent. Au bout de quelques instants de silence, Amaury lui souffle qu'il aurait dû garder du melon, Aden lâche son poignet et recule un peu avant de sourire. Son sourire habituel, assez distant, les revoilà en terres connues.
* Ce n'est pas comme si tu le méritais.
Après tout, pour le moment il ne lui avait strictement rien ramené, en matière d'informations, pas vrai ? Aden soupira doucement, avant de faire volte face.
* Allez, viens.
Et il commença à marcher d'un pas tranquille, en direction du 4e, l'esprit visiblement occupé. C'était absolument hors du commun de voir Aden se balader comme ça, sans escorte, dans les quartiers. C'était acquis pour tout le monde qu'il ne le faisait pas. Et pourtant.
Amaury le suit, la mine sombre et les yeux inquiets. Il redoute encore de croiser quelqu'un, que ce soit un pénitent égaré, un conseiller curieusement incapable de dormir ou un vagabond, Moineau peut-être. Un maigre soupir lui échappe, il accélère la cadence pour arriver à la hauteur d'Aden, serrant ses bras contre lui-même dans une vaine tentative pour se réchauffer. Il ne sait pas s'il fait si froid que ça, mais la fatigue et l'angoisse le forcent à se sentir frigorifié.
Finalement, ils parviennent au quatrième district, aussi calme que d'habitude. Aussi calme que tous les autres, il ne comprend toujours pas pourquoi Aden le traîne ici. Une petite partie de lui prend peur. Est-ce qu'Aden cherche à l'éliminer ? C'était possible, mais il refusait d'y croire. Ce serait stupide de la part d'Aden. Pas vrai ? Oui. Certainement. Le poing sur la hanche, il ralentit la cadence, les sourcils froncés et la mine accusatrice.
La remarque lui était restée en travers de la gorge, il fallait croire. Au final, il baisse la tête pour observer le goudron, presque penaud.
Il souffle, fort, avant de lever les yeux au ciel. Amaury l'agace, mais d'une bonne façon, d'une façon qui ne lui donne pas envie de l'emmener au bout d'un quartier et de le jeter dans le vide, finalement. C'est plutôt une bonne nouvelle pour lui, cela va s'en dire.
* Tu m'aides déjà en me soutenant, continue et ramène moi des informations.
Passant devant un grand bâtiment, il glisse son téléphone contre le petit mécanisme à gauche de la porte, qui émet un cliquetis avant de s'ouvrir sur un bruit, il la pousse et invite Amaury à entrer.
* Prends quelque chose à manger, c'est un rendez-vous.
Il lance ça, comme ça, sans vraiment y réfléchir. Puis le voilà qui récupère une nouvelle coupole de fruits plus variés, frais de la veille et récupère une petite note pour inscrire sur le carnet des stocks qu'il est passé par là, et qu'il ne s'agit pas d'une anomalie. Il souhaite également bon courage aux pénitents travaillant dans le bâtiment, probablement pour le lendemain.
* C'est bon ? Ce n'est pas notre destination, nous devons encore marcher quelques minutes.
Alors ils n'en avaient pas fini avec leur balade ? Quelle fabuleuse aventure. Il se doutait bien qu'ils n'allaient pas prendre racine dans ce bâtiment précis. A moins qu'Aden veuille lui enseigner les bienfaits d'une consommation saine et variée, cela n'avait aucun sens.
Il avait froid. Il faisait frisquet, non ? Enfin, il ne s'en plaignait pas pour autant, c'était le meilleur moyen pour qu'Aden lui indique subtilement de se la fermer. Les voilà donc en train de marcher sans but, enfin de son point de vue ils ne faisaient qu'errer dans les rues vides de la ville, vulnérables et facilement éliminables. Quelle joie. Il fallait croire qu'il était un peu paranoïaque depuis son altercation avec Moineau. Mais ça, Aden n'avait pas besoin de le savoir, en tous cas s'il n'était pas déjà au courant. Il eut un soupir. La nuit allait être longue.
Il avait murmuré, après avoir marché encore de longues minutes, et s'être engagé dans une rue un peu trop étroite, trop sombre, trop cachée. Mais il marchait d'un pas trop déterminé pour s'y arrêter, et bientôt il s'arrêta, tout près de la côte, du spot du quartier où les bannissements se faisaient, parce qu'il y avait ici une vue imprenable sur le vide. Vide ? Oui, il lui semblait, enfin...
* Approche.
Il murmura, avant de prendre ses doigts entre les siens pour les serrer fort. Ça semblait dangereux vu comme ça, mais ça aurait pu l'être pour l'un comme pour l'autre, visiblement il lui faisait beaucoup confiance. Il s'approcha du bord - bien qu'il soit sécurisé, en l'absence de cérémonie de bannissement, on était jamais à l'abri d'un facheux accident - et tendit la main vers le vide.
* Écoute.
Silence. Ou peut-être pas. En vérité si on tendait bien l'oreille, on entendait un bruit lointain, régulier, un bruit qui semblait étrangement familier : celui de l'océan.
* Tu entends ?
Page 1 sur 3 • 1, 2, 3
|
|