Faire du temps dans l’après-midi aurait pu être plus complexe, si seulement tu en avais eu quelque chose à faire. Tu repousses sans peine la proposition de Jeremiah de cracher sur des dossiers de plaidoirie autour d’un café – soit, perdre des heures à ne rien faire que verser un sel injustifié – et rejoint le district onze par tes propres moyens. Tu avais sûrement besoin d’une marche. D’une vraie marche qui ne te mettrait pas les nerfs en pelote, comme c’était trop le cas récemment. Mais il y a une aura rassurante à entrer dans ce quartier. Pour tout ce que tu abhorres Amaury, l’endroit est paisible. Presque plein d’espoir. Tu te dis distraitement que tu pourrais faire un détour pour saluer 0021, avant de te rappeler que ce n’était certainement pas une bonne idée de l’exposer de la sorte. Alors tu fais simplement ce pour quoi tu es venu. Et si à l’entrée de l’école, tu te fais arrêter par la milice pour un simple contrôle, toutes tes autorisations d’accès sont au vert. Tu entres dans l’établissement et salue quelques administratifs, offre un demi sourire aux quelques élèves qui traversent les couloirs pour des corvées, et comme à chaque fois, ils te semblent si terriblement petits et fragiles. Lorsque tu arrives enfin devant la porte de la salle de classe visée, tu sais que les enfants sont en récréation depuis peu, la cloche pour la pause venait à peine de sonner.
La porte est entrouverte quand tu donnes quelques coups contre le carreau pour attirer l’attention de l’enseignant, toujours aussi élégant qu’au premier jour, qui dirige d’une main de maître cette classe de petites terreurs.
« Je suis un peu en avance. J’espère que tu ne m’en veux pas, Leon. »
Depuis le temps, vous aviez dépassé les simples matricules. Et ton sourire est plus tendre, comme si tu trouvais réellement un semblant de soulagement dans cette pièce.
« Je suis content de te revoir en pleine forme. »
La coup contre la porte te ramène brusquement à la réalité alors que tu sèches une larme solitaire qui perle de ton oeil. Tu accuseras quelque chose, le vent frais, ou... Tu n'en savais rien, quelque chose d'autre qu'un amour interdit. Le sourire que tu offres à Celes est teinté de détresse, c'est certain, mais il est bien présent. Cela te semble une éternité depuis votre dernière entrevue. Tu l'as entendu pendant les bulletins d'informations, un sous-responsable avait disparu, et il ne t'avait pas fallu longtemps pour comprendre qu'il s'agissait du sien, de Lucian, dont il racontait à chaque fois quelques péripéties, un sourire tendre au visage. Tu ne l'avais jamais rencontré mais tu supposais que c'était quelqu'un de bien, Celes n'en aurait pas parlé ainsi, sinon. Mais, tout de même. Il avait disparu et tu n'étais pas le plus à même de rassurer des adultes.
Je pourrais en dire autant, Celes. Sourire tendre, tu l'invites à s'asseoir près de toi, tire une chaise d'adulte pour lui, que tu gardes généralement pour Celes ou Amaury lorsqu'ils passent dans ta classe. Oh, sans doute que d'autres professeurs auraient vu d'un très, très mauvais œil que tu socialise autant avec les membres du conseil, sans aucun doute, mais tu ne faisais rien de mal, pas vrai ? Tu avais rencontré Celes au hasard d'une de ses visites dans le onzième avec sa femme, ce n'était pas ta faute s'il t'avait suffisamment apprécié pour revenir. Je suis heureux de te voir, cela fait un moment que je n'ai pas croisé d'adultes pour tout avouer. C'est sans doute stupide comme façon de penser, mais finalement c'était la vérité, pour tout ce que Celes venait te voir régulièrement, le nombre d'adulte que tu croisais par jour était bas, et ceux à qui tu parlais étaient autour de zéro, finalement. Je comptais te contacter sous peu, je m'occupe de faire découvrir la ville à mes élèves. Silence. J'imagine que le moment était plutôt mal choisi pour t'embêter. Et voilà qu'il fallait que tu mettes les pieds dans le plat directement.
Tes yeux se posent pourtant rapidement sur l’enseignant et tu saisis la légère rougeur de ses yeux, cette teinte un peu trop luisante de son regard. Mais tu n’es pas un goujat, pas plus que tu n’es indécent ou insolent. Tu ne relèves pas, pour lui assurer le peu de vie privée que ce monde devrait offrir à tous. Tu t’installes à la chaise offerte et tu as beau te tenir trop droit, comme ton statut le réclame, tes mains liées entre tes jambes sont un signe de l’absence de tension qui t’habite. C’était du moins l’apparence que tu souhaitais t’offrir. Tu croises son regard et souffle d’un ton amusé.
« Il y en aurait pourtant un sacré nombre qui pourrait gagner à être à nouveau éduqués. »
Un sourire, il observe les fiches d’exercices posées sur le bureau, le reflet du soleil dans les mèches carmin, le teint légèrement trop pâle et les cernes se dessinant gracieusement sous les yeux de Leon. Ta contemplation est pourtant rapidement interrompue par le commentaire de l’autre homme et ton sourire se fane quelques instants, reprenant une teinte profondément mélancolique, le regard lointain.
