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Un hurlement déchirant résonne dans le siège du conseil. Il est trois heures vingt-sept. Les bruits sourds s'enchaînent, tintements irréguliers dans le noir. Tu craques, Raven. Tu craque, parce que ça finirait par arriver. C'est arrivé comme ça. C'est arrivé sans explication, juste un visage, croisé sur une caméra, juste un visage, encore un visage et ton cœur avait cédé. Tu étais un incapable, à peine utile à trier des dossiers.
Lucian. Lucian était vivant. Le visage doux d'un Lucian tout à fait suspect, comme c'était arrivé un paquet de fois, comme c'était arrivé et comme tu n'avais jamais rien fait. Parce que Celes ... Celes. Tu n'en savais rien. C'était Celes. S'il avait senti qu'il fallait faire quelque chose, il serait venu te voir, il t'aurait interrogé. Mais Lucian était son protégé et toi-même tu n'étais pas innocent. Alors, oui, voir le visage de celui après lequel la moitié du conseil courrait s'engouffrer dans les souterrains et disparaître des caméras t'avait rendu dingue, et, cette nuit, tu avais perdu pied. C'était sûrement la fatigue finalement, c'était sûrement ça qui t'avait poussé à te relever, calmement, puis à descendre tes manches sur tes avants bras. C'était sûrement ça qui t'avait pousser à envoyer voler tout ce qui se trouvait sur ton bureau, et à pousser ce cri, cet unique cri de colère.
Il... Il fallait lui dire. Celes était probablement encore là, quelque part, dans le conseil. Sûrement dans son bureau. Alors, tu t'étais relevé, tu t'étais relevé et tu avais marché calmement, calmement jusqu'à sa porte, tu avais encore des éclats de verre planté dans la main à ce moment là, mais rien n'aurait pu te faire changer d'avis. Tu allais lui dire, que depuis tout ce temps, tout ce temps, Celes ne cherchait qu'un traître. Oh, tu lui en voulais. Tu ne savais pas ce que Lucian avait bien pu faire, ou qui il avait bien pu entraîner avec lui, mais Celes lui même était peut-être devenu un problème, avec le temps. Ton cœur s'était scindé, et la partie que tu comptais lui montrer était restée dissimulée pendant tellement, tellement de temps. Aucun stigmate de la colère qui bouillonnait en toi, tu n'avais pas la moindre émotion sur le visage quand tu étais rentré dans son bureau, poussant la porte trop brusquement.
☆ Il faut qu'on parle.
Le cœur si lourd que t’en as perdu le sommeil depuis des jours. Tu pourrais presque le remplacer, Lucian, à parfois fermer les yeux au Conseil et te réveiller pour te perdre dans le regard froid et tranchant d’Aden. Sur le jugement impénétrable de Laney. Dans les iris indescriptibles de Raven. Le cœur au bord des lèvres, tu refermes l’un des énièmes rapports de la milice que tu connais mot pour mot. Les dépositions de 0021, 1200, 8027, 1652, Althea, Léandre, Amaury… Mais tu sais que pour tout ce que tu as harassé Amaury à l’annonce de cette funeste nouvelle, tu étais au fond le seul responsable. C’était toi qui avais décidé de l’y envoyer. Tu avais cru que le laisser gérer une situation par lui-même, aux côtés de membres du Conseil qu’il estimait… Mais tu aurais dû te fier à ta propre intuition. Aucun de ces enfoirés n’était digne de confiance. Aucun.
Les dossiers sont jetés à la volée dans un tiroir scellé. Rien de plus n’est visible ce soir. Tu as beau te persuader que tu as manqué quelque chose, rien n’apparaît. Pas plus que dans l’assurance tranquille et autoritaire d’Aden. Pas plus que… Tes mains sur ton visage tremblent. La fatigue te rappelle à l’ordre mais tu n’écoutes rien, tu ne prêtes plus oreille à ce genre de détails depuis longtemps. Les sourires se sont évanouis, et tu sens que le bord du précipice t’appelle sans que tu puisses lutter. Aspiré par le sentiment de ne pas pouvoir faire mieux. De ne pas être à la hauteur. D’avoir trahi la confiance de ton propre frère.
