Un entre-deux. C’est ça qu’il se passe dans sa vie. Les choses ne se sont pas vraiment tassées, non. Il a… Il a juste… Un peu écouté Jasper ? Juste un peu. Il a lâché la bride, un tout tout petit peu. Et surtout il a recommencé à faire attention de manger au moins un vrai repas par jour. Ca faisait pas tout, mais la différence était flagrante. Et le temps qu’il passe à manger, il le récupère en énergie pendant la journée. C’est pas vraiment optimal, mais il se sent plus humain. Et puis aussi… Aussi il passe juste un tout petit peu plus de temps avec Jasper. C’est pas forcément effectif. Mais juste être dans son environnement, l’apercevoir, échanger un regard ou un sourire…

Mirai a les lèvres ourlées de bonheur. Il est sorti de l’établissement à mi-journée, bien décidé à profiter d’un examen réussi dans le lot de ceux encore à passer, pour aller faire une sieste (et peut-être réclamer l’asile dans la chambre de Jasper, s’il en a le courage). Mais avant ça, il brave la pluie battante et fait un détour par l’une des petites ruelles du District 11. Juste à côté d’un parc. Depuis que la pluie tombe, les bordures de rue se sont colorées dans ce gris triste. Mirai n’a pas de parapluie, et le froid a beau lui arracher un frisson, il ne regrette rien. Cueille quelques fleurs sauvages parce qu’il ne voyait aucune raison de ne pas le faire. C’était sûrement interdit dans les lignes insinuées d’un arrêté. Mais il s’en fiche. Aucun arrêté ne l’empêcherait d’aimer de tout son ptit cœur.

Il a le pas guilleret, heureux, l’un des seuls qui dans ces rues semble ne pas être affecté par la pluie. Il remonte la longue avenue qui ramène vers le Pensionnat, la pluie a le goût d’un rêve, et sans vraiment y prêter attention, il commence à rire, tournoie sur lui-même un instant, profite d’une seconde de liberté-

Rate le rebord du trottoir, dérape sur l’asphalte trempée, heurte le pavé avec fracas. Ses fleurs s’envolent dans sa chute, heurtées au même instant par le parechoc d’une auto prête à lui filer droit dedans.

Oof. C’est le bruit qui s’est échappé de Mirai lorsqu’il a heurté le sol. Il est… Sonné. Oui, sonné. Il a frappé sa tête contre le sol et même si la notion de commotion cérébrale n’existe pas dans de bas monde, les étoiles et la sensation de douleur sont eux par contre très très vrais. A tel point que le marmot ne réalise pas l’imminence du danger. Non. Il percute uniquement (pas littéralement) lorsque deux mains s’agrippent à lui et qu’à la force d’une tierce personne, il finit par se faire traîner loin de l’asphalte. Et bon sang, son uniforme va être dans un état désastreux.

Oui, c’est ça l’idée qui lui traverse la tête avant de se faire secouer comme un baobab portatif et oh wow, il a la tête qui tourne, mayday. Mirai secoue la tête et… Nope, il aurait pas dû. Il se tord de douleur une seconde, sifflant entre ses dents, les larmes au bord des yeux et ramène ses mains sur l’arrière de son crâne.

Ça lui prend quelques secondes avant qu’il ouvre à nouveau les yeux, son regard tombant dans deux lagons céruléens totalement inconnus. Oh. Oh. Mirai se fixe, l’émeraude perdu dans ces saphirs inconnus et les mots percutent enfin. Il était tombé. Il avait dérapé à cause de la pluie et.

« Oh mon dieu, vous allez être trempée ! »

Alors… Comment dire. Mirai s’est redressé si vite en position assise à ses propres paroles qu’inévitablement, son front a percuté celui de la pauvre demoiselle, arrachant un glapissement de douleur au gamin qui plaque instantanément sa paume à son front. Ah, et voilà les larmes qui débordent. Oh bordel.

Mirai s’en veut. S’en veut tellement qu’il commence à paniquer en voyant la jolie demoiselle trempée par sa faute. Encore plus quand elle tombe sur les fesses et sa jupe… Oh mon dieu sa jupe. Ses iris émeraudes sont sur le point de déborder de larmes. Pas tant de douleur – bon, si, un peu –, mais surtout de dépit et de honte. Il s’en veut à crever.

Mais la jolie dame commence à rire d’un coup d’un seul, et Mirai pourrait promettre qu’elle a ouvert les nuages au-dessus de leurs têtes. Il la regarde, ses grosses larmes comme en suspens, les jades dans son regard illuminées d’une confusion candide. Au moins, elle n’est plus fâchée. Mirai se perd pourtant dans un instant de confusion et finit par se redresser, un peu chancelant sur ses gambettes avant de tendre la main à la demoiselle pour l'aider à son tour, l’air clairement mal à l’aise – et un peu pâle ? Faut croire que le coup sur la caboche a eu raison de quelques neurones –.

« Désolé je- Je crois que j’ai dérapé puis… »

Non, commence par l’important, idiot. Il déglutit, regarde la chaussée, voit les fleurs écrasées sur le sol par le passage de plusieurs voitures et ça se lit sur son visage qu’il regrette. Qu’il s’en veut, même. Mais il force un sourire en tournant à nouveau son regard vers la blonde, le ton de sa voix un peu défait, mais il lui doit bien d’être reconnaissant, non ?

« Merci… De m’avoir tiré de là je- j’aurai été bête sinon. »

Ou mort, plutôt. Il avait du mal à croire qu’on puisse d’une façon ou d’une autre survivre à se faire renverser par une voiture. Quel imbécile.

