Les souterrains, sombres et peu accueillants. Ils recelaient de mystères que Tempérance ne pouvait s'empêcher de vouloir découvrir. Ce matin-là, quand il était parti s'enfoncer dans les couloirs sans fond, ses pieds s'étaient soudainement retrouvés submergés. Et honnêtement, il n'y a pas pire comme sensation. Peut-être que l'eau montait. Qui sait. Il était bien incapable de se diriger dans les souterrains pour être honnête, alors il ne saurait dire où l'eau se trouvait et si elle progressait. Il était juste capable de revenir sur ses pas et, à la limite, de ne pas se perdre. Peut-être qu'il devrait commencer à cartographier les lieux, mais sur quoi ? Il n'avait ni téléphone portable, ni ordinateur, et Abysse savait que s'il trouvait du papier et un stylo, il aurait été bien incapable de tenir son crayon correctement.

La quiétude des souterrains le rassurait plus qu'elle ne le devrait. Il s'était assis dans un coin, adossé contre un mur poussiéreux, sa fidèle lame coincée entre ses genoux, et il observait les défauts et les fissures qui la traversaient. Peut-être qu'il devrait la ramener à Violence et lui faire les yeux doux pour qu'elle arrange son état. Il ne savait pas ce que cela allait lui coûter, mais bon. C'était un sacrifice à faire.

Des pas s'étaient soudainement faits entendre. Tempérance n'avait pas bougé, peu méfiant, encore moins sur le qui-vive, se contentant de redresser la tête vers la source du bruit pendant quelques instants, avant de se concentrer à nouveau sur sa lame. Il y avait peu de chances qu'il tombe sur quelqu'un qu'il connaissait bien, mais il ne disait pas non à une petite discussion au gré de sa balade.

A travers les ombres se distingue lentement la silhouette d'un homme qui lui est familier. Tempérance lui adresse un sourire amical, reposant la lame épaisse à côté de lui dans un faible bruit métallique. Il ne veut pas l'effrayer; Abysse savait que les pauvres gens qui se promenaient dans les souterrains pouvaient être sous tension parfois.

Un simple solitaire, il répond humblement, son sourire ne s'efface pas, au contraire. Tempérance semble presque solaire au milieu des souterrains. Une vision rare, mais qui aurait pu mettre du baume au coeur à beaucoup. Et toi ?

Il l'avait déjà croisé aux côtés d'Abysse. C'était cet étrange jeune homme qui prêtait allégeance à Abysse un jour, et qui partait travailler au Conseil le lendemain. Tempérance ne le questionnait pas, au contraire, loin de lui l'idée de questionner les gens. Mais il fallait avouer que c'était curieux.

Tu peux t'asseoir à mes côtés, si tu le souhaites. Il avait un sac à ses pieds, proche de sa lame. Subtilisé dans les méandres de la ville au dessus d'eux, il était bien pratique. J'ai de quoi te sécher. Regarde toi, tu es trempé. Et si tu as faim, j'ai de quoi te nourrir, je crois, au moins un peu ! Tu pourrais me raconter ce que tu fais ici pendant que tu manges un bout.

Il ne disait jamais non à un peu de discussion.

La folie est invisible aux yeux de Tempérance. Il observe le nouveau venu, plein de bonne volonté et chaleureux. Tempérance pourrait réchauffer toute l'étendue des souterrains avec ses sourires et ses jolis mots. Dommage que cela ne puisse pas réellement réchauffer un homme frigorifié, trempé jusqu'aux os.

Lucian a l'air triste. Ou même perdu; à l'image de tous les autres vagabonds qui errent sans bruit, se débattant dans les filets d'un destin trop cruel, qui ne veut plus d'eux depuis bien longtemps. Tempérance ressent difficilement les affres du destin, il se balade en sifflotant sur le chemin qui le mène à son trépas : assuré de trouver la mort au bout du chemin comme tous les autres, il préfère s'y diriger avec la plus grande félicité et se jeter dans la gueule du loup tout en riant. Il n'y a pas le temps pour les regrets et les pleurs. Il n'y a pas assez de temps ici-bas pour se morfondre.

Je cherche quoi que ce soit qui pourrait se révéler utile pour les autres vagabonds. Il y a tellement de choses, là-bas dans l'eau. Il suffit de savoir où regarder.

Le bout de ses doigts caresse presque tendrement la lame endommagée qu'il a calé près de lui, comme on flatterait un animal. Il ne se méfie pas de Lucian; peut-être qu'il le devrait. Mais Tempérance a l'innocence d'un idiot.

Je t'assure.

Il pose son poing contre sa joue, l'observe en souriant. Le pauvre a l'air perdu, mais il sent qu'il ne voudra pas de son aide.

Comment est-ce que tu connais mon prénom, au fait ? On t'a parlé de moi ?

Cela ne l'étonnerait pas, mais il est curieux.

Lucian est louche. Bien sûr qu'il est louche, mais si Tempérance ne se pose pas de questions, il ne se demande pas non plus ce qu'a fait Lucian pour arriver jusqu'ici. Est-ce que c'est Abysse qui l'a envoyé dans les profondeurs des souterrains pour qu'il accomplisse on ne sait quel rituel étrange, dont seul Abysse a le secret finalement ? Probablement pas. Est-ce que Lucian a encore toute sa tête ? Tempérance serait bien incapable de le déterminer. Est-ce que Tempérance a encore toute sa tête. Tempérance serait bien incapable de le déterminer.

Il laisse la main glacée se poser sur sa joue légèrement creusée. Il ne sait pas de qui Lucian parle, il ne pose pas de questions, il se contente d'écouter et de déduire. Mais personne ne lui vient vraiment en tête, alors il se contente de se taire pour une fois, de taire ses pensées et de laisser Lucian lui révéler ce qu'il voudra.

Oui, pourquoi pas ! Avec plaisir, même.

C'est son travail, de trouver les choses. Bien que ce que Lucian réclame, ce que Lucian veut, Tempérance n'est pas certain de pouvoir le lui ramener.

Qu'est-ce que tu cherches ?

Tempérance plisse les yeux, perturbé. Ce n'est pas la première fois qu'on lui demande d'aller chercher quelque chose en bas, mais c'est bien la première fois qu'on lui demande de retrouver quelque chose qu'on a perdu. Parce qu'en général, pour commencer... personne ne va au fond. Et personne ne perd rien au fond. Tempérance sourit à l'inconnu, même si son instinct lui crie de ne pas lui faire confiance .Enfin, ce n'était pas comme s'il avait prévu de lui faire confiance dès le départ ! Il pose sa main sur le manche de son épée, se réconfortant à son toucher agréable, rassurant. Rien ne peut arriver à Tempérance. En tous cas, pas comme il l'imagine.

D'accord ? Qu'est-ce que tu cherches ? Où est-ce que tu l'as laissé ?

Est-ce que l'inconnu serait même capable de lui décrire ce qu'il cherche ? Si ça se trouve, il n'y a rien. Si ça se trouve, ce ne sont que les méandres de l'imagination d'un esprit fou qui le poussent à partir chercher quelque chose qui n'existe pas, au fin fond des souterrains.

Je peux te le récupérer, je crois.