Un bip bip régulier et entêtant troublait le silence. A l’extérieur de l’appartement, le ciel était encore sombre, signe, si cela était nécessaire, de l’heure encore matinale. Une heure où, normalement, les gens étaient censés encore dormir, au moins encore un peu. Pourtant, un bras se tendit pour éteindre le réveil, plongeant le lieu dans le silence et l’obscurité. Durant quelques secondes il fut possible d’imaginer que l’occupant des lieux allait se rendormir, mais non. La lumière jaillit de la lampe de chevet, inondant la pièce alors que presque dans le même temps une forme s’extirpait du lit. Un bâillement plus tard, et l’occupant du lit se levait pour de bon, traversant la pièce pour aller jusqu’à la salle de bain. Il était plus tôt que d’habitude et il le ressentait davantage que ce qu’il avait imaginé en réglant l’appareil la veille au soir. Une part de lui ne souhaitait que retourner se fourrer sous les couvertures et dormir une heure de plus, mais il choisit de ne pas l’écouter et lui préféra la douche pour chasser les dernières bribes de sommeil. Celle-ci dura, peut-être, un peu plus longtemps qu’à l’habitude, mais pas assez pour le mettre en retard sur l’horaire qu’il s’était fixé. Il enfila ses vêtements de travail, puis s’installa pour déjeuner, les yeux passant de son bol à l’heure de façon régulière, un peu comme s’il chronométrait les minutes en train de s’écouler. Vérifiant à chaque instant qu’il ne prenait pas de retard sur l’horaire qu’il s’était fixé en rentrant chez lui la veille, simple conséquence de son léger retard en arrivant au travail. Pas assez pour réellement lui attirer des ennuis, mais assez pour se méfier un peu et se promettre que ça ne se reproduirait pas, à défaut de devoir le promettre à quelqu’un.

Le premier repas de la journée terminé, il ne lui restait plus qu’à mettre une veste pour ensuite quitter l’appartement, ce qu’il fit aussi rapidement et silencieusement que possible : ne pas réveiller les quelques personnes encore endormies lui apparaissait comme une évidence. Puis il se retrouva dans la rue. Il n’avait pas un trajet très long à parcourir, l’avantage en quelques sortes de vivre dans le quartier où il travaillait, celui-ci serait probablement parcourut un peu de temps, comme à l’accoutumée. Comme à l’accoutumée aussi, son regard commença à glisser sur les alentours. L’heure matinale lui permettait une certaine tranquillité, le risque de croiser quelqu’un, hormis un milicien, était encore restreint et donc le risque de paraitre étrange à regarder autour de lui l’était tout autant. Ce fut durant cette observation qu’il repéra le dessin. Des ondulations, des points… mais surtout des couleurs. Assez pour qu’il se détourne de son trajet habituel et s’approche pour les observer de plus près. Ça n’était pas la première fois qu’il les apercevait, mais jusqu’à présent il n’avait jamais eu l’occasion de venir juste devant pour les regarder. Finalement, peut-être que l’heure matinale avait du bon.

Tempérance profitait de l'ambiance matinale pour servir Abysse. Armé de pigments de bien jolies couleurs, il parcourait les souterrains et marquaient sols, murs et plafonds de la marque du clan auquel il appartenait jadis - auquel il ressentait encore une certaine appartenance, malgré le fait qu'il l'ait quitté il y ait déjà un moment. C'était pour cela qu'il aidait, à son échelle, Abysse à étendre son influence. C'était un loisir comme un autre pour lui ; un simple émerveillement devant les pigments qu'il étalait savamment. Tempérance ne savait pas dessiner, il ne s'y était jamais essayé, mais il reproduisait le symbole d'Abysse à la perfection.

Il avait remarqué une présence peu loin de lui, et avait tourné la tête pour apercevoir un homme observant un dessin à peine réalisé. Cela attirait les curieux, même parmi ceux de la surface, visiblement. Cela arracha un sourire à Tempérance, encore invisible parmi les ombres. Il aurait pu choisir de filer sans un bruit, sans même se faire remarquer. Mais -oh, zut alors- l'épée lourde qu'il tenait à sa ceinture avait produit un son métallique en heurtant doucement un mur. Et là, il supposait qu'il avait suffisamment attiré l'attention sur lui - alors il avait souri à l'inconnu, affable, le gratifiant d'un amical signe de la main.

