Depuis, les jours de pluie sont passés. Depuis, la milice semble plus sur le qui-vive. Les caméras dysfonctionnent encore, et à bien y regarder, tu sais que le clan Abysse semble peu à peu progresser dans ses machinations. Tu ne comprends pas. Tu te dis simplement que le but serait de faire tomber le Conseil, non pas par la force, mais bel et bien par le moyen détourné le plus efficace, quel qu’il soit. Mais tu dois être le seul à penser de la sorte. Le seul à simplement vouloir briser cet engrenage de malheur qui vous oppresse tous.
Alors pourquoi ce jour-là précisément ? Pourquoi avoir décidé de céder quand tout portait à croire qu’elle avait dû t’oublier, dans sa vie trop active ? T’es qu’une ombre imprévue entrée par effraction dans sa vie Kai, ouvre les yeux. Elle ne doit pas se souvenir de ton existence. Elle doit sûrement même être mariée…
Et d’un coup, l’idée te traverse, injustifiée. Tu es là, dans l’un des petits plants de pavot que tu surveilles avec intensité, autant pour ses vertus médicinales que… ah, tout le reste. Et tu y penses, bêtement. Que peut-être, Topaze est son amant. Que peut-être…
Tu te redresses d’un coup et l’image de Pomme te prend à la gorge. Attendez. Non. Non non non. Ce qui te serre la gorge te fait faire volte-face. Devant toi, Algo ne réagit pas, perdu dans sa contemplation de tu ne sais quoi et…
« Je bouge. »
Si tu l’as dit au brun, ou au vent, tu n’en sais rien. Mais lorsque tu détales hors des hangars, fuis comme le vent, tu passes par les toits, fuis, fuis aussi vite que tu peux pour rejoindre le douzième district. Comme un mauvais instinct, un pressentiment funeste.
T’as aucune idée de combien de temps il t’a fallu pour rejoindre son immeuble. Mais tu réalises trop tard que la journée n’est pas assez avancée. Qu’elle doit encore être au travail. Mais tu grimpes quand même. Tu n’as pas osé confronter Topaze, parce que ce n’est pas ton rôle. Parce que tu voulais seulement l’apprendre de sa bouche. S’il ne voulait pas… T’es personne pour l’obliger. T’es à bout de souffle quand tu escalades l’arbre que Kate t’avait indiqué. La fenêtre est entrouverte, et tu te dis que c’est sûrement le signe que personne n’est là. Que Topaze est sorti et s’est laissé cette issue pour revenir sans encombre. Tu pousses la fenêtre, sans être vu, et lorsque tes pieds touchent le sol, tu te figes.
T’es chez elle. T’es chez elle et tu déglutis avant de refermer en partie la fenêtre et de rester collé au mur. T’as peur. Peur d’être de trop, d’être un intrus. Si elle entre et ne te reconnais pas, t’auras qu’à t’enfuir. Mais d’ici-là… D’ici-là tu te laisse juste glisser contre le mur, recroquevillé sur toi-même, le visage enfoui contre tes genoux, tes bras resserrés autour de toi.
« Faites qu’elle aille bien… »
Un mantra silencieux que tu murmures désespérément, idiot que tu es.
Shine a light
* Topaze, je suis rentrée.
Elle avait soufflé, à demie-mots, mais l'appartement baigné d'obscurité laissait présager que ce n'était pas son cas. Elle espérait que rien de grave ne lui soit arrivé et alla déposer son petit repas dans la cuisine, elle en partagerait un bout avec son ainé lorsqu'il sera rentré et il lui répondrait qu'il avait déjà mangé et qu'elle devait manger à sa faim. Sauf que voilà, dans la cuisine il y avait quelqu'un, elle se figea sur le pas de la porte, le détaillant longuement, et elle l'avait reconnu sans le moindre mal.
* Kai...
Silence, ses yeux s'étaient embrumés de larmes lourdes, pleines d'émotions contenues jusqu'à lors.
* Tu es vraiment venu, alors ?
Elle l'avait attendu, ça se devinait sans mal.
