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Tu sais. Tu sais que t’as le tempérament le plus court de toute la cité depuis des semaines. Que t’as perdu ton sang froid tellement de fois depuis que t’as rejoint Liberté que tu mériterais de te refaire bannir juste parce que tu penses trop facilement avec tes poings et pas assez avec ta foutue cervelle. Mais c’est plus fort que toi. T’arrives plus à maîtriser. C’est venu trop vite, trop fort, tu veux juste trouver une solution. T’es pas un héros, tu le seras jamais, t’es même un anti-héros, parce que tu trouveras jamais comment faire, mais t’essayes, et tu patines, et tu sais. Tu sais que si tout ça te fout autant hors de toi c’est parce que la réaction de Topaze est juste… Elle résonne avec toi. Parce que tu sais qu’à peu de choses près, ça aurait pu être toi. T’aurais pu avoir un geste malheureux. T’aurais pu être ce connard qui a collé une droite à votre petit éclat de lune. Parce que tu sais mieux que personne que les choses auraient pu déraper pour toi.
Sauf que toi, toi t’aurais pas pris la fuite pour ne pas être retrouvé. T’aurais pas fait ça. T’aurais ptet disparu quelques heures, mais putain, tu serais revenu t’excuser. Tu serais revenu chercher le pardon de Pomme, t’aurais demandé, comme ce gamin écorché que t’as toujours été qu’elle te prenne dans ses bras et que vous fassiez la paix autour d’un ptit bout de repas que vous auriez mis au point ensemble. T’aurais aimé ça. Aimé que Topaze fasse ça aussi. Mais c’est pas ça. Ce sera pas ça, pas vrai ? Depuis quand tu cherches, déjà ? Depuis quand tu ressens encore ce sentiment comme s’il pouvait t’écraser ? Comme si ton propre nom pouvait t’étouffer.
Parce que lui aussi t’a abandonné. Et ça te rend fou. Fou de colère, fou de détresse, fou de peine. Tu veux retrouver Topaze. Tu voudrais… Tu voudrais tellement de choses, mais t’auras rien. T’auras rien parce que tu mérites rien.
Tu ramènes ta paume écorchée contre ton visage, étire la pluie contre tes tâches de rousseur, et tu sens que ce froid infecte commence à te ronger. Tu trembles et tu sens que ce soir tu seras bon pour aller te rincer dans un baquet d’eau glacée avant de te pelotonner avec qui voudra près d’un feu. Tu vas choper la mort. T’en es sûr.
Tirer ta capuche sur ton visage, tu reprends ta marche et sort de la ruelle, tu te meus sans aucune différence du reste des pénitents, cachés pour la plus grande partie sous cette nouvelle invention qu’est le parapluie. Oui. Ils voilent l’horizon de gris et de noir, ces macchabés du douzième. Tous les mêmes, peu importe le quartier, tu le sais bien. Mais le souci, c’est que t’as beau te fondre dans la masse, tu prévois pas le ralentissement dans la rue. Tu prévois pas que ta vision obscurcie par toutes ces toiles couvertes d’eau cachent un barrage de la milice. Et t’es là, à de retrouver pris dans cet agglutinement de moutons. Et toi. Toi. T’éternues.
Tous les regards se braquent sur toi. Et tu sais que t’as foiré. Un silence semble durer une éternité avant que les ordres aboyés par les quelques hommes de la milice fassent se tendre toute la population t’entourant. Et comme une balle à blanc, tu pars à la vitesse du vent, sautant une rambarde et t’engouffrant dans l’obscurité, courant pour ta vie, les pas précipités des miliciens te traquant, ne perdant pas leur souffle, ne souffrant pas du froid, ne souffrant de rien. T’as bien un couteau sur toi, mais tu pourrais rien en faire. Pas comme ça. Pas là. Pas avec trois poursuivants.
C’est qu’un angle de rue. C’est qu’un putain d’échec quand à l’angle suivant, tu t’écrases contre la silhouette frêle d’une personne inconnue qui sortait d’un bâtiment aux portes sombres. Un immeuble d’habitation. Tu éclates le cadre de la porte de ton pied pour forcer la porte à rester ouverte, rattrape in extremis la personne qui avait eu le malheur d’entrer en collision avec toi, et tu l’écrases d’autorité contre ton torse lorsque tu la traînes à l’intérieur de ce qui se trouve être un local à poubelles. La porte se referme dans un clac audible, la lumière automatique de la pièce clignote, vacille, défaillante. Dysfonctionnelle, comme toi.
Tes mains larges et calleuses retiennent l’inconnue, son dos étroit plaqué contre ton torse, une main agrippant sa taille si fort qu’elle aurait dû en garder la marque, mais pas elle. Pas une pénitente. Un flash, un clignotement, du blond candide entre dans ton champ de vision, et ta main halée sur le bas de son visage bloque sa bouche, sur un visage à la peau douce. T’es un sauvage. Un sauvage et tu oses espérer qu’elle ne criera pas. Mais tu insistes, plus que de tes seuls gestes, murmurant d’un souffle coupé par l’effort, te moquant éperdument que tes vêtements trempés commencent à traverser le tissu de la demoiselle.