C’est pourtant ces mêmes yeux épuisés que tu poses sur Raven lorsque tu entends enfin ses pas silencieux. Lorsque tu réalises que tu n’es plus seul. Tu l’observes et tu te dis que s’il doit y avoir une exécution, elle sera sûrement ce soir. Elle sera sûrement maintenant, entre vos deux regards, le sien dénué de la moindre émotion, le tien submergé de douleur. Et tu ne voiles rien. Raven sait. Raven en sait bien trop. Il t’avait mis en garde, à de maintes reprises. Et tu n’en as toujours fait qu’à ta tête.
« Ferme la porte. »
C’est las, tellement las. Tu te relèves et retrousse les manches de ta chemise. Tu sais qu’il n’est pas un homme qui vient solliciter les autres sans raison. Le temps d’un instant, tu sais que ça se lit sur ton visage. Que tu n’as pas dissimulé toute ta vulnérabilité. Tu fais parfois cette erreur avec lui. Parce que c’est lui. Parce que vous vous en êtes déjà trop montré sans jamais délibérément le souhaiter.
T’as perdu espoir, le temps de quelques secondes. Et dans le bleu anthracite de tes yeux, cette étincelle s’est étouffée sans que tu puisses y faire quoi que ce soit.
« Dis-moi tout Raven. Je t’écoute. »
Son nom sonne comme une supplique. Comme on demande au bourreau de la potence de nous achever plus vite. Tu t’assieds sur le bord de ton bureau, face à lui et tu le surveilles avec une bienveillance qu’il ne mérite peut-être pas. Mais Lucian n’est plus là.
En toi, ça se déchire. Ça se rompt. Une patience menée finalement à bout. Tu sais que maintenant, toi sur le pas de la porte de ce bureau, les dés sont jetés. Aussi fort qu'ait pu être votre lien jusqu'ici, c'est ici qu'il se termine. C'est ici que tu fais une croix sur Celes, et tant pis pour la solitude. C'est comme ça que ça se passe, c'est toujours comme ça. Un soupire, tu relèves ta main et baisse les yeux dessus, peu à peu tu extrais un à un les éclats de verre plantés dans ta paume et tu les laisses retomber en sol. Certains s'entrechoquent et le bruit résonne dans le couloir vide. Il n'y a que vous. C'est une confrontation.
☆ Je l'ai vu, sur les caméras.
Tu annonces, finalement. Tu aurais pu lui mentir, l'idée t'a effleuré l'esprit, même. L'idée de tout dissimuler et de faire ton enquête tout seul n'était pas nécessairement une mauvaise idée. Mais malgré toi, tu t'étais promis de ne jamais lui dissimuler la moindre information à ce sujet. Jamais. Alors, si c'était votre dernier échange, tu l'acceptais.
☆ Il est entré dans les souterrains, dans le 10e.
Pas de surprise, finalement. C'est comme une évidence. Tu n'as pas ton manteau, mais l'idée d'y aller et de régler la question t'effleure. Tu sais que c'est ce que Celes va faire, comme si tu prédisais le futur. Tu sais comment il va se lever, et te bousculer pour passer, pour sauter dans le premier piège dans lequel il pourra. Tu sais qu'entrer dans les souterrains, pour des gens comme vous, c'est l'assurance de ne pas en ressortir.
« Raven. »
Face à lui, tu l’attrapes par les bras pour le sortir de son mutisme inquiétant. Tu trembles presque, tu sens que ce poids qu’il vient de te jeter t’écrases et tu pourrais étouffer mais tu ne peux pas. Tu t’es promis de le retrouver. Tu te l’es juré. Assimiler les informations, les superposer. Il a été vu. Il a été vu. Il est en vie.
« Raven, regarde-moi. »
Il y a une hâte évidente dans tes paroles, mais pour une fois, tu ne le brusques pas. Tu attrapes sa main blessée et fait cesser l’autre de s’activer. Tu ne comprends pas. Tu ne comprends pas, un élément te manque.