Le visage de Mirai s’embrase devant le sourire absolument divin de la jolie blonde. Oh, Mirai sait qu’il est plus ou moins insensible aux charmes féminins – enfin, au moins en termes romantiques, parce que clairement, il pourrait regarder la jolie dame pendant des heures, elle et son sourire absolument rayonnant et – ah, il s’égare –. Tout ce qu’il sait, c’est qu’entre ça et son commentaire sur… celle à qui il pensait apporter des fleurs. Oups. Non. Ne pense pas à Jasper. Pas maintenant. C’est pas du tout approprié.

« H-hm, o-oui. »

Elle cherchait le pensionnat ? Ils ne voyaient pourtant jamais aucune dame par là-bas. Est-ce qu’elle allait travailler là-bas ? Oh non, il n’espère pas, parce qu’elle ne ferait probablement pas long feu face à tout ces adolescents débordant d’hormones et… Ah oui. Oui voilà.

Mirai se penche sur elle et attrape doucement, délicatement, la main de la jeune femme avant de l’aider à se relever, s’assurer qu’elle tient bien sur ses deux jambes, puis ramasser la sacoche de la jolie blonde, l’air vraiment penaud.

« J-je suis vraiment désolé… J-je vous rembourserai pour l-le nettoyage e-et le parapluie. »

Il n’avait que très peu de crédits, et avait eu l’intention de les utiliser pour offrir quelque chose à Jasper. Autre chose que des fleurs, hein… Même si maintenant même ça c’était fichu. Mais même avec le peu qu’il avait il voulait faire les choses bien. Ah, quelle poisse, vraiment.

« J-je peux vous y accompagner si c’est là que vous vous rendez ? »

Puis de rougir furieusement en regardant la route.

« Et promis, je regarderai avant de traverser »

Bien sûr qu’il le faisait toujours, même qu’il utilisait toujours les passages piétons ! Mais là… Là c’était vraiment une erreur de calcul. Vraiment vraiment. Il s’éclaircit la gorge et se passe une main dans ses cheveux trempés, réalisant avec un léger délai.

« O-oh je… Je m’appelle 1200. »

Son cœur s’emporte en voyant la reconnaissance dans les yeux de la jolie blonde. Pourquoi est-ce qu’elle connaît son matricule ? Il n’avait rien fait. Il n’avait absolument rien fait. Il n’avait rien dit, rien fait, il avait respecté toutes les règles, tous les arrêtés. P-personne ne savait pour Jasper et… Son cœur se serre, et dans les jades, la peur se lit sans peine. Quelle liste ? Est-ce qu’elle était… Est-ce qu’elle était de la milice… ?

Mirai se laisse pourtant surprendre par son sourire, et lorsqu’elle se saisit du bras du gamin, il n’est plus sûr de quoi que ce soit à part qu’il pense qu’il va être malade. L’angoisse le prend à la gorge et subitement, l’étreinte voulue rassurante sur son bras pèse comme un étau inébranlable. Et Mirai ne bouge pas. Il veut lui demander mais ses dents sont serrées, ses mains tremblent et dans le silence qui pèse entre eux, dans ce moment où Mirai croise le bleu de l’océan d’amour qui brille dans les yeux de la demoiselle, ses défenses fondent. Et les mots sont tout ce qu’il peut retenir.

Tu fais partie des étudiants qu’on surveille de près pour mon secteur.

Les mots se répètent en boucle, si vite qu’il en serait étourdi. Et là, le sourire de l’ange qui lui fait face, trempée de pluie et baignée de grâce le touche en plein cœur. Il a été remarqué. Il a été remarqué et son rêve va… Son rêve va peut-être se réaliser. La jupe de la jolie dame virevolte, même souillée comme elle est, elle semble danser sur l’air et la terre.

Un pas en avant, Mirai la suit. Veut la suivre. Mais d’un coup d’un seul, tout se joue au ralenti. L’étoile devant lui foule la chaussée, aussi belle qu’un mirage, et lui… Lui n’a que le temps de tendre la main pour la rattraper, sa gorge serrée laissant échapper un appel qu’il ne parviendra jamais à terminer.

« Attent- !!! »

L’impact a lieu juste là, devant ses yeux. Et dans le brouillard insensible du monde, la pluie est le seul son qu’il reste à ses oreilles alors que la voiture stoppe, pneus crissant, et elle, s’envole comme une poupée de chiffon, l’or étincelant de ses cheveux un halo sinistre autour de son visage livide.

Et là, devant l’effroi d’une vie volée, son cœur s’arrête. S’arrête et fait trembler tout son être. Il ne se souvient pas des mots qui ont franchi ses lèvres, frénétiques, stridents alors qu’en de longues enjambées il s’échoue près d’elle, se moquant du danger, se moquant d’être jugé. Il ne sait pas, lui, qu’il doit y avoir des consignes de sécurité. Qu’il ne faut pas bouger une personne blessée. Mais tout est trouble. Plus rien ne s’imprime dans ses pensées. Ses doigts glacés agrippent les bras de la jolie demoiselle, et la pluie redouble d’intensité, inondant ses yeux, déversant son flot sur le visage inanimé de l’ange que la vie venait de faucher.

Mirai n’est qu’une silhouette noire coupée sur le gris du monde, étreignant une étoile partie trop tôt. Et dans ses pleurs et ses cris déchirés, appelant à l’aide, appelant quiconque de l’aider, son cœur ne repart pas. Il est déchiré et tout ce qu’il voit, c’est ce sourire. Ce sourire qu’elle lui avait adressé avec tant de sincérité. Ce sourire qu’il venait de briser de ses propres mains.