« Tais-toi. Ne dis rien. Je ne te ferai rien. »
Hush, hush
Avec ta chance, tu as dû tomber sur une milicienne. Sur un membre du Conseil. Avec ta chance, ils vont sûrement entrer dans ce local, armés, et t’abattre sans sommation. Et ils auraient raison, tu imagines. C’était bien ça leur travail, après tout ? Non ?
Mais rien ne se passe. Les pas poursuivent leur route, la pluie battant dehors est encore un écho patient, et quand tu réalises qu’il ne reste plus que ta respiration saccadée pour troubler le silence, tes mains sur elle se détendent, sans la relâcher pour l’instant alors que le dos contre le mur, tu laisses aller ta tête en arrière et ferme les yeux, essayant de calmer la peur qui fait tambouriner ton cœur et te fracasse d’une dose d’adrénaline qui pourrait sûrement te mettre par terre en d’autres circonstances.
Tu n’as pas le temps de te reposer Kai. C’est pas le moment. Tu déglutis et tu te penches à son oreille, soufflant doucement.
« Merci de ton silence… Si je te relâche, je peux te faire confiance pour ne pas détaler et vendre ma peau instantanément ? »
Oh, il se doute bien, oui, elle finira par le rapporter. Après tout les pénitents sont si… dociles. L’idée t’irrite. Tu relâches ta main sur son visage après un temps de silence, lui rendant le droit à la parole. Mais tu ne la relâches pas. Elle ne pourrait pas fuir sans se battre. Mais là, avec toute la milice à ses trousses… Il imagine bien qu’il va devoir rester ici au moins un moment.
Hush, hush
* Est-ce que tu es un de ses amis ?
Est-ce que c'était pour ça qu'il était dans les parages ? Non. Sûrement que non. Mais. Elle avait besoin d'informations, elle en avait cruellement besoin. Alors elle reprit, non sans une pointe d'hésitation dans la voix.
* Topaze ... ?
Mais t’as pas le temps de t’interroger plus que ça sur le sujet, non. Parce que sa question te prend au dépourvu. Tu tournes ton regard vers elle, et malgré les sursauts de l’éclairage, tu devines qu’elle est… ravissante. Putain Kai. Pourquoi. Pourquoi t’es toujours le premier à remarquer ce genre de détails au moment le plus inopportun ? Tu serres les dents et plisse les yeux. Tu fronces même juste un peu le nez, et ça met en avant tes tâches de rousseur, encore. Toujours.
« Un ami de qui… ? »
D’un membre du Conseil ? De Léandre ? Parce que t’es chez lui, ici. T’y penses depuis des jours. Mais ça n’a pas de sens. Tu n’as jamais une fois montré tes liens avec le responsable du douzième à qui que ce soit. T’es pas assez idiot – quoique – pour faire des erreurs aussi flagrantes. Même si de toute évidence… Oui, hein… Si tu avais reçu un ordre de bannissement, ce n’était somme toute pas sans raison. Tu inspires et essaye de te calmer. Mais là. Là dans la bouche de la demoiselle.
« Topaze ? »
Ta voix est serrée, tellement serrée. Tu ravales ta peur et te dis que tout le monde ne peut pas le connaître sans raison. Que peut-être.
« Il va bien.. ? Il- Il est en sécurité… ? »
Parce que ta première réaction n’est même pas de savoir où. Mais seulement d’être sûr même un instant que ton partenaire n’a pas été attrapé. Mais t’as pas le cœur à te mentir une seconde de plus quand tu susurres, refermant plus étroitement tes doigts contre le flanc de l’inconnue.
« T’es de la milice… ? »
Hush, hush
* Il va bien. Il est en sécurité.
Alors qu'il demande si elle est de la milice, ses joues rosissent davantage. Comment peut-il bien penser une telle chose, alors qu'elle est à peine capable d'aligner deux mots sans bafouiller de façon pathétique ? Elle le scrute, avant de relever une main pour s'accrocher au tissus trempé sur son épaule et secoue négativement la tête doucement.
* N-non, bien sûr que n-non...
Topaze va bien. C’est avec juste un certain délai que tu réalises le poids de ses mots et que là, là dans cet étau insensé qu’est votre rencontre, tu laisse enfin un soupir t’échapper, tes épaules s’affaissant de soulagement. Topaze est en vie. Topaze va bien. Et tu scrutes son visage, cherchant une seconde le mensonge sur ses joues rougies avant de détourner les yeux. Mais ça se remue en toi, comme un chat qui se prélasse au soleil et se tord de tout son long. Tu le sens. Et ça t’agace. Mais elle n’est pas de la milice. Ça devrait aller, n’est-ce pas ?
