c'était un cube plus qu'un studio et l'on se sentait d'autant plus numéro dans cette étrange case au sommet. sol et plafond et puis trois murs, le quatrième était de verre au travers duquel on pouvait voir -
et c'était l'écran préféré de Pluto
lorsqu'on était le soir.

il semblait toujours attendre que quelque chose d'extraordinaire se produise quand il s'asseyait là, à même le sol, les jambes ramenées contre soi et l'épaule contre la baie vitrée. les rideaux fermés le jour s'ouvraient la nuit et il observait la mer de béton et d'acier au travers la glace. levait la main pour suivre les artères pulsant de la lumière du bout du doigt, et contre un immeuble, donnait parfois une pichenette, comme s'il pouvait faire s'effondrer le building par la simple force de la pensée. mais les grattes-ciels tenaient bon et restaient droits.
oh - Pluto ne s'inquiète pas pour eux.

et s'il reste dans la pénombre à ces heures - si tard qu'il était tôt - ce n'est pas qu'il broie du noir ; non - c'est qu'ainsi, on voyait aussitôt
si quelqu'un allumait la lumière dans le couloir.

un trait blanc tout à coup sous la porte d'entrée, fait tourner la tête et tendre l'oreille, compter les pas qu'il reconnaitrait entre mille - il en faut une dizaine pour aller chez toi. arrivé à onze il entend le bruit des clés dans la serrure, et puis le claquement qui indique que tu es bien arrivé. sans qu'il ne sache bien pourquoi, il fallait que résonne cette mélodie là, ou l'on n'était pas totalement paisible.

à nouveau, il attend.
car son appartement n'est ni bien loin ni bien grand (du tiens) et il suffit d'être rien qu'un peu attentif pour s'assurer que tu prends soin de toi. il s'occupe distraitement et s'il discerne le tintement distinctif de la vaisselle et des couverts, ça signifie qu'aujourd'hui tu as quelque chose dans le ventre. alors les paupières peuvent se clore insouciantes.

les diodes de l'horloge indiquent 3h47 lorsqu'il émerge des rêveries et relève enfin la tête. une crainte sourde au creux des entrailles - a-t-on bien écouté les signes de vie cette nuit ? Pluto n'en est pas certain cette fois-ci - maudit son coté trop facilement distrait. peut-être, peut-être pas.

dans tous les cas il préfère avoir le cœur net et comme souvent, il se redresse. titube un peu les premiers pas - il n'y en a pas beaucoup à faire - il embarque un sachet de take-out qui restait pour finalement ouvrir chez lui et marcher jusque chez toi. et depuis le temps, et parce que c'était Pluto, les formalités sont désinvoltes. à peine deux coups légers à la porte.
silence, le front presque contre le bois, pas de réponse de l'autre coté. dans tous les cas il aurait tourné la poignée - et Pluto entre sans plus de manières, pousse un soupir tandis qu'il s'arrête passé le perron.

l'impression d'avoir vécu la scène cent fois. rien que la lampe du bureau allumée, éclaire Mimosa la tête dans les bras croisés, endormi sur la paperasse à force d'accumuler les heures supplémentaires -
occupe encore et encore l'esprit pour éviter de penser à on ne sait quoi
(tu ne lui as jamais dit pour quelle raison tu faisais ça).

alors sans réveiller tout de suite ni poser de questions, Pluto ferme derrière lui et fait comme chez soi, enjambe quelques feuilles jonchant le sol pour poser la nourriture sur la table du salon, et puis, cherche dans les placards ce qu'il faut pour réchauffer les plats.
ce soir encore, il fait l'effort
que tu le veuilles ou non, Mimosa.

probablement le claquement sec du micro-onde qui a fait émerger des songes - et l'appareil s'était mis à vrombir, comble le silence d'un bourdonnement sourd - pensif Pluto avait tendu le bout des doigts pour effleurer les rideaux à coté de soi, entrouvert légèrement l'air de vérifier que les lumières étaient toujours là (oui, ça brillait dehors) et pour éviter qu'elles n'éclaboussent trop l'endormi, il avait laissé l'étoffe retomber.

sauf que Mimosa, bien éveillé, tu dis qu'il n'y a pas de soucis - fait tourner la tête à Pluto tout à coup - il pense pareil. on ne devrait même pas se poser la question.haussement d'épaules - pour indiquer également
qu'on n'a pas la réponse à tes interrogations, Mimosa
qui se demande à combien s'élèvent
les "je ne te mérite pas".cascadent les mots, torrent du fil de pensées emmêlées, tandis qu'il avait ouvert un tiroir et puis un autre, avant de trouver des baguettes dans le troisième. il pioche deux paires et referme, et c'était comme si le bruit du mécanisme avait coupé court à sa réflexion chaotique.plutôt que ponctuer d'un "tu vois ce que je veux dire ?", parce qu'il perdrait ses moyens si tu réponds que non, ça ne fait pas sens ce qu'on raconte. Pluto qui voyage toujours trop loin, tu ramènes sur Terre en prenant des nouvelles du quotidien -
est-ce que ça va ? est-il encore héliocentré comme il faut ?

hm. et c'était tout, la longueur d'onde courte au possible. sans savoir que tu as fermé les yeux et que tu l'imagines se volatiliser peut-être. mais Pluto - malgré la gravitation étrange - il est bien là, tu l'entends ? qui ouvre le micro-onde une seconde avant la fin du décompte pour ne pas entendre sonner, qui inspire les dents serrées en sortant les boîtes de nourriture à emporter parce qu'il manque de se brûler. une fois qu'il y a planté une paire de baguettes dans chaque, il fait demi-tour et vient s'asseoir à table - en face il n'aime pas - alors c'est à coté, pour qu'on mange sur le même angle droit.

quand on dépose ta portion devant toi, Mimosa, on s'assure que tu as bien rouvert les yeux pour vérifier si la lumière était là aussi. on interroge même si c'est trop tard et qu'il n'y a pas le choix - il faut dire que le système ne permet pas vraiment de fantaisie. et sans plus de cérémonie, il entame, se penche pour picorer la première bouchée. parle la bouche pleine car on n'a jamais été très poli.prend le temps de mâcher un instant, avant d'ajouter l'air de rien, le regard bas.
tu entends ?
comme c'est vacillant.