Il fronce les sourcils sous la pression de son doigt, l’air un peu perdu avant d’incliner la tête sur le côté. Un chien ? Mais Jasper il préfère les chats, c’est plutôt mauvais signe ça non ? Malgré ça, il tente quand même, le son léger après qu’il ait mentionner pouvoir lui apprendre à aboyer. Il a entendu le son si peu de fois qu’il se doute qu’il va encore se ridiculiser. Mais avec une ptite moue, il lâche le plus stupide et ridicule…

« Wif. »

Quoi, il a vu un chien une seule fois dans sa vie, et il passe trop de temps enfermé pour avoir vraiment étudié le bruit que ça fait. Puis d’abord lui il est intéressé par les maths. Il veut pas devenir vétérinaire ou agro aliment j’sais pas quoi. Ca lui dit rien. Mais l’idée est vite balayée quand la mention de retourner dormir tombe comme un cheveu sur la soupe. Et ça se lit sur son visage. L’éclat de joie se volatilise et il baisse juste un peu les yeux, perdu, la peur prête à le pousser dans un nouveau précipice d’inquiétude.

Sa prise se relâche autour de Jasper, mais il revient seulement l’agripper de ses deux mains au flanc. Il ne veut pas. Ce moment précis, c’est la première fois qu’il trouve un peu de réconfort dans sa situation depuis des jours. Il ouvre la bouche, prêt à parler. N’ose pas. Tente encore et un son se coince dans sa gorge.

Ok, vas-y Mirai, tu peux l’faire.

« T-tu veux bien rester jusqu’à… Tu veux bien rester jusqu’à c’que j’m’endorme… ? »

Plaintif, presque abattu. Il sait qu’il n’y a aucune probabilité que s’il retourne seul dans sa chambre, la panique ne revienne pas l’étouffer. Il reprendra ses livres et ses feuilles, reprendra sa peur et son angoisse. Il serre un peu plus fort sa prise sur le tissu qui couvre Jasper et ses sourcils s’arquent d’une façon pitoyable, presque blessée.

« S’il te plaît.. »

Le temps de silence, cette pause, elle est presque tangible. Mais Mirai a pas peur pour une fois. Il a pas peur parce que c’est Jasper. Parce qu’il sait. Il sait que peu importe la suite, il le laissera pas. Parce que Jasper lui a promis.

Alors quand sa main à lui se glisse dans la sienne, Mirai réalise pour la première fois qu’il est bien plus petit et chétif. Les mains de Jasper sont larges, chaudes, rassurantes. Les siennes sont un peu moites, et petites, et couvertes d’encre là où il a réussi à se salir de ses notes de l’école. Mais il dit rien. Resserre sa prise sur sa paume et le suit sans un mot, comme deux voleurs dans la nuit. Et il s’étonne un peu lorsqu’il passe la porte non pas de sa propre chambre, mais de celle dédiée au surveillant qu’est le brun.

Mirai est un peu curieux, observe la pièce, et c’est bien plus ordonné que la sienne. Un peu plus grand aussi. Et le lit… Il remarque que les draps sont un peu froissés, que Jasper a déjà dû utiliser cette place. Il rougit, réalise qu’il dormira peut-être avec l’odeur de… Non non, commence pas Mirai. Pas là, pas comme ça.

Il l’observe s’asseoir au bord du lit et hésite un instant. Déglutit, regarde son état et retire son blaser d’uniforme puis sa chemise sous laquelle il porte juste un débardeur blanc. Mais il a déjà froissé ses vêtements, il peut pas risquer de les abîmer davantage pour demain. Il approche enfin du lit, y grimpe à quatre pattes et presse sa joue contre celle de Jasper. Il dit pas un mot, reste juste-là un instant, apprécie son aura, son odeur, sa présence, puis vient tout doucement s’allonger sur le lit. Il devrait sûrement avoir honte, quand une fois installé sur le côté, il ose glisser sa main sur celle de Jasper. Joue du bout des doigts avec les siens. Veut les nouer mais n’ose pas. Préfère chercher son regard, plein d’espoir.

Y’a pas besoin d’une parole, pas d’un mot. Il l’aime, et la réalité n’a jamais été plus criante.

Même dans le noir… Même dans le noir, et peut-être même encore plus dans le noir, Mirai pense que son cœur pourrait exploser. Jasper revient, lie leurs doigts, les noue, et Mirai referme juste un peu sa prise, y croit, le veut.

« Tu sais… Quand j’étais tout petit, j’avais peur du noir… »

Un souffle, à peine, même le murmure de la pluie dehors est plus fort. C’est calfeutré, seulement à eux. Seulement à Jasper et Mirai.