Bon matin ! Il déclare simplement. C'est rare de voir des gens levés à cette heure.

C'est vrai que la tête de l'autre homme ne lui revient pas plus que ça, il ne l'a jamais vu, il en est bien certain. Qu'est-ce qui occasionnerait un réveil aussi matinal ? Tempérance sourit à l'inconnu, espérant pouvoir en apprendre plus. Espérant ne pas lui faire peur, aussi, accessoirement. C'était inévitable qu'il le surprenne, il espérait juste que cet homme encore dans le système ne s'enfuit pas en courant.

Vous partez travailler ?

2404 était comme hypnotisé par le dessin. Ça n’était pas la première fois qu’il en apercevait de semblables, mais probablement qu’il ne s’en était jamais approché de si près. D’un geste machinal, il tendit la main pour effleurer la marque. Du bout du doigt il redessina l’une des espèces de vague, une expression un peu surprise s’afficha sur son visage alors que la couleur restait collée à son index. Il n’avait pas pris garde au fait que la marque était aussi fraiche que ça et durant quelques secondes il garda les yeux rivés sur son doigt et la trace bleue qui y trônait à présent. Il aurait probablement passé plus de quelques secondes, si son attention n’avait pas été attirée par autre chose, un bruit, le genre de bruit qu’il ne connaissait pas. Le genre de bruit qui aurait dû le faire partir de là, pourtant ce ne fut pas le cas, il se contenta de relever la tête pour tenter de trouver son origine. Une expression surprise s’afficha sur son visage lorsqu’il vit l’inconnu dans l’ombre, puis sortir de l’ombre. Qu’est-ce qu’il était censé faire dans ce genre de circonstances ? La solution la plus logique lui sembla être de prendre ses jambes à son cou et de s’éloigner, à la fois du dessin et de l’inconnu, aussi rapidement qu’il en était capable. Peut-être même qu’il devait signaler sa présence. Il n’en était pas sûr, mais étrangement quelque chose lui indiquait que c’était la chose à faire. Pourtant, à la place, il agita la main en réponse, avant d’avoir réellement conscience de le faire.

– Bonjour.

Ça lui sembla logique de répondre au salut, alors que dans le même temps il continuait de dévisager avec une curiosité non dissimulée l’inconnu. Son corps avait agi tout seul, le faisant reculer de quelques pas pour garder une distance entre eux.

– C’est rare de voir des gens ici.

Ici, à cet endroit en particulier, à moins que ce soit différent à des heures inhabituelles pour lui ? Cette pensée lui effleure l’esprit en même temps qu’il fait sa remarque. Peut-être qu’il aurait dû la garder pour lui ? Oui il devrait, il ne devrait même pas être en train de discuter avec lui actuellement. Et puis d’abord, peut-être qu’il s’agissait d’un piège, et que celui-ci allait le dénoncer parce qu’il s’était arrêté là, au lieu d’aller jusqu’à son lieu de travail directement.

– Je suis parti plus tôt que d’habitude, je n’étais jamais passé par ici à cette heure.

Machinalement, il passa une main dans ses cheveux, avant de hocher la tête en se demandant encore ce qu’il faisait là, à parler à un inconnu qui ne ressemblait à rien de ce qu’il connaissait, ni de ce qu’il était censé côtoyer.

– Et vous ? Qu’est-ce que vous faites ici ? Avec « ça » ?

D’un petit geste, il désigna d’abord l’épée qui pendait à la ceinture de l’inconnu, probablement ce qui avait été responsable du son étrange qu’il avait entendu un peu plus tôt, puis le matériel de peinture, sans réellement faire le lien entre ce dernier et les dessins qui avaient attiré son attention un peu plus tôt.

