j'te croyais chez ton père
Peut être que Moineau aussi juge vite. peut être que ses pensées ont devancé les reproches qu'il imaginait se former dans l'esprit de l'inconnue. peut être bien qu'il n'en a aucune idée, de ce qui peut bien se passer derrière toutes ces mèches blanches,
qu'il n'en sait rien, qu'il l'a ouvert un peu trop vite, qu'il s'est un peu trop défendu...
il n'arrive pas à trouver un juste milieu entre la fierté hostile, les justifications angoissées et l'inquiétude coupable d'avoir été trop vite en besogne en lui prêtant des propos qui ne sont pas les siens... heureusement, Violence, à sa manière froide et presque impersonnelle d'annoncer les choses, facilite tout. elle tranche immédiatement, elle s'en tape, on s'en tape. évidemment, qu'il sourit, quand il entend ça. les poings toujours serrés dans ses poches, mais il se détend quand même un peu.
c'est reposant, de suivre quelqu'un sans réfléchir. sans être obligé de se demander ce qu'il pourra lui raconter, s'il faut mentir ou pas...
c'est mieux. mieux que d'habitude, mieux que ce à quoi il s'attendait en entendant des bruits de pas résonner. ((et ça laisse le temps de préparer le bobard qui va venir, le vrai, celui sur la raison de sa venue))
Moineau se sent mieux, assez pour même vouloir se prêter au jeu de la conversation, mais elle coupe court alors qu'il ouvrait à peine la bouche pour répondre. de ce côté là, il n'a pas grand chose à cacher. de ce qu'il en sait, la plupart des vagabonds, organisés ou non, fichent royalement la paix à la Famille, leur demandant occasionnellement de ne pas empiéter sur tel ou tel territoire.
tout ça, c'est son monde à lui, pas celui de Violence, mais il se demande s'il ne devrait pas écouter le premier élan qui l'a poussée à poser la question. j'sais pas combien, en vrai, il hausse les épaules. il n'est même pas vague pour brouiller les pistes ou car il ne veut pas répondre, il ne s'est jamais posé tout à fait la question...
estimant que c'était l'ouverture du jeu des questions, il suppose que c'est à son tour et ne se fait pas prier malgré sa réponse qui n'en était pas une. tu te sens jamais seule, ici ?
* Non.
Elle répond froidement, avant de jeter un regard au petit brin de garçon à ses côtés et lève les yeux au ciel. Bon sang, et s'il commence à croire qu'elle le déteste en répondant froidement ? C'est pas spécialement lui qu'elle déteste, c'est tout. Absolument tout en ce monde.
* Je suis pas seule.
Silence.
* J'veux dire, je suis littéralement pas seule. Les autres sont là, quelque part.
C'est pas spécialement pour lui foutre un coup de pression qu'elle dit ça, mais quand même elle juge que ça peut en avoir l'air, aussi elle lui jette un regard avant de sourire brièvement, un sourire qui disparaît aussi vite qu'il est apparu.
* Tu crains rien, t'inquiète.
C'est bien la première fois qu'on verra Violence tenter de rassurer quelqu'un, tiens donc.
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Moineau n'est peut être pas le plus malin, mais il sait ce que ça veut dire, les soupirs. surtout quand ils sont accompagnés d'une réponse courte et sèche. est-ce que ça le refroidit pour autant ?
pas tellement.
il n'aime pas le silence des galeries. les bruits de pas à côté des siens, ça aide un peu mais il n'y a rien de mieux qu'une voix humaine pour oublier le grignotement incessant des rats et les gouttes insupportables qui trouvent le moyen de s'infiltrer à travers le goudron. heureusement qu'il peut la voir à ses côtés, ça le rassure un peu sur son état, s'il devait halluciner quelqu'un, ce ne serait certainement pas quelqu'un comme ça. encore moins quelqu'un qui lève les yeux au ciel quand leurs regards se croisent. bon, d'accord, on en est là, visiblement.
