— j'veux m'ambiancer sur mon balcon

Demander le pourquoi du comment au quand du combien de temps du Chouchou qu'a grimpé sur les toits n'est qu'une monumentale perte de mots. Tout ce qu'il faut savoir c'est qu'il est là, perché sur cette hauteur pas si vertigineuse que ça finalement. Le district 11, peut-être parce qu'hanté par les rires des enfants, parait plus brillant à Chouchou qui y a également remarqué la présence diminuée de patrouilles. Toujours à la recherche d'une lumière plus éclatante que celle des réverbères, il lui arrive parfois de se hisser en altitude, les yeux rivés vers le ciel noir. Qui sait si ce soir, le soleil n'avait pas encore laissé quelques miettes de rayons derrière lui ? Il lui semble avoir le souvenir flou d'avoir aperçu des morceaux de jour sous les nuages gris du soir. Comme il pleut beaucoup ces derniers temps, il n'est plus sûr de savoir s'il a rêvé ou si l'eau a noyé la lueur.

En bas, une ombre file, longeant les murs. Curieux, Chouchou se penche par-dessus bord, scrutant l'obscurité de ses yeux clairs. Il reconnait vite cette silhouette chétive croisée il n'y a pas si longtemps et s'étonne de sa présence en cette heure avancée.

_Hé pssscchhtt toi là ! Oui toi ! Lève les yeux espèce de nouille ! Quand le mioche relève enfin la tête, Chouchou agite les bras : Coucou toi ! Et gesticule si énergiquement qu'un de ses bracelets lui échappe et tombe pile sur la trogne du petit brun. Chouchou éclate de rire. HEADSHOT ! Il place ses coudes sur le rebord et sa tête dans ses mains et miaule : Vazy renvoie steuplait. Ou grimpe j'sais po, comme tu veux.

Il se demande ce que fait cet adolescent timoré seul dans le noir.

— j'parle à mon canapé il me répond

C'est un rire franc qui s'échappe de la bouche de Chouchou et vient glisser le long du bâtiment pour rebondir sur la tête de chaton. Ah oui les pâtes ! Qu'on l'appelle Monsieur Pâtes et qu'on lui fasse une couronne de nouilles ! Il y a bien pire comme façon d'être désigné.
En voyant le gamin lever le bras, Chouchou se redresse, prêt à rattraper l'objet mais ce dernier se retrouve juste pathétiquement projeté droit dans le mur et les épaules du vagabond s'affaissent mollement tandis qu'il ricane quand même :

_Oh hé bin dis donc c'est quoi ce lancer de mauviette. Y'a quelqu'un qu'a pas mangé assez de soupe quand il était petit hé.

Mais contre toute attente le môme ne se décourage pas et balance son sac - pourquoi d'ailleurs ? Chouchou aurait volontiers fouillé dedans ! - pour se jeter contre une gouttière. Oh chaton n'a jamais aussi bien porté son surnom ! Le troubadour auto-désigné clappe alors dans ses mains en guise d'encouragement tout en se dandinant un pied sur l'autre :

_Oh hisse, oh hisse bébé chat ! Tu peux le faire ! Il se penche sur la gouttière et tend une main, finit par attraper le grimpeur du dimanche et l'aide à se hisser sur le toit. L'idée de reprendre son bracelet et de le laisser s'écraser sur le pavé lui traverse vaguement l'esprit mais heureusement Chouchou ne se sent pas d'humeur fourbe cette nuit-là et cet ange est beaucoup trop pur pour finir en bouillie sur le bitume. À la place Chouchou se contente de lui asséner une bonne tape dans le dos : Hé pas trop mal comme montée vu tes p'tits bras ! Tu fais honneur à tout tes cousins les p'tits félins !

Chouchou s'en va vers son propre sac et en extirpe deux pommes qu'il a réussi on ne sait trop comment à dérober dans les vergers. Ou peut-être les a-t-il troquées à un de ses compagnons contre une de ses créations ou un peu de tendresse. Il place la plus rouge des deux dans les mains du minet et lui ébouriffe les cheveux :

_Tiens pour ta peine. Il faut manger pour être fort ! Et comment tu t'appelles déjà chaton ?

Peut-être que l'autre lui a déjà donné son nom ou son matricule mais Chouchou ne s'en souvient déjà plus. C'est que, trop préoccupé par les pâtes, il ne pensait pas le recroiser de si tôt et sans savoir pourquoi ça lui fait quand même plaisir de retomber sur le minois du jeune homme.