« La maîtresse… Elle disait que si on avait peur du noir, il suffisait de fermer les yeux pour oublier… Que… Que si on fermait les yeux ben – il ferait plus aussi noir. Parce qu’on s’endormirait et… C’est complètement idiot. J’avais peur du noir, et en fermant les yeux, il faisait encore plus noir, et en plus, j’avais l’impression que n’importe qui pouvait m’attaquer et je le verrai pas venir… »

Il remue un peu, se rapproche de Jasper, imperceptiblement, s’est juste courbé pour pouvoir rapprocher son visage de leurs mains liées. Son souffle chaud effleure leurs peaux, il continue, avoue, se confesse.

« Mais l’enfant à côté de moi… Il m’a pris la main et il m’a dit que si j’avais peur du noir, lui il garderait un œil ouvert pour moi. Et c’est un peu nul quand j’y repense… Parce qu’il a fallu quelques secondes pour qu’il commence à ronfler… Tu parles d’une surveillance… »

Il ferme les yeux, laisse son souffle s’apaiser. Ferme les yeux et reconnait l’odeur de Jasper sur l’oreiller.

« J’voulais juste garder sa main dans la mienne. Mais c’est plus jamais arrivé après… »

C’est idiot. Idiot que ce souvenir lui revienne maintenant. Que Jasper soit le premier à lui avoir offert ça depuis le temps.

« J’veux juste garder ta main dans la mienne. »

Un silence.

« J’veux plus… J’veux plus mais j’me contenterai de ça. »

Pourquoi est-ce qu’il lui a raconté ça, déjà ? Mirai sait qu’il n’a pas vraiment le choix. Qu’il ne peut pas brûler les étapes. Qu’il en réclame déjà trop. C’est ça le souci. Le souci c’est qu’il est jaloux, un peu possessif, qu’il est gâté, qu’il en veut davantage. Alors quand Jasper s’allonge, quand il en donne délibérément plus qu’une simple main qu’il serre dans la sienne… Mirai se laisse porter par un élan de courage. Un simple élan de courage. C’est ça.

Il se redresse un tout petit peu et dans le noir, embrasse la joue de Jasper au hasard. C’est pas pire que la dernière fois. Il a le droit non ? Et puis c’est pas comme dire je t’aime. C’est qu’un baiser. Un simple baiser.

Et quand il se recule, son souffle est sur sa peau, et sa voix tremble. Il n’a pas besoin de le dire pour se déclarer. Non.

« Bonne nuit Jazz... »

Ah, le revoilà lui. Ce surnom. Et le feu sur ses joues. Il se mord la lèvre, recule, fait mine de rien, retourne s’allonger à sa place, enfouit son visage dans l’oreiller pour oublier que la galaxie existe et qu’il vient de l’embrasser – et qu’il voudrait le faire encore. Et encore et encore et encore. Est-ce qu’on peut se lasser de ça ? Est-ce qu’on peut se lasser d’aider quelqu’un et de vouloir être prêt de cette personne ? Mirai ça ne lui arriverait jamais. Jamais.

Ses doigts se resserrent sur les siens, parce qu’il en veut pas le perdre ou lui faire croire quoi que ce soit. Parce que cette main, c’est son talisman contre tous les maux de la vie. Parce que cette main c’est la première preuve qu’il n’est plus tout seul.

Le gamin pensait que les choses s’arrêteraient là. Que… Il sait pas à quoi il a pensé. Il sait vraiment pas ce à quoi il s’attendait, vraiment. Il voulait juste… Un voulait quoi, déjà ? Tout ce qu’il sait, c’est que tout s’est volatilisé dans sa tête quand il l’a senti bouger.

Dans les bras de Jasper, le son de sa voix si près de son oreille, Mirai réalise qu’il n’aurait jamais rien pu demander de plus que rencontrer cet homme.

Ca lui prend quelques instants pour calmer son pauvre cœur – non – et il ose se tourner pour garder son dos contre le torse du grand brun. Il vient chercher l’une de ses mains et noue à nouveau leurs doigts, ramenant le bras de Jasper en travers de son flanc, ramenant leurs mains contre son torse, comme on chérit son doudou, là, tout contre lui, à l’endroit le plus sûr du monde.

Y’a pas besoin d’un mot de plus, parce qu’il joue aux cuillères avec Jasper, parce que tout autour de lui est à l’homme qu’il aime. Il veut rien de plus. Rien de plus que cette tendresse, même pour une nuit seulement. Le monde lui raconterait la suite de l’histoire. Parce que là, blotti dans ses bras, vulnérable, fragile et encore si aveugle à la réalité du monde, il trouve le sommeil le plus réparateur de sa vie.

Le souffle régulier, bercé dans tout ce qui est Jasper, Mirai pourrait ne jamais se réveiller. Il n’a pas de regrets.