« Montre-moi où. »
Les dents serrées, ce sont de tes mains trop assurées que tu effaces les derniers éclats de verre dans sa peau et plante un regard perçant dans le sien. C’est insensé, ce silence qui s’est abattu entre vous comme une chape de plomb. Lucian est en vie. Il y a encore de l’espoir. Il-
Ton souffle se tord et tu l’attires trop brutalement contre toi, là, tu l’éclates presque contre ton torse, crispé, tendu, soulagé même dans cette peur débilitante qui t’assommes. Quelque chose t’échappe, et tu sais que quelque part, si Lucian est en vie, c’est déjà bien plus que tu n’aurais pu l’espérer. Tu voudrais dire merci. Merci de l’avoir ramené à la vie, mais Raven n’y peut rien. N’y est pour rien. Il est cet œil aiguisé que tu crois trop. Qui réveille ta haine, ta colère, mais aussi tout ce qui est trop juste au fond de toi.
« Cet espèce d’imbécile. »
Il n’y aurait qu’à lui que tu l’aurais avoué. Là, presque tendre. Raven ne t’avait pas trahi. Raven s’était encore une fois montré irréprochable malgré son impassible agression. Tu ne regrettes pas. Tu ne regrettes pas de lui avoir confié plus que ta raison n’aurait dû le tolérer.
C'est invivable. C'est invivable cette colère qui gronde en toi. Non, tu ne lui dis pas. Tu ne lui dis pas. Tu ne lui dis pas que Lucian est allé de lui même, seul, dans les souterrains. tu ne lui dis pas qu'il a un comportement parfaitement suspect. Tu ne lui dis pas, parce que tu ne sais pas. Tu n'as pas envie de le blesser, tu n'as pas envie de lui faire du mal, toi qui habituellement t'étais fait à ça. Tu t'étais fait à la solitude. Mais tu le savais, même si tout rentrait dans l'ordre, la solitude reviendrait. Et si tu lui disais le fond de ta pensée ? Celes te planterait sûrement là. C'est probablement ce que tu aurais fait.
Tout de même, au lieu de te repousser et de partir le chercher, Celes approche, il retire les derniers morceaux de verre et te serre dans ses bras. Tu n'as pas envie de trahir le moindre sentiment, alors tu fermes les yeux. Celes est chaud, il te semble brûlant, tu as envie de le repousser, tu as envie de lui dire d'aller se faire voir et pourquoi pas dessiner une nouvelle cicatrice sur son visage. Tu le déteste. Tu le déteste. Tu le déteste.
Ton souffle est irrégulier, malgré tous les efforts que tu fais, malgré toute ton envie d'être froid et imperturbable, bien sûr, le masque se craquelle. Ça a toujours été comme ça avec Celes, et c'est pire depuis que Lucian a disparu. Et tu détestes ça. Tu le déteste, bon sang !
☆ Tu ne comprends pas.
Tu le repousse brusquement même si le coeur n'y est pas. Tu étouffes. Ton souffle te trahis, tu ressens quelque chose, bien sûr. Toi qui ne montre jamais rien, absolument jamais rien, te voilà face au fait que tu ne sais pas gérer tes émotions face à Celes, que tu es partagé entre la vérité et le blesser.
☆ Il est entré seul dans les souterrains ! Il savait ce qu'il faisait ! Tu ne comprends rien !
Et la tempête Raven reprend, comme tout juste sortie de l'oeil du cyclone, cette fois à Celes que tu t'en prends, la gifle siffle, violente, mauvaise. Ouvre les yeux, Celes, ouvre les yeux, tu supplie.
Tu ne te froisses pas qu’il te repousse. Pas même de la teneur cinglante de ses mots. Tu cherches sont regard et tu y revois la même lueur que tant de soirs. Cette même étincelle de furie, de folie, de frénésie. Tu ne le comprends pas, tu ne le comprendras probablement jamais. Tu ne sembles pas plus comprendre ses insinuations. Tu as sûrement juste perdu la raison, parce que c’est plus facile d’oublier. De penser que Lucian est en vie. C’est la seule chose qui a compté pendant toutes ces semaines et tu ne vois certainement pas le problème.