Les divers seaux de pigments qu'il transportait pesaient lourd dans sa paume, mais il acceptait de rendre ce service et d'étendre l'influence d'Abysse avec grand plaisir. Et puis, s'il pouvait rencontrer de nouveaux visages, pourquoi pas ? Tempérance ne ressentait aucune hostilité envers les pénitents comme certains de ses compagnons vagabonds auraient pu le faire. Ils étaient tous les mêmes au final, pénitents ou vagabonds. Il ignorait cordialement les membres du Conseil, cependant - bien que le jeune homme aux cheveux bleus qu'il avait rencontré il y a peu soit digne de son intérêt.

Il sourit au jeune homme qui l'interroge, il n'y a aucune once d'agressivité ni dans sa posture, ni dans ses paroles. Du pur Tempérance, détonnant dans l'atmosphère lourde d'Inner-A13. Oh, je peins comme vous pouvez le voir ! J'espère que vous trouvez ça joli.

Un regard à la peinture encore vaguement fraîche sur le mur. Un regard presque fier, indéchiffrable au final. Qu'est-ce qu'il se passe dans sa tête ? Aucun moyen de le savoir. Il pose les seaux au sol dans un bruit métallique, et désigne le manche de son arme.

Ah, ça ? Ce n'est rien, c'est simplement en cas de danger. Je ne m'en sers que pour me défendre, heureusement ! On ne sait jamais sur quoi on peut tomber en dessous. Et puis même lorsque le soleil se couche, les rues de la ville sont moins sûres ! Faites attention à vous, d'ailleurs.

Un vrai moulin à paroles, mais il semblait heureux d'avoir un petit peu de compagnie, pour une fois. Surtout un inconnu.

Où est-ce que vous travaillez, d'ailleurs ? Ca doit être difficile de se réveiller aussi tôt.

C’était là une situation un peu étrange, à une heure un peu étrange elle aussi. Un instant il songea que, s’il n’avait pas écouté son réveil ce matin-là, il ne serait pas sorti à cette heure là en particulier et cette rencontre n’aurait jamais eu lieu. Tout serait resté dans la norme. Est-ce qu’il le regrettait ? C’était un peu tôt pour le dire. Pour le moment en tout cas, il se détendait progressivement en voyant que le peintre face à lui ne semblait pas agressif. Durant quelques instants, il continua de l’observer avec curiosité, penchant légèrement la tête sur le côté alors qu’en même temps il l’écoutait.

– J’aime les couleurs, mais j’ai du mal à comprendre réellement ce que c’est… Pourquoi est-ce que vous les faites ?

Letty continuait d’observer le jeune homme face à lui alors que celui-ci regardait son œuvre. Durant un instant il chercha à déchiffrer son expression, sans en être capable. De la curiosité se lisait sur son visage, lorsqu’il en prit conscience le pénitent tenta de reprendre une expression plus neutre. Il n’était pas censé s’intéresser à ce genre de choses, juste les signaler. Du moins en était-il intimement convaincu, exactement de la même manière qu’il était convaincu de devoir reprendre son chemin pour aller jusqu’à son lieu de travail.

– En dessous ? Vous voulez dire, sous nos pieds ?

Tenter de masquer sa curiosité était, cette fois, un effort vain, il en eut conscience au moment même où ses dernières paroles avaient franchies ses lèvres. Comme pour se donner une contenance, il glissa ses mains dans ses poches, son regard se posant à nouveau sur le dessin plutôt que sur son auteur.

– Je serai prudent, mais vous savez j’évite de sortir en dehors de mes heures de travail. Qu’est-ce que je ferais dehors en pleine nuit ?

C’était là une véritable interrogation de la part de 2404. Pourquoi est-ce qu’il irait trainer à l’extérieur en dehors de ses heures de travail ? Il n’avait rien à y faire, rien ni personne à rencontrer, ça ne rentrait pas dans son quotidien. Pas plus que la discussion actuelle, cependant celle-ci ne lui était pas désagréable. C’était là une sensation plutôt étrange, agréable, tout en frôlant quelque chose d’interdit. La question et son côté personnel le surprirent et durant un court instant il se contenta de regarder le vagabond, avant de finalement esquisser un sourire tout en haussant les épaules.

– Dans l’usine, là bas.

