Pourquoi est-ce que tu ne lui as pas simplement écrit ? Tu ne sais pas vraiment, c’était peut-être une question d’instinct, de survie, ou simplement par principe. Parce que tu veux croire que… Tu ne sais pas. Tu n’en sais rien. C’est juste trop. C’était ça ou aller directement à la confrontation. Le centre n’est pas suffisamment grand pour que tu n’aies pas le goût de changer d’avis à de multiples reprises. La nuit est trop avancée, ou trop jeune, tu n’en sais plus rien. C’était juste trop. Trop de savoir que pour tout ce que tu t’évertues à te démener, rien ni personne ne désire aller dans ton sens. Tu voulais simplement retrouver Lucian. Tu voulais…
Lorsque tes pas te mènent à sa porte, tu sais que tu commets une erreur. Qu’il lira en toi comme un livre ouvert. Qu’il… Tu frappes à sa porte, espérant en silence qu’il sera là. Ou peut-être est-ce tout l’inverse ? Que dans cette nuit infâme, au moins lui accepte de t’ouvrir les bras. Mais l’idée fait mal. Plus que de raison. Pourquoi ? C’était ça qui te bouffait depuis des jours. De réaliser, à chaque instant, que tout ce pour quoi tu te démènes s’écroule autour de toi. Que tu t’es involontairement raccroché à Raven plus que de raison. Que quand tu as tenu seul pendant toute une vie, il est devenu… Aucun mot ne correspond. Rien. Rien. Ton visage se baisse et tu passes tes mains contre, essayant d’effacer la peine, l’incompréhension, le désarroi.
Et pour la première fois, ta colère, tu n’as pas le goût de la passer contre lui. Pour la première fois, tu te dis que tu ne veux que Raven. Juste Raven.
Allongé depuis des heures dans ton lit, encore tout habillé, tu fixes le plafond, respirant le moins fort possible, comme si tu cherchais à simplement t'effacer, à ne faire plus un bruit pour t'assurer d'un départ discret. Tu finirai par y passer, maintenant c'était sûr. Aden, c'était une chose, Raven, mais Celes ? Celes n'apporterait rien de bon. Oh, bien sûr, lui, il essayerait de te réparer, c'était certain, mais toi ? Toi qui ne savais que détruire et blesser, tu n'apporterais rien de bien dans sa vie, alors, il était peut-être temps de faire machine arrière. D'oublier ce que tu avais dis, et de surtout oublier qu'il l'avait entendu. Seulement, lorsqu'on frappe à ta porte, au beau milieu de la nuit, tu sais qu'il s'agit de Celes. Parce que ça ne peut pas en être autrement. C'est lui, parce que plus jamais les pas d'Aden ne le porteront à toi. Est-ce que ça te manque ? Tu ne sais pas. Tu ne te souviens pas de tout, comme si ton esprit avait cherché à chasser si fort la douleur infligée, la terreur et la trahison. Tu n'en sais rien, tu sais juste qu'y penser te file la nausée. Tu te relèves, mécaniquement, va ouvrir à la porte. Il est tard, tu as toujours ta tenue de la veille, les traits tirés et l'air plus pâle encore qu'à l'accoutumée.
☆ Entre.
Tu souffles, avant de fermer derrière lui. Tu ne veux pas lui demander des explications, ça ne servira à rien. C'est Celes. C'est Celes. Il faut que tu coupes les ponts, maintenant. Il faut que tu trouves un moyen de simplement lui dire adieu, et l'ignorer après ça. Mais...
☆ Quoi ?
Tu demandes, ta voix trahissant sans mal le trouble qui te serre le cœur.
La porte s’ouvre et tu relève les yeux vers lui. Tu le vois et il n’hésite pas, comme s’il t’avait attendu. Comme s’il savait déjà. Mais ce n’est pas ça qui t’importunes, non. Et tu devrais t’en vouloir, qu’un court instant, Lucian échappe à tes pensées lorsque cette lance d’inquiétude transperce ton flanc. Lorsque tu réalises, pénétrant dans son antre, que tu n’es pas sûr d’être le bienvenu, que chaque signe est contradictoire. Qu’il est, encore et toujours, tout ce que tu ne comprendras jamais. Qu’il est-
« J’avais besoin de te voir. »
Ta vérité est si simple et criante de douleur. Tu refermes la porte à clé lorsque celle-ci clique silencieusement et tu approches de lui, ne demande rien. Tu ne sais pas, à cet instant précis, lequel de vous deux est le plus en peine. Tout ce dont tu es certain, c’est que tes doigts caressent sa peau pâle et que tu lui fais relever le visage, cherchant son regard un instant avant de l’étreindre contre toi. Tu connais Raven. Tu connais ce Raven. Tu le connais trop bien pour l’avoir vu trop de fois dans ton propre reflet. Le serrer contre toi n’est pas agréable, car tu sais qu’il te repoussera. Tu sais qu’il va te chasser. Tu sais qu’il est sur le point de te repousser. Tu ne peux pas te l’expliquer, c’est une simple évidence.
