— Le soleil qui nous hante

Est-ce que les pates poussent dans les arbres ? Bien sûr que non ! Chouchou n'est jamais allé à l'école mais ce n'est pas pour autant qu'il est stupide : il n'a jamais vu d'arbres à pâtes, alors c'est probablement qu'elles poussent sous terre, loin sous le bitume, le gravier, les feuilles mortes avec les patates et les asticots. Oh si les asticots mangeaient toutes les pates, Chouchou serait fort triste. Il faut qu'ils lui laissent un peu. Des pates. De la place. Pour respirer, fleurir, planter les racines et se tourner vers le soleil.
Alors bien sûr que Chouchou sait que les pates ne sont pas dans le district 5. Et pourtant c'est bien dans ce quartier qu'il traine ses sandales, traine ses longs cheveux noirs, les pans de sa robe, les bijoux en fil de fer et en argent volés. Quel mal y a-t-il à vérifier ? Qu'il n'y a pas d'arbres à pates. Pas plus que de Gros, de Cervelle ou de tout ces gens qui ont disparu dernièrement. Comme ce milicien. Il parait que Vengeance l'a décapité vlam d'un coup d'un seul. Chouchou n'a jamais vu de gens se faire décapiter. Il y a bien cette fois où la galerie s'est effondrée sur la tête d'un de ses frères. Son crâne s'est ouvert comme un fruit trop mur avant même qu'il n'ait eu le temps de hurler. Il est mort sur le coup. Probablement comme ce garde là.

Et ce type là qui marche tendu, crispé comme un élastique sur lequel on tire trop et qui ne demande qu'à bondir en avant. De loin, il ressemble à tous les autres. Le pauvre. Coincé dans ces bureaux sans couleur, sans saveur. Sans avenir. Est-ce qu'il mourrait d'un coup d'un seul si le ciel des souterrains lui tombait sur la figure ?
Est-ce qu'ils meurent au moins vraiment les pénitents ? Est-ce qu'ils savent ce que c'est cette angoisse, cette attente, cet espoir, cette colère que c'est de voir un oncle, une soeur, un enfant s'évanouir sans prévenir, sans un bruit dans les crocs de béton de la cité ?

Mais alors que l'inconnu se rapproche, alors que les traits de son visage se détachent de cette distance entre eux qui est en train de s'évanouir, Chouchou sent son coeur bondir dans sa poitrine.

_WOW ! A-t-il braillé en levant les mains en l'air.

Mais qu'est-ce que... Mais qu'est-ce que ?
Ses deux neurones fonctionnels s'agitent à toute vitesse, se percutent entre eux, appuient sur tous les boutons de sa matrice et Chouchou s'émerveille, se dégoûte, s'extasie et s'effraye en même temps. C'est une myriade de sentiments qui lui passent en travers comme cette myriade de nuances rouges et roses et oranges et brunes sur ce visage marqué à vif.

_Tu as les couleurs du lever de soleil sur la tronche ! Qu'il clame en pointant un doigt sur, non un doigt trop près du minois de ce prodigieux étranger. À quelques centimètres près, il le toucherait.

Vraiment excusez-le mais si un homme peut avoir l'aube sur la figure, Chouchou ne voit pas pourquoi les pates ne pousseraient pas dans les arbres.