D’un doigt il désigna l’une des usines dont la forme se dessinait à quelques distances de là où ils se trouvaient actuellement, avant de reporter son attention sur le jeune homme.

– Il faut le faire, c’est pour ça que je suis là après tout. Et… D’habitude je ne pars pas aussi tôt. Mais et vous ? Vous n’avez pas peur que quelqu’un vous voit ?

Cette question avait un petit côté absurde, lui-même ne venait-il pas de le voir ?

Les arts, les ennemis du système, les ennemis du Conseil. Tempérance peint, et il suppose bien qu'il doit être le seul en cet instant même à peindre, de toute la ville. C'est si singulier, comme activité, mais il faut bien dire que le mélange de couleurs, les traits qu'il trace aisément sur la pierre, la brique, la poussière, l'attirent particulièrement. Il y a de quoi être fasciné, ah oui, et Tempérance est tout sauf ennuyé par son nouveau loisir.

Pourquoi pas ! C'est bien joli, non ? Il en faut, des choses jolies, par ici.

Tempérance aime ce qui est beau, bien qu'il n'y attache aucune importance. Mais le ciel gris et les bâtiments sombres le rendent triste. Et la curiosité du jeune homme en face de lui ne fait rien sinon le faire sourire, comme un enfant qui s'apprête à faire une bêtise. Il avait la forte impression que cette discussion était importante, d'une certaine manière. Peut-être pas pour lui, cependant.

Dans les souterrains, oui.

Lui qui n'a jamais vécu en tant que pénitent, lui qui sait si peu, il se demande ce que les autres savent des vagabonds. Ce qu'ils savent de ceux qui sont sortis du système. Il se demande si les siens ne sont que des légendes effrayantes pour ceux qui ne savent rien des souterrains.

Tempérance observait la silhouette sombre de l'usine avec une mine curieuse, il ne savait pas ce que l'inconnu faisait de sa vie, en quoi consistait son travail ? Il fallait tout de même en vouloir pour se réveiller aussi tôt. Même si c'était occasionnel. Au final, heureusement que c'était occasionnel.

Oh, je ne m'inquiète pas trop.

Il sourit, il est presque candide : honnêtement, il a l'air d'un parfait idiot, un imbécile heureux, en réalité.

Même si quelqu'un me voyait grâce aux caméras à cette heure-ci, je serais déjà loin avant qu'on ne me repère ! En tous cas, je l'espère.

Un petite course poursuite ne le dérangeait pas non plus, en tous cas l'idée ne lui faisait pas très peur.

Ce ne sont pas les miliciens qui m'inquiètent le plus. En fait, je ne suis pas très inquiet tout court, même si je vous ai dit de faire attention. Est-ce que vous voulez que je vous accompagne jusqu'à l'usine ? Comme ça, nous pourrons discuter encore un peu.

Joli ? Est-ce que Letty trouve ça réellement joli ? Son regard se porta à nouveau sur le dessin, comme s’il tentait de répondre à cette question. A vrai dire, il ne s’était jamais posé la question. Il haussa légèrement les épaules, sans réussir à trancher vraiment, avant d’esquisser un léger sourire.

– Navré, je ne saurais pas dire si le dessin est joli. Mais… je pense qu’un peu de couleurs ne fait pas de mal.

Peut-être qu’il n’aurait pas dû le dire ? Ça n’était probablement pas le genre de chose à exprimer face à un inconnu. Peut-être même que ça n’était pas non plus le genre de chose à dire face à quelqu’un que l’on connaissait. Qui sait si ça ne pouvait pas être interprété de la mauvaise manière. A nouveau, sans vraiment y penser, il haussa les épaules, avant de poser son regard clair sur l’entrée des souterrains, assez proche pour qu’il la voit, mais assez proche aussi pour qu’il n’ait pas envie de s’y aventurer. Pourtant, ça l’intrigue, quelque chose en lui aurait envie d’en savoir plus, de poser des questions, même si une certaine retenue l’en empêche. Après tout, rien ne lui prouve qu’il ne s’agît pas d’un piège et que l’inconnu n’est pas ce qu’il semble être. Doucement, 2404 se reconnecte à la réalité, sa réalité, celle qui faisait sa routine depuis aussi longtemps qu’il se souvienne.