Alors tu finis par relâcher ta prise sur elle et doucement, tout doucement, tu ôtes ton bras de sa taille et ferme les yeux, ramenant ta main à ton visage encore trempé de pluie, repousse ta capuche en ratissant ses mèches rousses détrempées de tes doigts. Puis tu croises à nouveau son regard. Elle est proche. Vraiment proche.
« Désolé pour- »
T’avoir prise à partie, en otage, même. De t’avoir fait peur, d’avoir été un parfait goujat aussi. Désolé d’être un tel sauvage. Désolé de –
« O-oh- »
Tu piques un fard monumental lorsque tu réalises, à retardement, que tes vêtements trempés ont totalement imbibé les siens, et que… Tu détournes les yeux, non pas sans avoir eu l’indécence et l’indélicatesse de dessiner des yeux les lignes délicates de la lingerie qui pare la peau pâle de la demoiselle. Dieu merci, la lumière clignote, et vous offre un instant d’obscurité.
« Je… T-ta chemise est trempée… »
Et de blanc… Tout est révélé. Oh Kai. Qu’est-ce que t’as foutu encore ? C’est pas le moment.
Hush, hush
* Oh bon sang.
Son parapluie ? Elle avait dû l'oublier, au final, elle n'en savait trop rien, le résultat aurait été probablement le même si elle n'avait pas rencontré l'inconnu. Elle se retourne, heurte violemment son torse, n'a même pas le réflexe de reculer. Quelle imbécile.
* Oh. Je. Je suis désolée !
La pauvre ne sait plus où se mettre.
« C-ça va… ? »
Oof. Apparemment pas. Elle se crashe contre ton torse et tu sais plus où te mettre quand tu sens ses formes contre toi. Tu détournes le visage et bénis l’obscurité de cacher cet instant au regard de tous, à vos propres yeux en premier lieu.
« O-ok attends je… Bouge pas. J’te tiens. Va pas te casser la figure avec tes talons ou- j’sais pas. Bouge pas. »
Oui, il est pas le plus pertinent, putain, pris au dépourvu par une gamine, qu’est-ce que tu fous Kai, sérieux ? Tu déglutis et ne fait rien pour la repousser avant de repousser ta veste de tes épaules. Oui, elle est trempée, mais elle en a plus besoin que toi, et elle tombera pas malade, elle. Tu la passes calmement autour d’elle et… le tissu est chaud de toi, évidemment. Il porte aussi ton odeur, et peut-être l’odeur de la pluie surtout. T’es ptet vagabond mais t’es clean, ton hygiène en a pas trop souffert, tu survis aux bains froids, et la pluie est pas spécialement glacée.
« Tiens ça… Cachera… Bref. »
Sauf que tu relâches pas la petite demoiselle. T’hésites et tu t’éclaircis la voix, mal à l’aise.
« Ton nom ? J’veux pouvoir te retrouver. »
Retrouver Topaze, Kai. Retrouver Topaze. Mais le mal est déjà fait, et t’as pas un seul foutu regret parce que t’as toujours été comme ça, emporté, trop précipité. Et… Putain, tu fais rien de mal, arrête de culpabiliser. Tu relâches doucement ses épaules à elle et tu te sens comme un chien trempé. Tu vas jamais passer inaperçu maintenant. Tant pis… Tu… Vas essayer les souterrains. Avec un peu de pot tu croiseras Chouchou avant de croiser Vengeance. Tu peux pas avoir tant la poisse.
« Et… Dis à Topaze qu’Abandon le cherche… Pomme aussi. On- On s’est fait du souci pour lui. »
Un silence, tu veux paraître fort… Mais le silence se meurt alors que tu détournes vivement la tête pour éternuer. Putain.
Hush, hush
* 12-F-4434.
Elle souffle, sans bafouiller, par habitude, parce qu'on le lui demande souvent au travail, pour subir n'importe quelle remontrance. Elle relève les yeux vers lui lorsque la lumière revient, se heurtant immédiatement au vert de ses pupilles, le souffle un peu court. Elle reste ainsi de longs instants, avant d'entrouvrir les lèvres à nouveau.
* Kate, c'est Kate.
Silence, elle hoche doucement la tête, promet qu'elle le lui dira, même si elle sait d'avance que ça ne se passera pas aussi bien que ça devrait se passer. Elle le sait puisque la seule évocation de son statut de vagabond à Topaze le rend tout simplement dingue, qu'elle ne sait jamais sur quel pied danser avec lui.
* Abandon...
L'idée même qu'il ait pu choisir son nom lui serre le coeur. Comment est-ce que dans une vie on peut finalement choisir un nom pareil ? À quel point avait-il pu être seul pour en arriver là ?
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