C’est sûrement pour cette raison que sa réaction te laisse aussi indécis. Tu tentes désespérément de rattraper l’éclat qu’est Raven. Ce ne sont pas ces morceaux de verre dans sa paume qui font la différence, non. C’est la façon que ce petit quelque chose a de fracasser au sol. Et quand ses mots sont crachés comme le plus infâme des venins, la gifle te force à détourner la tête sous l’impact. La brûlure est réelle, quand bien même la douleur est insipide. C’est pourtant tout ce qu’il te faut. Raven a beaucoup trop souvent cet effet-là. Ce pouvoir ingérable de raviver quelque chose de malsain au fond de toi.
Ta main s’abat sur sa gorge et tu l’encastres sans le moindre effort contre le mur le plus proche. Ta prise est assassine, et ton regard aussi froid et vengeur que celui de ton vis-à-vis. Tu es proche, trop proche, et tu as conscience que ta prise est douloureuse. Tu sais aussi pertinemment qu’il a encore tous ses moyens pour se défendre ou prendre la fuite. Mais tu connais Raven, dans ces moments-là. Pour tout ce qui tu ignores de lui, tu sais ça par cœur.
« Alors explique-toi, Raven. Qu’est-ce qui te semble si évident, hm ? Pourquoi toi qui passe tant d’heures à t’assurer de la véracité des tes propos accepterait qu’une seule image inculpe la personne que je cherche depuis des semaines. Quelles sont tes foutues preuves ? Qui te permet de salir l’honneur de Lucian devant moi sans la moindre putain d’explication ? »
La voix basse, sombre, profonde et menaçante. Vous êtes deux à savoir jouer à ce jeu-là. Et lorsque ton poing libre s’abat contre le mur, tu sais qu’il y restera une trace. L’un des innombrables signes de la rage colossale qui bout depuis toujours entre vous.
Ha. La main qui se referme autour de ta gorge te tend, l'arrière de ton crâne a tapé contre le mur, fort. Mais ça va. Ça ira. C'est presque une habitude. Lorsque c'est la poigne ferme de Celes qui se referme autour de ton cou, tu te sens presque rassuré. C'est Celes. Tout va bien. Même si c'est Celes qui finit par te détruire, alors ça ira. C'est Celes, Raven. Ce n'est que Celes. Alors, oui, la tempête se tait, et ce n'est pas de la peur qu'il lira dans tes yeux, mais de la lassitude et de l'inquiétude, c'est ce qui brûle au fond de tes yeux bicolores quand tu relèves la main pour la poser contre son poignet et serrer un peu, juste pour qu'il t'écoute, qu'il soit pleinement attentif. Tu sais qu'il desserra juste assez pour t'entendre clairement parler.
☆ Arrête.
Le tremblement de ta voix n'est pas là à cause de sa peau contre la tienne, non, tu es en train de bouillir, de bouillonner. Celes, bon sang, comprends. Tu ne le laisseras pas se jeter dans la gueule du loup.
☆ J'ai vu Lucian. J'ai vu Lucian, mais est-ce qu'il s'agissait de Lucian ?
Tu baisses le ton, comme si on vous écoutait, comme si on vous guettait, comme si, derrière la porte close du bureau de Celes, il se tenait là, près au moindre faux pas de ta part pour te jeter aux oubliettes, te jeter en pâture au monstre. Oh, il aurait très bien pu s'agir d'Abysse sous couvert, ou de n'importe qui d'autre. Tu avais vu Lucian, ou la fatigue t'avais fait voir ce que tu cherchais depuis si longtemps ? Tu voulais bien entendre que tu ne pouvais pas le juger si vite. Tu pouvais entendre. Celes avait raison, même si ça te coûtait, tu vérifiais tes dossiers, un à un. Alors, tu détournes les yeux, tu ne lui fais pas l'affront de lui montrer toute la détresse que tu ressens, il n'a pas à la voir, ni à la partager. C'est la tienne. Et même si c'est sa faute, hé bien soit. Tu peux bien porter ce fardeau.