— heureusement que j'ai fait un stock de pâtes

Mirai, Mirai, Mirai. Ça sonne comme un mixte en mirage, muraille et miracle. C'est un joli prénom qu'il se dit Chouchou en le regardant croquer dans la pomme avec enthousiasme, un sourire sur les lèvres. Il a déjà oublié son matricule. Pourquoi le vagabond y prêterait attention après tout ? Il n'est pas une suite de chiffres, ne l'a jamais été.

_Moi c'est Chouchou. Tout simplement. Chouchou parce que Matriarche et les autres l'ont toujours préféré. Chouchou comme le truc comme le truc qu'on met dans les cheveux. Un favori des hangars désaffectés à la longue crinière foncée. Chouchou est un nom qui lui va bien aussi. Il ne se voit pas autrement.

Il s'assoit sur le ciment et regarde le gamin finir son fruit avant de lui rendre son bracelet.

_Merci chaton. Le vagabond remet le bijou doré à son poignet et observe Mirai se pencher par-dessus le rebord. Ah pourquoi regarder le bitume du trottoir quand ils se sont élevés près des étoiles ? Hé on est pas bien ici en hauteur ? Pense-t-il à voix haute. L'autre se rapproche, le regard soudainement curieux et lui indique qu'il a un « quelque chose » au niveau du cou.

_Hum ? Le vagabond saisit d'abord une de ses chaines, ne comprenant pas bien de quoi parle le jeune puis rigole quand il le voit désigner la marque violacée qu'il a gardé de la nuit dernière. Il n'a pas la moindre once de gêne. Ah ça ! Ça c'est un cadeau qu'on m'a laissé hier soir. Bah je te fais pas un schéma quoi... Ne lui dîtes pas qu'il ne sait pas d'où ça vient ? Ne sont-ils pas tout un troupeau d'adorables chatons dans ces longs bâtiments ? Que font-ils de leur temps ensemble si ce n'est des galipettes ? À moins que... ? Enfin tu sais d'où ça vient pas vrai ? T'as pas un petit minet qui peut t'en donner ? C'était qui déjà ce type dont il n'arrêtait pas de brailler le nom lors de la cafétéria... Jas... Jas... Non Casper c'est ça ?

Si vous savez ce mec chelou là qui lui a donné des pâtes. Et qui avait un passe accessoirement.

— heureusement que j'ai fait un stock de pâtes

Oh non bébé chat est sérieux. Il ne comprend vraiment pas ! Chouchou, en bon grand frère qu'il est, se doit de l'éduquer ! Il espère au moins que le petit a les bases. Les petites fleurs et les abeilles, tout ça.
Mais d'abord, le vagabond laisse le curieux matou s'approcher avec un sourire lubrique. Il se penche même pour mieux lui permettre d'effleurer la trace du bout des doigts. C'est drôle, lui ne se souvient pas d'un temps où il était aussi... aussi candide. Peut-être qu'au milieu de tout l'amour de la Famille et de la froideur des souterrains, on grandit un peu trop vite dans les hangars désaffectés.

Ceci dit, devant la remarque du gamin, le sourire de Chouchou s'efface bien vite pour laisser place à de l'appréhension. C'est un rappel brutal que quand bien même leurs peaux se touchent, ils ne sont pas faits de la même façon.

_Comment ça vous pouvez pas vous faire de mal ? Ça t'est jamais arrivé de, hin chais pas, tomber et de t'érafler le genou ? Ou te prendre une porte dans la gueule ? Le genre d'incidents banals qui marquent aussi la peau mais une cruauté sans égale aux caresses qu'on peut s'échanger entre condamnés. Le bitume des trottoirs ou l'acier des poignées n'ont jamais fait de très affectionnés partenaires.

C'est au tour de Chouchou de poser un doigt, puis deux sur la peau de Mirai. Délicat. C'est à peine s'il effleure cette joue ronde et rouge comme la pomme qu'il vient de lui donner. Les doigts du vagabond dansent à la surface de l'épiderme, son contact a quelque chose de doux mais de sensuel également.

_Oh avec une bouille aussi adorable, Jasper serait un vilain gros minet de ne pas t'en donner. Sa main abandonne le visage du garçon et vient à nouveau se perdre dans les mèches brunes du jeune homme dans un geste néanmoins moins énergique que la première fois. Il encourage, le rire aux bords des lèvres : Vu comment ton responsable te collait au train la dernière fois, je ne me fais pas de soucis pour vous deux. Et crois-moi j'ai l'oeil pour ces choses-là.

On ne badine pas avec ces choses-là ! Reste plus qu'à espérer qu'au moment venu, chaton sera fin prêt pour son Jasper. Mais au risque de se répéter, Chouchou ne s'en inquiète pas trop. Quand la tendresse est là, le reste vient naturellement.