« Lucian ne reviendra pas. »
C’est un aveu, une réalité. Tu as fini par entendre la douloureuse certitude que Clarice avait instillé dans tes pensées. Les informations de ce rapport que tu tiens contre ton cœur, là, dans la poche intérieure de ta veste. Tu sais. Tu sais avec certitude. Ce n’est pas ta faute, Celes. Et pourtant. Pourtant à cet instant, la douleur n’est pas celle de perdre ton sous-responsable. Non. Elle est plus insidieuse. Plus perfide.
« Ne m’abandonne pas à ton tour. »
Egoïste. Tu ne mérites rien. Rien.
Il t'approche et chaque centimètre que Celes fait dans ta direction te donne envie de fuir, c'est presque violent la façon dont sa proximité te repousse, comme un aimant. Tu es terrifié, en vérité. Tu as peur du moindre geste, comme un animal inquiet. Et pourtant, il arrive à remonter tous les courants pour venir t'étreindre. Tu te fais violence pour ne pas le repousser aussi vite qu'il te touche, comme brûlé. Tu ne fais rien. Contre lui tu fermes les yeux, tu abandonnes. Tu ne peux pas le repousser maintenant alors qu'il te supplie de ne pas l'abandonner. Même toi, tu n'as pas ce droit. Pas maintenant, plus maintenant. Après avoir avoué ce que tu ressentais. L'aimer ne te rend pas plus gentil, plus doux, non, au contraire. L'aimer ne te fait que le détester davantage d'être tout ce qu'il est, tout ce que tu détestes tellement chez lui, tout ce que tu te détestes aimer.
☆ Arrête, Celes.
Ces étreintes te rendent malade, tu as le coeur si lourd qu'il pourrait te faire t'écrouler au sol sans que tu n'y comprennes rien. Tu restes encore silencieux quelques instants avant de poser tes mains sur ses épaules pour essayer de le faire reculer un peu, sans pour autant chercher à forcer spécialement.
☆ Si j'avais dû partir, ce serait déjà fait.
Tu es à deux doigts de lui décoller une gifle pour le faire revenir à lui, pour lui hurler que Lucian va revenir, parce que c'est comme ça, qu'il n'a pas le choix. Et ensuite, il adviendrait ce qu'il devait advenir, Lucian serait probablement accusé de trahison, et autant l'un que l'autre vous vous retrouverez dans une position compliquée de ne pas savoir quoi faire, s'il fallait le défendre ou sauver vos statuts respectifs. Vous tomberiez tous les deux, et ensuite... Tu n'avais pas réfléchit plus loin, c'était déjà bien suffisant.
☆ Si tu es venu pour supplier, tu peux t'en aller.
Comme Lucian en qui tu avais une confiance sans limite. Lui que tu choyais et chois encore, malgré sa fuite, malgré son désir inébranlable de s’absoudre de ta présente. Comme Jun, qui dans ce mal infini, veut t’écraser plus qu’il ne désire une quelconque autre chose. Comme Raven, là, au creux de tes bras, qui refuse que tu puisses être vulnérable. Qui te claque au visage que ton égoïsme, tu peux le renvoyer de là où il vient. Tu n’es qu’un enfant. Tu ne vaux finalement pas mieux qu’Amaury, qui a préféré garder ses affaires pour lui. Après tout, Aden était tout aussi qualifié que toi pour faire les choses.
Quand les mains de Raven se posent sur tes épaules pour te repousser plutôt que te rassurer, tu réalises que ce soir, tu as sûrement perdu ton dernier allier. Qu’il a raison, sur toute la longueur. Que supplier ne rimerait à rien. Que Raven est libre. Libre d’aimer ou non. Libre de te rejeter malgré tout.
Tu te recules et ne croise pas son regard. Tu es blessé et tu as tort. C’est sûrement une question d’ego. Ou simplement un rappel à l’ordre que tu ne souhaitais pas voir. Que tout ça…
« Excuse-moi. »
Ça s’entend, au fond de ta voix. Ça s’entend que tu n’as pas réussi. Que tu as été un échec de plus. Peut-être que tu devrais penser à un successeur. A envisager que peut-être, tu n’as plus les épaules pour ce rôle que l’on t’a offert.