☆ Je ne veux pas te perdre.
C'est soufflé, sans douceur, sans tendresse, même si ton coeur se serre. C'est soufflé comme une mise en garde. Et puis, après un instant passé à ne pas le regarder, à esquiver son regard, ta main qui l'avait giflé, celle qui ne tient pas son poignet pousse sur son épaule pour le repousser de toi. Tu dois avoir l'air idiot, comme ça, Raven.
Tes doigts tendus contre sa trachée, tu le laisses parler, tu l’écoutes et le brûle de ton regard, bois chacun de ses mots comme s’il n’y avait plus d’autre raison à ta vie. Comme si Raven était devenu l’épicentre de ton attention, de toute la colère destructrice que tu retiens. Mais quelque chose bloque. Quelque chose s’effondre et c’est incertain, s’agit-il de ses murs ou des tiens ? Sa voix tremble et tu cherches ses yeux sans pourtant y trouver la réponse que tu souhaites. Il dit la vérité. Il dit la vérité et ça te brise.
Sans aucune autre forme de violence tes doigts relâchent progressivement leur prise. Et tu le vois que quelque chose se contorsionne au fond de Raven. Qu’il ne dit pas tout, qu’il n’a jamais tout dit, de toute façon. C’est plus fort que toi. Plus fort que lui, quand il murmure dans la pesante tension entre vous, dans ce silence que vous avez nourri pendant bien trop d’années.
« Tu ne me perdras pas. »
Peux-tu être plus assuré qu’à cet instant précis ? Impossible, car s’il est une certitude, c’est que tu ne peux pas disparaître. Car tu sais sans peine que si ce n’est pas toi qui retrouve Lucian, personne ne le fera. Tu n’as pas cette option. Tu ne peux pas perdre tes moyens, pas plus que ta vie. Tu ne recules pourtant pas devant lui, tu plaques ta main de sa gorge au mur, le coinçant là, tu ne le touches pas, tu connais ce Raven.
« Parle-moi. »
Les sourcils froncés, le regard trop intense, épingler Raven à ce mur de tes yeux, tu le fais avec toute l’élégance de ces mois à vous battre et vous rôder autour.
« Je ne peux pas prendre une décision saine si tu ne me dis pas tout. Tu ne serais jamais venu me le dire si tu ne savais pas davantage. »
Un silence et tu effleures le visage de Raven du bout des doigts pour l’inciter à tourner le visage vers toi, pour capter toute son attention, comme si tu ne l’avais pas déjà. Vous y arriverez, un jour. Un jour vous parviendrez à communiquer sans devoir abuser des faiblesses de l’autre. Peut-être.
« Dis-moi, Raven. De quoi dois-je avoir peur ? »
Tu n’iras pas dans les souterrains sans avoir mesuré toutes les options. Tu n’enfreindras pas les règles de front. Il faut que tu puisses faire ce choix en toute connaissance de cause. Et Raven semble tenir la clé. Raven tient toujours la clé. Un soupir, le masque tombe.
« Aide-moi. Ne me fais pas te supplier à nouveau. »
Celes ne comprend rien. Il ne comprendra jamais rien. Il n'a rien compris le jour où il a écrasé ses lèvres contre les tiennes quand tu avais daigné avouer. Il n'avait rien compris et tu n'espérais plus, plus rien. Ça n'avait pas d'importance, de toutes façons. Tu n'étais pas le mieux placé pour vouloir des choses, pour les désirer. Alors, non, tu n'avais pas le droit de désirer un homme tel que Celes, ou un homme tout court. Tu avais déjà trop perdu la première fois.