– Ce doit être étrange de vivre là-dedans… Non ?

Le sourire du pénitent s’effaça lentement, en même temps qu’il indiquait son lieu de travail en réalité. Il allait falloir qu’il se remette en marche s’il ne voulait pas que son réveil matinal ne serve à rien. Et en même temps…

– Il se passerait quoi s’ils me voyaient en train de discuter avec vous ?

Machinalement, le jeune homme releva la tête, cherchant lesdites caméras, ou plutôt, cherchant s’il y en avait là où ils se trouvaient actuellement. Après tout, si ça avait été lui, en train de dessiner sur les murs, il aurait probablement fait en sorte d’être invisible lorsqu’il peignait.

– Si vous n’êtes pas inquiet, pourquoi est-ce que vous pensez qu’il faut être prudent ?

Letty hésita un instant, juste quelques secondes, avant qu’un nouveau sourire ne se peigne sur son visage, son regard glissant sur le jeune homme face à lui, puis, il hocha la tête.

– Si vous ne craignez pas les ennuis, je veux bien. Enfin… je ne sais pas si c’est très prudent, ni pour vous, ni pour moi mais… peut-être que comme ça, je pourrais vous poser quelques questions, et ça m’évitera aussi d’être en retard.

Dans un geste un peu machinal, le pénitent sortit son téléphone de sa poche, pour jeter un coup d’œil à l’heure affichée dessus. Il avait prévu large, réellement, mais malgré tout, il ne souhaitait pas risquer un nouveau retard et attirer l’attention sur lui une fois de plus.

– Je peux être curieux ? A part… euh… peindre, qu’est-ce que vous faites ?

La question sous-jacente, celle que 2404 ne posa pas, était plutôt : comment faites-vous pour survivre ? Mais une sorte de retenue, qu’il ne pouvait pas s’expliquer, l’empêchait de mettre les bons mots dessus, alors la question resta silencieuse et il se mit en marche en direction de l’usine.

S'il plaît à tes yeux, alors il est joli ! Tu n'as rien à savoir, tu dois juste le regarder. Tu peux décider s'il est joli ou non.

Le soleil pointe doucement le bout de son nez. Ses rayons illuminent de temps en temps le haut des grands bâtiments, ces mêmes bâtiments que Tempérance observe avec un léger vertige. Il se sent mieux profondément enterré dans les souterrains, loin du ciel et près de l'eau qui monte, qui monte.

Ce n'est peut-être pas l'endroit rêvé. Mais tant qu'on trouve sa place, on s'y sent bien. Ils sont assez nombreux, là-dessous. Peut-être que si tu venais, tu pourrais trouver un endroit qui serait tien.

Il lui sourit, presque énigmatique, mais au final sur ses lèvres se lit juste une certaine candeur. Tempérance, ne pensait pas à mal en essayant d'entraîner des pénitents innocents, jusqu'à lors ignorant tout de l'existence des vagabonds et des souterrains sous leurs pieds.

Je pense que tu aurais des problèmes. Après tout, je suis un vagabond ! Je pense que tu serais banni.

En tous cas, c'est ce qu'on lui avait expliqué. Parce qu'il ne savait rien de la surface lorsqu'il s'était éveillé. Il avait bien fallu lui apprendre. Lui apprendre des choses que tout le monde savait d'ordinaire. Abysse lui avait appris, avec toute la patience du monde. En y repensant, Tempérance était reconnaissant.

Allons-y, alors !

Et il l'entraîne vers l'usine que le pénitent a désigné un peu plus tôt, enjoué à l'idée de se balader un peu. Ils se dépêchent, mine de rien, pour être certains que personne ne les verrait.

J'aide les autres clans. Ils sont tous très différents, mais au final, ils cherchent tous à survivre. Vu que je suis seul, je vais plus loin que les autres, dans les souterrains.

Tempérance ne comprenait pas que s'il allait plus loin que les autres, c'était parce qu'il n'avait pas cette peur de mourir.