« Tu sais que j’apprécie ce genre d’activités. Tu es toujours le bienvenu dans le dixième. Et tu peux me contacter peu importe les circonstances. »
Oh, certainement qu’il revenait davantage à Amaury de s’occuper des habitants de son quartier, mais Celes n’était pas suffisamment imbécile pour ne pas savoir que les compétences du responsable du onzième n’étaient pas toujours au vert. Particulièrement en termes de communication, de contact et d’accessibilité. Il soupire et pose distraitement sa main sur le genou du professeur, captant son regard, un air désolé sur le visage.
« Tu ne m’embêtes pas. Ma porte t’est toujours ouverte, ne sois pas un étranger, pas après tout ce temps. »
Pas maintenant. Ne t’éloigne pas maintenant aussi.
Je ne le suis pas. Nous sommes amis, après tout ? Ma porte t'est ouverte également. Tu sais bien que vos statuts ne vous permette pas de dire des choses comme celle-ci, tu as pourtant assez confiance en Celes pour t'accorder cela. Celes te donne l'impression d'être digne de confiance, mais combien de fois Kai et Léandre t'avaient répété et répété encore de ne pas être trop naïf ? Est-ce que ça avait été naïf de croire à la sincérité du regard d'Arun lorsqu'il t'avait serré dans ses bras ? Tu étais sûr que non.
Je pensais qu'avec tout ce qui se passait en ville, notre rendez-vous ne tenait plus. Silence, tu détournes les yeux et retire tes doigts chauds doucement, ton sourire se fait plus large encore lorsque tes yeux se reposent sur lui, enfin. Je suis heureux de voir que non ! Tu ne savais pas si Celes aurait nécessairement pensé à te faire parvenir un message, quel qu'il soit, mais tu étais heureux de voir que tu pouvais compter sur lui. Il avait sûrement besoin de tes sourire au final, quelque chose que tu n'aurais jamais compris, toi, si maladroit avec les adultes. On avait dû le regarder étrangement lorsqu'il avait passé les portes de l'école, après tout, pourquoi le responsable du quartier voisin venait une fois de plus ici.
Tu penses que mes élèves pourraient passer par tes locaux un de ces jours ? J'aimerai vraiment leur montrer le dixième, mais j'aimerai bien leur montrer un bout du conseil aussi, et je sais qu'on ne me laissera pas y entrer. Tu n'avais pas envie de demander une énième faveur à Amaury, entre nous, ça finirait par être trop, définitivement trop.
Vos regards sont accrochés, oui, et il n’y a rien qui te ferait détourner les yeux, pas une émotion contradictoire, non. Tu as confiance en Leon, pour tout ce que tu abhorres a contrario Amaury. Lui ne te laisse pas ce sentiment d’échec ou de trahison. Raven te dirait sûrement que tu es trop naïf. Qu’à trop facilement accorder ta confiance, tu finiras par te briser. Mais tu ne changeras pas. Plus maintenant. Tu n’as aucun regret.
Alors lorsque tu lui souris de plus belle, d’un rire séduisant mais léger alors que tu détournes les yeux sur la classe, tu te dis que peut-être que d’autres verraient dans cette action de ta part une tentative de fuir tes responsabilités, de te cacher et lécher tes plaies. Mais ce n’est pas ton intention. Non.
« Je n’ai qu’une seule parole. Je t’avais promis de venir. »
Puis lui lançant un regard amusé.
« Et puis c’est agréable de susciter un sourire plutôt que la peur, parfois. »
Oui, parce que Leon n’est pas effrayé. Pas apeuré. Leon sait, évidemment, qu’une hiérarchie tout entière les sépare. Mais il sait également que les choses n’ont pas à se limiter à ça. Que pour tout ce que tu peux être proche des membres de ton district, de Lucian, d’autres encore, tu n’es pas le genre d’homme qui fera passer la valeur d’un titre avant le prix d’une âme. Tu resserres calmement ta prise sur son genou avant d’ôter ta main, ne voulant pas évoquer un quelconque malaise chez le jeune homme lorsque tu t’accoudes finalement au bureau, observant les travaux disposés sur celui-ci, souriant devant une fleur maladroitement tracée. Les souvenirs d’un rêve passé sont si réels. Ton sourire le dit sans peine, mélancolique. Mais tu ne te distrais pas. Tu n’as plus le luxe d’être rêveur. Les choses ont bien changé.
« Bien sûr. Je vous accueillerai avec plaisir. Est-ce que tu voudrais que l’on organise une visite des différentes stations d’épuration, ou cette année est plus orientée par le rôle des responsables par district au sein du Conseil ? »
Il pourrait organiser ça, oui. D’habitude c’était une tâche qu’il confiait à Lucian, quelque chose qui parvenait à le faire sourire, pour les rares fois où ce phénomène pouvait encore arriver.
« Combien d’élèves penses-tu amener cette fois ? Il faudra sûrement considérer des encadrants, il serait malheureux d’en perdre un dans les toilettes comme il y a quelques temps de ça… »
Ton regard se pose à nouveau sur lui, rieur. Leon est suffisamment solaire pour réchauffer toutes les peines de ton cœur. Même pour quelques instants.
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