— heureusement que j'ai fait un stock de pâtes

Ahlala, chaton est vraiment trop mignon mais il pue la candeur, genre vous savez comme une barbe à papa. C'est bon la barbe à papa mais ça colle et tu t'en fiches toujours partout et ça fout des caries mais c'est bon quand même, on peut pas s'arrêter d'en manger et Chouchou le regarde sortir un mensonge qui est genre trois fois, non six, dix fois plus gros que lui ! Une amoureuse ? À la bonne heure ! Il doute fortement que ce Jasper le traite comme tout les autres pensionnaires et il serait prêt à sauter du haut du toit tellement il est sûr de lui alors il éclate de rire. Un rire franc qui n'est pas méchant mais qui témoigne quand même qu'il a beaucoup de mal à le prendre au sérieux. Pourtant il parait que l'amour c'est quelque chose de sérieux. Boarf Chouchou n'en sait rien, des amourettes il en a beaucoup, l'amour par contre avec un grand A, il se demande. Il se dit que ce qui se rapproche de plus à de l'amour, le vrai, c'est ce qu'il éprouve pour Abysse. Bin oui Abysse ça commence avec un grand A aussi. Coïncidence ? Non Monsieur !

_Oui c'est vrai, on a énormément de chance de vivre tous ensemble au même endroit à la même époque. C'est une vérité assez importante pour être soulignée quant au sujet des cadeaux pour cette sois-disante amoureuse...

_Merde ! Planque-toi ! Qu'il siffle soudainement en entendant un bruit de pas en bas de l'immeuble. Il se jette aussitôt au sol, entrainant le pauvre Mirai avec lui (c'est l'occasion de voir si sa peau bleuit vraiment) et met un doigt sur sa propre bouche, lui intimant de se taire. Le voici qui rampe jusqu'au rebord, jetant un coup d'oeil discret au dessus du vide pour voir ses doutes confirmés : au pied du lampadaire, un milicien en patrouille s'est arrêté devant le sac à dos abandonné par le pénitent et s'apprête à en fouiller contenu, lampe torche à la main, portable dans l'autre. S'il trouve le matricule de bébé chat dedans, sans doute que ce dernier risque d'être dans de beaux draps. Heureusement que Chouchou ne manque jamais d'astuces quand il s'agit de faire tourner la milice en bourrique. Il saisit ses affaires, fait signe à l'adolescent de s'approcher et lui prend la main pour à voix basse lui murmurer :

_Je vais faire distraction mais tu dois filer à la première occasion et vite te planquer chez toi. Ou avec ton Jasper ou ton amoureuse je sais pas mais ne te fais pas attraper ok ?

Ses mains viennent attraper une poignée de cailloux comme il y en a beaucoup sur les toits et ni une, ni deux, il en jette un pile sur le crâne de l'homme à la casquette en bas. Plic. Ça suffit à l'arrêter au moment où il ouvre la fermeture éclair du sac. Ploc. Un second caillou est jeté plus loin. Plic ploc. Puis un troisième et quatrième dans la même direction. En fait le gars doit être sacrément con - au moins autant que Chouchou, pour ne pas comprendre que ça vient d'en haut et non de la ruelle d'à côté mais ça marche car le type s'éloigne, assez pour que le vagabond puisse glisser le long de la gouttière tel un suricate acrobate (arrêtez ça rime, c'est drôle comme comparaison) et atterrir prestement au sol. Il fait ceci dit assez de bruit pour que le garde ait deviné sa présence, ce qui ne lui laisse pas d'autre choix que d'attraper le sac à dos, dans ses bras et de se mettre à courir comme un dératé avec l'autre qui détale derrière lui en lui hurlant de s'arrêter (comme s'il allait obéir et gentiment se faire tordre le cou).

Bon ok ce soir-là Chouchou aura manqué de se faire éclater par un milicien et il a du se cacher dans une benne à ordures puis s'enfuir dans un souterrain sombre qu'il ne connait pas. Il s'est perdu pendant plusieurs heures avec l'odeur ragoûtante d'un reste de lasagnes périmées sur la peau avant de retrouver son chemin mais - et attention ce n'est pas un petit mais, il a gagné une superbe rencontre avec un bébé chat et surtout il aura habilement réussi à lui subtiliser ses affaires. Enfin subtiliser n'est pas le bon mot, il compte après tout lui rendre. Un jour... Sans doute... S'ils se recroisent... Il est quand même revenu le lendemain soir pour déposer l'ordi sous le porche du bâtiment parce qu'il sait que c'est le genre de truc qui est important pour les pénitents et lui ça lui sert à rien un ordi. Bon l'ordi sent les pâtes au beurre bizarrement et y'a des tâches suspectes dessus mais il s'allume encore et c'est tout ce qui compte non ?
Déso pas déso chaton.