Je leur rapporte des objets, des babioles. Des matériaux, parfois. On trouve plein de choses dans les souterrains ! En échange, ils me donnent de la nourriture. Enfin, moins ces temps-ci, la vie est assez difficile. Du coup, je me retrouve souvent à aller chercher ma pitance moi-même, à la surface. Ca ne me dérange pas !

Ils arrivent rapidement à l'usine. Tempérance guide le pénitent vers une ruelle proche - pour continuer la conversation s'il le souhaite, pour pouvoir s'en aller rapidement quand il le faudra.

C'est une vie dure, mais c'est une vie libre.

Letty choisit le silence en guise de réponse. La réflexion, laisser les paroles de Tempérance se frayer un chemin dans son esprit plutôt que d’y donner suite immédiatement, autant laisser le temps à cette idée de murir comme il faut. La notion de beauté, encore plus liée avec une forme d’art, semblait un mystère aux yeux du pénitent quelque chose qui mériterait qu’il y accorde quelques instants, tout en étant, en même temps, une chose dont il ne devrait pas s’occuper. Parce que ça n’entrait pas réellement dans ses attributions, parce qu’il n’avait pas que ça à faire, parce qu’il perdait un temps précieux, un temps qu’il n’avait pas et qui aurait pu lui servir à travailler, à se rendre utile. A faire ce pourquoi il était là, en réalité. Cette rencontre étrange avait le mérite de le faire réfléchir et de le sortir de sa zone de confort… tout en nourrissant sa curiosité.

– Je ne suis pas sûr que ce soit une très bonne idée, pour quelqu’un comme moi, que d’aller « là-bas »…

Pas sûr non plus qu’il soit judicieux de faire cette proposition au premier venu, mais ça, 04-M-2404 n’était pas en position d’en juger réellement. A la place, il emboita le pas au Vagabond, tout en retournant ce qu’il venait de lui dire dans tous les sens.

– Je pense aussi que j’aurai des ennuis. Et en même temps…

Il haussa légèrement les épaules, sans aller jusqu’au bout de sa phrase. Si quelqu’un l’entendait, si quelqu’un les voyait, effectivement qu’il aurait des ennuis et il ne voulait pas s’attirer d’ennuis. Malgré lui un léger frisson lui parcourut l’échine et il reporta son attention sur l’usine qui se dessinait devant eux, à quelques mètres de là, encore. Lorsqu’ils l’auraient atteinte, Letty redeviendrait une ombre au milieu des autres, et sa vie reprendrait son cours habituel… plus ou moins. Probablement qu’il aurait dû couper court à la discussion dès qu’ils furent à portée de son lieu de travail, mais à la place, il le suivit dans la ruelle pour continuer encore un peu.

– Les autres « clans » ? Vous êtes vraiment aussi nombreux que ça ? Je veux dire… C’est bien ici non ? Alors pourquoi vouloir à tout prix aller ailleurs ?

Une expression un peu perplexe passa sur le visage du pénitent alors qu’en même temps il songea qu’il n’était peut-être pas aussi bien qu’il le laissait entendre, si ça avait été le cas, pourquoi est-ce qu’il était là en train de discuter au lieu de donner l’alerte ? Reprenant une certaine distance, il se laissa aller contre l’un des murs de la ruelle, son regard passant sans arrêt du jeune homme aux alentours pour s’assurer que personne ne pouvait les voir.

[color#78ab8b] – Ca doit être dangereux de vivre comme vous le faites. C’est un peu effrayant à imaginer pour moi.[/color]

Un peu, très. Un instant le regard du blond se perdit dans le vague alors qu’il tentait d’imaginer quelque chose qui lui était totalement inconnu, un mode de vie à des kilomètres du sien.

– Une vie libre…

Juste un murmure, comme si, durant un court instant, il était seul et avait oublié la présence du vagabond, avant qu’un léger sourire ne lui échappe.

– C’est une notion un peu étrange la liberté non ?

(Je suis navrée pour l'attente >< J'espère que ça t'ira, n'hésite pas à me poker s'il faut que je modifie un peu ou que je rajoute des choses !)