Raven n’a pas besoin de ça. Pas besoin d’un fardeau supplémentaire. Pas besoin que Celes ploie et vienne chercher peu importe quoi dans ses bras.
« Je n’aurai pas dû venir. »
Tu avais cru à quelque chose qui n’existe pas. Tu retournes à la porte et la déverrouille. Pour qui te prenais-tu, Celes ? A te croire suffisamment important pour compter pour un homme dont le rôle est bien plus important que le tien ?
« Bonne nuit, Raven. »
☆ Sombre abruti.
Tu souffles entre tes dents en le voyant s'éloigner, en le voyant se confondre en excuses, céder à la facilité de la fuite. Sérieusement, Celes ? Lui ? Non, jamais tu aurais pu imaginer cela possible. Celes qui t'avait poussé dans tes retranchements, encore et encore, il préférait fuir désormais ? L'idée te hérisse purement et simplement et tu hésites un instant, rien qu'un instant avant de faire les quelques pas qui vous séparent. Sans surprise tu attrapes son poignet qui tient la poignée de la porte et le ramène brusquement à toi, d'autorité. Celes ne partira pas ce soir. Oh, tu pourrais t'excuser d'être un connard profond, oui, mais c'est quand même mal te connaître de penser que tu le feras, au final. Tu es bien trop têtu pour faire ça, il faut être réaliste.
☆ Je t'interdis de partir.
Tu aimerais bien que Celes soit fort pour deux, mais tu es probablement idiot au final, égoïste de penser que tu peux être le seul à avoir des failles. Et même si te refuses à les montrer, elles existent, elles sont si béantes qu'elles pourraient l'avaler tout entier, le faire disparaître.
☆ Laisse moi inverser les rôles, ce soir.
S'il voulait à ce point te ressembler, tu pouvais au moins faire l'effort d'avoir les épaules pour l'encaisser, rien qu'une fois. Alors, tu passes ton bras libre sous le sien, tu ramènes ta main contre l'arrière de sa nuque et l'oblige à revenir contre toi, l'oblige à lover son visage contre ton cou, à respirer ton parfum.
☆ Reste.
Si seulement tu ne voulais pas avant tout et surtout t’assurer que rien ne pourrait te séparer de Raven. Les bras le long du corps lorsqu’il te ramène contre lui, tu finis par l’agripper comme si ta vie en dépendait. Tu ne pleures pas, non. Tu l’aimes. Tu l’aimes avec une violence que tu ne sauras jamais expliquer. Tu n’as pas les mots. Tu n’as que des gestes lorsque le retenir contre toi ne suffit plus. Lorsque tu abuses de ta taille et ton physique pour ramener tes mains plus bras et le soulever, le forçant à s’accrocher à toi.
Non Celes, tu ne détaches pas ton visage de sa gorge, comme on cherche l’oxygène après avoir bu la tasse. Tu ne veux pas perdre son odeur, sa chaleur, la pulsation rassurante de son pouls contre tes lèvres. Tu le soulèves contre toi et là, là où seuls vous deux existez, tu avances d’un pas plus deux, son dos à lui contre le mur, comme pour le contraindre, l’étouffer, le forcer à ne sentir que toi, que ta force qui l’enferme, que ton souffle contre sa peau, brûlure contre brûlure. Tes mains croisées sous ses fesses pour le garder contre ta taille. Raven n’est pas un enfant. Il est bien plus que ça.
Et comme ce soir-là, tu oses enfin souffler, la gorge nouée.
« Retiens-moi. »
Et tes pensées s’arrêtent sur ces mots. Sur cet instant.
Tu veux l’embrasser.
La surprise se lit un instant sur ton visage lorsque Celes se décide à réagir finalement, lorsqu'il te soulève pour te plaquer contre le mur, il le fait sans heurt, sans violence. C'est tellement différent de tout ce que tu aurais pu avoir en tête. Tu y avais déjà pensé, tu n'étais pas si innocent, tu ne l'étais pas du tout même - bien que ça ne soit pas ta principale priorité à l'heure qu'il était, clairement - mais jamais ainsi. Jamais avec autant de désespoir. Jamais avec cette peine déchirante.
