Ft. Violence
Ça a commencé avec Abysse. Avec la perte quasi spontanée de contact avec 1004 et 8027. Ça a pris la forme de ces boyaux de mines progressivement inondés. Ça a la figure de ligues d’encre bleu ondulant sur les murs, à peine transpercées de deux orbes rougeoyants. 1652 ne trouve plus le sommeil, ne parvient plus à garder la tête hors de l’eau. Il n’a pas le sentiment que les choses ont réellement changé, pas quand le reste de la population poursuivait simplement ses jours avec un parapluie, comme si les choses restaient perpétuellement les mêmes.
Mais Arun ne sait plus vers quelle entité se tourner. L’idée l’a effleuré plus d’une fois de lâcher prise. De ne plus céder aux arrêtés. De suivre un chemin qu’Abysse semblait voir tout tracé pour lui. Mais il suffisait d’un regard, d’une pensée, pour qu’il réalise qu’il n’en avait pas le droit. Qu’il ne méritait pas de trouver sa voie si d’autres continuaient à perdre la leur, à perdre la vie.
Les pieds dans l’eau, sa tenue est trempée bien au-delà des genoux et le goût de l’échec cuisant que représente son issue de secours privilégiée inondée de la sorte lui tord le cœur. Il devait faire quelque chose. Mais seul, et face à un élément incontrôlable, 1652 avait parfaitement conscience de ne rien pouvoir faire de concluant.
8027 lui reprocherait sûrement de ne pas même faire le simple effort d’essayer de respecter les horaires de travail. Probablement même que cette fois, elle n’essaierait même pas de le couvrir. Il compte les jours, il sait qu’elle ne fera plus rien, sait qu’il a fait l’erreur de trop. Que la confiance qui avait un jour existé entre eux, il l’avait piétiné, et elle la lui avait jetée à la figure comme elle aurait pu et sûrement voulu l’ébouillanter de sa quotidienne tasse de thé.
Les souterrains n’ont pas encore pris l’eau, mais une mauvaise rencontre lui avait prouvé que des vagabonds semblaient avoir perdu la vie. L’eau n’a jamais été leur élément. De peur ou d’incompréhension, personne dans ce monde ne sait s’en sortir face à cet élément insaisissable. Il sait qu’elle n’est pas responsable de ça. Qu’elle est probablement déjà débordée, mais à défaut de pouvoir trouver le maître de ce clan, sa seconde avait toujours été d’un conseil exemplaire, ou a minima, d’une écoute assurée.
S’il ne pouvait pas protéger ses mines, il voulait au moins pouvoir les aider eux.
Ses pas l’amènent sans peine jusqu’aux profondeurs des souterrains, l’accès n’y est pas facilité par l’eau montant progressivement dans les mines. Il n’a pas les moyens de changer les choses seul. Alors peut-être qu’elle pourra aider. Il expire doucement, défait, et frappe du poing contre l’une des parois de métal, une qui claquait sans peine, mal affixée à son cadre, le bruit résonnant avec discordance dans le vide éphémère des boyaux de la ville.
Les choses ont changé trop vite, et à la vitesse du son s’effaçant dans les couloirs sombres, le monde semble vouloir disparaître à son tour.
Alors Violence rôdait. Bien moins amicalement qu'elle n'avait pu l'être avec Moineau, lorsqu'il avait daigné foutre les pieds dans les souterrains. Aujourd'hui le clan massacrait à vue, parce qu'il n'y avait rien d'autre à faire que se battre pour le peu de terrain maudit qu'ils avaient acquis, à la force des choses. Les ordres étaient clairs. Chacun de ses pas dans les boyaux de la ville faisait grandir en elle l'inquiétude de croiser la silhouette aux perles rouges. Cependant, cette fois il n'en fut rien. Elle reconnu sans mal les contours du mineur et ça ne l'empêcha pas de le mettre en joue. Violence connaissait Arun - et Vengeance en parlait assez - suffisamment pour qu'elle sache qu'il n'était pas une menace pour le clan. En revanche, qu'est-ce qui lui disait qu'il n'était pas une menace pour elle ?
* Qu'est-ce que tu fais là, Arun ?
Elle siffla, une lame brillante contre le cou offert du garçon.
Ft. Violence
Il l’observe, ne lui fait pas l’affront ni même l’honneur de broncher, de reculer ou même de la provoquer. Il sait qu’elle est tout ce qu’il y a de plus menaçant dans ces souterrains. Et il n’a pas le cœur à demander d’elle plus que quelques instants. Il a simplement besoin de partager avec elle la vérité déroutante des mines. De l’informer que des corps commencent à joncher les eaux montant dans les entrailles de la Terre.