Il dit que tu ne le perdras pas, et il abuse. Il sait sur quel corde jouer, il sait comment te faire plier, mais jamais te faire rompre. De ses doigts contre ta peau résulte un contact électrisant, terriblement électrisant. Ce n'est pas ce que tu veux. Tu veux plus, tu veux tout. Tu n'auras rien. Tu n'as pas le droit, c'est ce que tu te répètes encore et encore. Une litanie entêtante qui ne veut plus rien dire, finalement. Au final, tu te dis que ce n'est pas la peine, de simplement abandonner l'idée de lui dire ce qui te trotte dans la tête. Il fera bien ce qu'il veut, tant pis pour lui. Tu détournes les yeux et soupire bruyamment, tu veux lui faire comprendre ce qui t'agace.
☆ On a retrouvé un corps mutilé dans le 5e. Tête tranchée, nette.
Tu replantes ton regard dans le sien. Il n'aura rien. Il n'aura rien de toi. Le chef de la milice de retour, tu te fais la promesse de ne pas céder, de ne plus céder.
☆ Je préférerai éviter qu'une telle chose t'arrive.
Et, plus bas.
☆ Ce serait difficile de te remplacer.
Tu te dis que, peut-être, il entendra par là que Lucian ne pourrait pas prendre sa place, mais ton regard trahi encore que ce n'est pas la teneur exacte de tes propos. Celes bouscule trop tes habitudes, ton envie de le détruire devrait se faire plus forte encore. Pourquoi tu n'y penses pas ? Pourquoi tu n'en as pas l'envie ? Tu ne sais pas.
☆ Les souterrains ne sont pas notre domaine, Celes. Si tu y entres, tu n'en ressortiras pas.
Depuis la pluie, les choses avaient pris une tournure inexplicable. Aden avait été de plus en plus clair sur les dangers imminents. Les premiers bruits de couloir sur Abysse et une autre personne avaient commencé à silencieusement secouer le Conseil et… Pour tout ce que tu ne crois aucun des autres membres du Conseil, tu savais que Raven…
Un soupir, tu retires ta main de sa prise et retournes à ton bureau, attrapant ta veste et verrouillant l’ensemble de tes dossiers avant d’éteindre ton ordinateur. Tu ne reviendras pas. Pas ce soir, en tout cas.
« Viens. S’il te plaît. »
Oh tu n’as pas l’intention de vous emmener bien loin. Tu devances Raven et tu ne lui imposes pas de poursuivre cette conversation dans les couloirs. Vos pas vous ramènent pourtant bien assez vite dans le bureau du chef de la milice et… Tu ne lui donnes pas le temps de t’empêcher d’entrer et tu te baisses naturellement pour commencer à récupérer tout ce que l’autre homme à foutu au sol, ignorant les éclats de verre pour le moment.
« Tu veux bien retrouver la séquence de surveillance ? »
T’es pas encore inconscient, Celes. Tu n’aurais de toute façon pas pu le rattraper, pas avec le temps que ça aura pris de rejoindre le dixième, ni même de traverser les souterrains à l’aveugle. Tu repenses au sang dans le réfectoire. A la déposition quasi silencieuse et pourtant concordante de 8027… Tu te fais une note mentale de la convoquer au plus vite, puis reporte ton attention sur Raven. Les pièces du puzzle ne font encore aucun sens. Et plus tu penses aux propos incohérents de Lucian, plus tu te dis que tu rates un élément.
Tu tiens un ensemble de documents entre tes mains, et tu ne lis pas les intitulés, tu ne brises pas la confidentialité de tout ce qui ne te reviens pas. Tu lui dois bien ça. Et il saura que tu ne feras rien de toute cette paperasse quand tu reprends, le ton sombre, presque songeur.
« Je commence à me demander si je ne devrais pas tout simplement arpenter les rues et chercher Abysse. »
L’idée est purement inconsciente, et tu le sais. Mais aux grands maux les grands remèdes. Tu relèves les yeux vers Raven et dans l’intensité de ton regard, il saura que tu ne plaisantes pas.
« Ou trouver un moyen de faire remonter de force ce qui croupit dans les tunnels… »
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