Tu le regardes durant de longues secondes, au final, et tu restes muet, tout simplement muet lorsqu'il te demande de le retenir. Tu le vois dans ses yeux, quelque chose de nouveau que jusqu'ici tu n'avais jamais trop vu, qu'il ne t'avait jamais montré. Alors, oui, tu as une envie folle de le faire céder, et tu te dis qu'au final, c'est sans doute tout ce qu'il veut. Vous êtes allés trop loin pour en revenir, de toutes façons. Vous êtes allés trop loin pour en sortir indemnes.
☆ Embrasse moi.
Tu ne supplies pas, cette fois tu ne demandes même pas, tu autorises. Tu lui dis qu'il peut, qu'il doit même. Qu'il faut qu'il le fasse. Pour peu, tu ordonnerais presque, la voix rauque, sombre, tu menacerais presque, l'air de dire si tu ne m'embrasses pas, maintenant, tu verras.
Détacher tes lèvres de sa gorge, quand bien même tu n’y as laissé aucun baiser, aucune marque, est un effort qui te semble presque de trop. Tu ne veux pas perdre son contact. Ni sa chaleur, ni tout se qui le constitue. Raven est… Raven est bien plus que tout ce que tu pourrais accepter, même, imaginer.
Mais il ne faut que la rencontre de vos deux regards pour que tu saches. Pour que la première chose que tu fasses soit de silencieusement venir capturer ses lèvres, d’un geste qui, s’il n’est pas hâtif, n’en est pas moins désespéré et avide. Tu ne cherches pas à jouer à un jeu de tendresse, pas quand tout est déjà passion. Ce n’est pas un jeu, et vous deux le savez trop bien, lorsque ta langue trouve la sienne, lorsque vos souffles se mêlent enfin. Ta prise sur lui est ferme, et prendre possession de sa bouche semble être la seule réponse censée que tu puisses donner à ces instants perdus. Mais tu ne veux plus le relâcher. Tu ne veux pas cesser ce ballet endiablé. Tu n’abuses pas de tes crocs, tu ne cherches même pas à dominer. Tu veux simplement être sien, même pour ces quelques secondes. N’appartenir à personne dans cette cité autre que lui. N’exister qu’entre ses bras, là, où vos deux cœurs battent d’un unisson parfait.
Lorsque vos lèvres se séparent enfin, ton souffle légèrement plus rapide, tu l’observes, et ce silence qui n’est qu’à vous, tu le ponctues d’un baiser contre cette cicatrice qui bénit son visage. Tu y gardes tes lèvres en un contact qui n’existerait presque pas, là, du bout de tes lèvres, trop inquiet de le blesser lorsque tu fermes les yeux et souffle à peine.
« Moi aussi. »
Et tu sais, tout au fond, que même si tu ne peux pas encore mesurer le poids exact de tes mots, ils sont une vérité. Que cet écho, cette réponse, même à des jours de son aveu, il ne le manquera pas. Ces mots n’étaient qu’à eux deux. Une vérité que Raven seul pourrait comprendre.
Le baiser te brûle, Raven. Il te détruit. D'un simple baiser il a raison de toi, cette fois plus que toutes les autres. Il fait taire toutes les interrogations et les voix assourdissantes que dont ta tête ne cesse d'être occupée. Elles sont envolées, parties, chassées. Il n'y a plus que Celes, il n'y a plus que Celes qui se presse à t'offrir tout ce qu'il a, ses forces autant que ses faiblesses, et tu ne peux décidément pas te résoudre à les refuser. Si Celes veut t'offrir le full package, tu penses être capable de lui concéder la même chose. Toi, tes doutes et tes incertitudes, toi, tes peurs maladives et tes traumatismes. Lorsqu'il recule, lorsqu'il avoue finalement la réciprocité de ses sentiments, tu restes un instant à le regarder avant de détourner les yeux. Tes joues rougies trahissent sans mal le fond de ta pensée. Tu es pris de court, purement et simplement. Celes aura raison de toi, s'il doit tomber ... Il t'entraînerait sans mal dans sa chute. Tu le suivrais les yeux fermés. Tu sais à quel point cela peut se montrer dangereux, mais tu sais aussi qu'il est responsable, et que s'il dit tenir à toi, il fera attention. Aussi, tu n'as plus tellement peur de t'offrir à Celes.
☆ Si je te confie mon cœur, jure moi d'y faire attention.
On l'avait déjà suffisamment piétiné, écrasé, fissuré, jeté à de multiples reprises, il était capable de tenir encore bien des chocs mais tu n'avais plus la force de le réparer. Celes était capable de te soigner. Tu n'aurais pas dû réfléchir à ça, c'était stupide, mais il en était capable, tu le savais.
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