Mais tu l’entends. Tu l’entends ton nom dans sa voix. Les sourcils froncés, tu plisses les yeux contre l’obscurité, mais tu y es déjà accoutumé. Et tu ne réfléchis pas, lorsque tu fais un pas, puis deux puis tous pour la rejoindre, t’arrêtant devant elle, comme si tu devais la rattraper, n’osant pas la toucher. Tu l’observes et les larmes semblent presque luire dans ses yeux et tu hésites de longues secondes avant de souffler, tout doucement.
« Pardon d’être entré sans prévenir… »
Parce que c’est ça qui compte, non ? Que t’es entré sans son accord. Qu’elle te retrouve là, et que peut-être, c’est trop pour elle. Peut-être qu’elle pleure pour ça. Que..
Le souci c’est que t’as pas le temps de vraiment t’interroger que tu scrutes sont visage, observe sa peau et cherche le moindre signe qu’elle puisse être blessée. Tu voudrais la prendre dans tes bras, mais tu sais qu’elle est désormais chasse gardée. Alors tu lèves simplement l’une de tes mains et cueilles une larme s’évadant sur la pommette pâle du bout des doigts.
« Ne pleure pas. Des retrouvailles, ça doit être heureux… »
Parce que c’est ça, non ? Retrouver un morceau de son cœur.
Shine a light
* J'ai parlé de toi à mon frère.
Elle murmure tout bas, avant de détourner les yeux et de tendre la main vers l'interrupteur pour allumer la lumière. Elle repose son regard sur lui et lui sourit tendrement, son sourire est pourtant tinté d'un peu d'inquiétude, elle ne s'épanche pas sur le sujet.
* Je suis si heureuse de te voir...
C'est sincère, ça brille dans ses yeux, elle ajoute, plus bas.
* Je suis heureuse que tu ailles bien.
Tu vaux pas mieux qu’eux. Et le prie dans tout ça, c’est que tu sais que tu n’as pas le droit. Que tu sais que ta place ce n’est pas celle-là. Alors tu te mens allègrement, tu te dis que c’est pour la protéger. Pour t’assurer que Topaze ne va pas faire une connerie quelconque. Toutes les raisons sont bonnes pour te donner bonne conscience. Sauf que ton cœur bat la chamade dès que tu la vois. Que tu as l’erreur d’en vouloir davantage. De vouloir voler la place d’un homme que tu estimes.
Mais voilà, Kai. Elle est juste si belle devant toi. Comment lui résister ?
Tes doigts contre sa joue sont un contact éphémère, et pourtant, lorsqu’elle rouvre les yeux, tu pourrais sans peine t’y noyer. Parce qu’elle sourit enfin. Parce que son visage s’illumine et que malgré toi, tu sens la ligne de tes lèvres s’étirer de façon infime pour l’imiter, même si dans des proportions bien plus limitées. Oh mais ce que ce sourire s’évanouit vite lorsqu’elle prononce ces mots qui n’ont, à tes yeux, aucun sens.
« Ton frère… ? »
La question t’échappe sans même que tu ne le réalises, un murmure, à peine ça, mais tu pinces les lèvres et tu perds ton nord. Ou plutôt, ton nord devient son sourire, ce regard tendre, cette douceur dans chacun de ses traits. Un soupir et tu l’étreins, oubliant que tu ne devrais pas, tes bras à sa taille alors que tu te recourbes sur elle, comme pour la cueillir, comme pour la protéger du reste du monde. Ta voix n’est qu’un écho lointain lorsque tu souffles contre son épaule, les yeux fermés, comme pour garder ce souvenir gravé en toi, contre ta chair, jusqu’à la fin du monde.
Bien sûr que tu irais bien. Bien sûr que tout était parfait, maintenant que tu la tenais au creux de tes bras. Tu sais que tu ne dois pas, mais tu murmures malgré tout.
« Est-ce que… tu m’autorises à rester un peu… ? »
Il ne devrait pas. Quand Topaze rentrera, il lira probablement en toi comme le nez au milieu de la figure. C’était évident, non ? Que t’avais un béguin monstre pour cette parfaite inconnue.
Shine a light
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