il l'envie, tout de même. capable de se balader toute seule comme elle veut et ou elle veut sans ressentir un pincement au cœur... être capable de répondre qu'elle n'est pas seule car sa propre compagnie lui suf- ah, non, elle n'est vraiment pas seule ? le jeune était déjà un peu recroquevillé sur lui même à cause des réponses expéditives, mais là, il ne peut se retenir de jeter un coup d'oeil derrière son épaule. ils sont... vraiment ? ils sont nombreux, ceux des souterrains, en fait ?
c'est peut être une sacrée connerie, de se balader dedans comme dans un moulin, comme avant. heureusement, il est immédiatement rassuré par la phrase qui suit et le sourire, bref, si bref qu'il a presque l'impression de l'imaginer, et pourtant il est bien sûr qu'il était là, juste là ! il ne peut que sourire en réponse et souffler un coup, soulagé. ah, ouf ! j'vais être honnête, j'ai pas encore tout à fait l'habitude que ce soit peuplé, ici. je pensais qu'il n'y aurait jamais personne ici, à part... le grand panneau bleu et blanc, la petit lumière verte... j'crois bien qu'on y est ?
* Fais ton affaire. Je t'attends ici pour te raccompagner à la sortie. Sois là dans deux minutes.
Elle ne lui fera pas de cadeau. Ce n'est pas tant qu'elle s'inquiète pour Moineau, elle sait qu'il retrouvera seul la sortie, mais inutile de risquer quoi que ce soit, vous savez, avec les petits nouveaux du clan qui essayent de faire du zèle, elle pouvait bien s'attendre à tout. Aussi, elle préféra ne pas prendre le moindre risque.
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Ouais, ils y sont. pas de doute possible. Moineau ne sait pas s'il est soulagé ou encore plus inquiet qu'avant. est-ce qu'il aurait du laisser le cauchemar avec son oreiller, ou l'emmener avec lui comme il vient de le faire ?
à la simple vue du recoin sombre que Violence désigne et qu'il reconnait très bien, il sent ses paumes devenir moites. pourtant, maintenant qu'il est allé jusque là...
bon, ce serait dommage de reculer maintenant, tout de même.
alors il se contente de hocher la tête à la proposition de sa guide, c'est bien aimable à elle, d'ailleurs, de le laisser faire ce qu'il veut dans son coin. est-ce qu'elle a compris qu'il n'a pas tout à fait perdu quelque chose ici ? impossible de savoir, elle est trop distante pour qu'il puisse deviner quoi que ce soit.
et puis, elle a quitté ses pensées depuis bien longtemps.
dans sa tête maintenant, il n'y a que ce petit renfoncement vers lequel il se dirige. la lampe qu'il porte à sa ceinture faiblit mais l'éclaire encore, mais il agit comme s'il l'avait oubliée. il l'a surement oubliée.
Moineau se rapproche d'un endroit de la cloison et colle une oreille contre. il pose ses deux mains à plat contre la paroi, sans se soucier du froid qui imprègne petit à petit sa peau. d'une main, il gratte légèrement contre la paroi, à intervalles régulier, comme s'il attendait la suite d'une conversation qu'il est le seul à entendre.
c'est moi.
...
j'ai pensé à toi.
...
est-ce que tu as pensé à moi ?
...
est-ce que tu as des choses à me dire ?
...
plus maintenant, non.
...
c'est ça, quand on veut crier mais qu'on n'a plus de bouche...
les deux minutes se sont sûrement à peine écoulées, quand il se redresse, se décolle de la paroi et retourne vers Violence. il relève la tête pour pouvoir la regarder et voudrait sourire comme tout à l'heure, mais le sourire se cantonne à ses yeux et ne parvient à atteindre ses lèvres. c'est bon.
il laisse un silence s'installer peu de temps, le temps de repartir, avant de jeter à nouveau un regard gêné vers elle, reprenant le ton qu'il avait avant son "affaire", comme elle le dit avec tant de tact. merci. pour tout. de me guider, je veux dire.
Moineau revient et la remercie, tout bas. Elle hoche la tête, tout doucement avant de tourner les talons tout simplement respirant à peine. Elle préfère encore se faire cataloguer de machine que d'avoir à ressentir à nouveau. C'était suffisamment horrible les dernières fois où c'est arrivé.
* J'ai dis que je le ferais, je le fais jusqu'au bout, c'est tout.