* Vas-y, parle.
Elle n'aime pas être suivi. Suivre Moineau, c'était autre chose, c'était elle décidant de le guetter et de le guider, histoire qu'il n'aille pas n'importe où, là, c'est différent. Malgré le fait qu'elle sache qui est Arun, l'ait vu à de multiples reprises, elle compte bien demeurer un rempart entre lui et le clan. Elle ne veut pas d'Arun dans le clan. Elle ne veut pas d'Arun près de Vengeance, et bien sûr qu'il s'agit de jalousie, simplement elle essaye de ne pas y penser.
* J'ai pas que ça à faire.
Ft. Violence
Un soupir et il commence, observant l’obscurité infinie s’étendant devant lui, derrière le dos de Violence.
Il ne saurait dire quoi. Ne saurait lire cette femme. Elle est quelque chose qu’il ne saisira jamais. Il est même persuadé qu’il ne veut pas en savoir davantage. Qu’il ne veut pas s’approcher plus du clan Vengeance que de la lame de Violence.
Sa mâchoire se tend et il cherche le regard anthracite de Violence, visiblement alarmé par cette trouvaille.
Il n’ose pas chercher à savoir comment. Il n’a pas envie de comprendre. Son rôle est de protéger des vies. Pas de s’encombrer de celles déjà perdues, quand bien même cette simple idée lui tord le cœur.
Elle a claqué sa langue contre son palais si fort que le bruit résonne dans toute le couloir baigné d'obscurité. Violence hausse les épaules, Violence n'a rien à faire des pénitents, pas maintenant, pas comme ça. Elle a d'autres priorités, voyez-vous, et les petites crises de conscience d'Arun ne lui font vraiment ni chaud ni froid.
* Pas étonnant de trouver des corps dans un truc où on faisait sauter les gens pour les punir d'idioties pendant si longtemps. J'espère qu'ils reprendront vie et iront dévorer le conseil, tu sais quoi.
Oh, bien sûr, elle pourrait très bien l'ignorer et continuer sa route sans chercher plus loin, sans chercher à savoir ou comprendre ce qu'il a à dire. Mais Arun semble s'inquiéter, elle soupire, laisse un peu tomber les murs.
* Écoute, on a d'autres problèmes, si l'eau monte encore et que Dante continue à n'en faire qu'à sa tête, on sera tous morts avant d'avoir eut le temps de dire mort au conseil.
Un silence, elle détourne les yeux.
* Beaucoup d'entre nous sont blessés, ou affamés. Je suis désolée d'être brusque, mais le sort des mines me passe totalement au dessus.
Ft. Violence
Il ne bronche pas, ne semble même pas dérangé, en réalité. Il l’écoute sans un bruit, notant sans peine l’ironie de se faire taire quand votre vis-à-vis en a tellement plus que vous à dire. Il n’en dit rien. S’interroge simplement sur le nom de Dante, un pic de douleur lui traversant le cœur à ce nom trop familier. Dévie de sa propre pensée en s’interrogeant sur la sécurité des membres des autres clans. Si son esprit vagabonde un instant vers Abysse, il ne s’en rend même plus compte. La pensée lui semble presque rassurante.
1652 ne réalise pas que dans les propos de Violence, il pourrait lire davantage. Que dans tout ce qui est dit là, se noue avec complexité une réalité qu’il n’assimile pas. Il finit par reculer, l’observant encore et dit vainement.
Mais il n’est pas idiot. Il sait qu’elle préférera lui trancher la gorge que se rabaisser à lui demander de l’aide. Ils ne se doivent rien, si ce n’est la plus simple once de respect. Et lui ne fera rien pour briser les barrières qu’elle a elle-même mises en place.
Et tourne simplement les talons.
* Je vois.
Elle le laisse s'éloigner, bien sûr qu'il connait le chemin. Bon, bien sûr, elle l'aurait racompagné. Elle observe sa silhouette s'assombrir alors qu'il s'éloigne dans le tunnel, imaginant que les membres du clan Vengeance ont développé le même genre de talent que ceux des mines, finalement. Elle sourit, faiblement, à cette idée.
* Fais attention à toi.
Ça sonne comme une mise en garde amicale, ça n'a rien d'une menace, cette fois.