Oh, on pourra reprocher bien des choses à Violence, mais certainement pas son manque de parole. Si elle dit quelque chose, elle le fait. Encore une des choses qu'elle a hérité de son ancienne vie. Un regard à Moineau, elle ne pose pas de question, néanmoins...
* Ça va mieux ?
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Elle n'est pas envahissante, Violence, alors à sa manière un peu froide et distante, elle semble presque bienveillante. presque. il apprécie même le fait qu'elle soit si silencieuse. on dirait qu'elle ne s'impose jamais aux autres, mais qu'elle reste là, dans l'ombre, et fait le boulot sans jamais rien demander de plus. même sa réponse pourrait en rebuter, mais ça ne fait que le rassurer un peu plus.
... il ne l'avouera sûrement pas, mais il n'a pas une très bonne opinion des vagabonds des souterrains. la plupart ne le sont que depuis récemment, et n'y connaissent rien à rien. ni comment tout à fait éviter les emmerdes dans la rue, ni comment manger correctement tous les jours, ou comment fabriquer les objets nécessaires à la survie, alors il suspecte que beaucoup se contentent de voler.
ils semblent être organisés d'une certaine manière, et il est persuadé que sans ça, la plupart se seraient déjà fait exécutés depuis longtemps.
mais Violence, elle est différente, elle n'a rien à voir avec tout ça. et elle semble même trouver le temps et l'envie de lui demander s'il va bien... la simple attention le faire sourire légèrement mais il détourne le regard, gêné.
... oui. j'étais pas tranquille, j'avais besoin de vérifier quelque chose... ça arrive de temps en temps. il jette un nouveau coup d'oeil vers la silhouette qui marche à ses côtés. ça t'arrive jamais ?
* Je sais pas, j'ai pas souvenir d'avoir le faire jusqu'ici. Mon arrivée dans les souterrains est récente.
Et chez les vagabonds aussi, mais elle se garde bien de le préciser. En vérité, elle se contente de laisser retomber le silence, uniquement troublé par le bruit de leurs pas alors qu'elle le ramène pas loin de l'entrée.
* Mais si tu dois revenir pour revérifier encore une fois, n'hésite pas à m'appeler à l'entrée. Je pourrais te guider à nouveau.
Elle propose, détournant les yeux pour ne pas avoir à le regarder. Elle l'aime bien.
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Heureusement que Moineau est un bon observateur. sur les toits, il a appris à pouvoir repérer les oiseaux, et comment les piéger sans les effrayer, en trouvant le moment où ils sont assez déconcentrés pour s'avancer. il sait quand il peut sauter sur un chat sauvage pour le serrer dans ses bras, et il sait combien de chiens errent dans le quartier simplement en les entendant le soir.
heureusement qu'on lui a appris à se servir de ses yeux et de ses oreilles, pour survivre.
mais pas que. aussi pour remarquer ce haussement d'épaule à peine perceptible dans son champ de vision périphérique, et ce rire encore plus discret, qui aurait été oublié après même avoir résonné, s'il n'avait pas tendu l'oreille.
il se sent privilégié, de pouvoir entendre ce rire là. alors il fait durer le silence jusqu'à ce que Violence parle, le fait durer pour essayer de s'en souvenir le plus longtemps possible, car qui sait quand il l'entendra pour la prochaine fois ? peut être que c'est la seule occasion qu'on lui offre, la seule chance.
il prend tout ce qu'elle veut bien lui offrir pour ce que c'est : des petits trésors.
une collection de petites confessions à demi mots, jamais vraiment avouées, mais qui se laissent deviner. il sourit et s'efforce de les garder toutes dans un coin de sa tête, comme il a pu collectionner des cailloux brillants et des fragments de verre pendant des années dans une sacoche dont il refusait de se séparer.
son butin de guerre.
et maintenant, place à ces petits sourires, ces rires à peine assumés, ces paroles encourageantes.
Moineau la regarde bien en face et sourit une dernière fois. encore merci. j'ai hâte de la prochaine... vérification. fais attention quand même, dans les souterrains ! et sans plus tarder, car il n'aime pas les salutations qui prennent trop de temps, il salue une dernière fois de la main et d'un sourire franc et large,
puis il repart dans la lumière.
il va mieux.
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