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Sa joue se pose tranquillement au creux de la paume de sa main, il ferme les yeux un instant et laisse les petits doigts d'un enfant dont il n'a pas retenu le matricule tirer sur sa mèche blanche. Quel enfer. Il laisse le monde tourner autour de lui, il écoute d'une oreille attentive la myriade de questions que les petits posent à 1652 - bien fait pour lui, tiens - et se tait.
Finalement - lui qui a tellement de mal à se détendre, et qui devrait être tout sauf détendu alors qu'on le bouscule et le chahute comme ça, lui qui est si mal assis sur sa chaise - il ferme les yeux, doucement. C'est fou, ce pouvoir qu'il a à s'endormir comme une merde dès qu'il arrête de bouger pendant quelques minutes. Mais le voilà, sombrant dans un sommeil court mais réparateur au milieu de la salle de classe. Glorieux.
Il aurait presque oublié. Il aurait presque oublié les superpositions de couleur. Ce patchwork indescriptible d’une vie placardée sur chaque surface disponible. Cette époque lui semble si lointaine. Il n’a pourtant pas le réflexe censé de continuer son chemin non. Il a ce temps d’arrêt. Ces quelques secondes où la réalité de la chose je traverse et où chaque chef d’œuvre emmêlé sur ces murs pourrait être celui de 3793.
Il déglutit. Se fait la promesse silencieuse qu’il ne repartira pas sans rien pour elle. Il longe quelques instants un mur et étudie distraitement les griffonnages, oubliant la présence du conseiller. Se laissant bercer par la candeur de la voix de 1004. Il finit par enfoncer sa main dans sa poche, fermant les yeux. Ce n’était rien. Tout ira bien.
Sans un mot, mais un sourire pour tout remerciement à la gracieuse proposition d’aller trouver place derrière le bureau, il décide de tirer la chaise et la placer à un endroit qui ne l’affligerait pas de l’autorité de l’enseignant qui les avait si agréablement invités dans son antre.
Quel piège, n’est-ce pas ? Alors pourquoi affiche-t-il un sourire, se penchant paisiblement sur ses genoux, y croisant ses bras pour observer la marée de jeunes potentiels. D’enfants qui n’attendent que d’apprendre à vivre. Les questions tombent les unes après les autres et il ne retient pas un rire sincère lorsqu’un des enfants pousse un autre pour que sa question soit la première à trouver une réponse. Il n’a pas un mot plus haut que l’autre, mais il offre à ces gosses une chose qu’il n’aura montré qu’à peu. Une œillade en direction des deux autres adultes lui révèle qu’Amaury semblait s’être assoupi malgré l’assaut capillaire dont il était la cible. Et lui…
Le sourire de 1652 se fait plus chaud, plus sincère, s’accordant le droit de se noyer le temps de quelques secondes dans le regard de l’enseignant. Mais déjà son regard se porte à nouveau vers les enfants, prenant les questions les unes après les autres. Allant de choses aussi triviales que son District et son activité au quotidien, que des choses plus personnelles allant de savoir s’il avait une amoureuse ou s’il savait pourquoi Amaury avait déjà des cheveux blancs et pourquoi il portait une jupe.
Au milieu du tumulte quelque peu bruyant, un enfant, celui qui avait jusqu’à lors tenu la main de 1004 revient, tenant entre ses mains une tasse qu’il porte de façon plus que précautionneuse, tâchant très certainement de ne pas renverser son contenu. 1652 se redresse et vient apporter son aide au petit rouquin avec un sourire rassurant, récupérant le contenant à la surface trop chaude avant de se tourner vers 1004, interrogatif, le ton plus léger.
Déposant prudemment la tasse sur le bureau, il se permet d’adresser un signe aux enfant, le coin de ses lèvres toujours ourlé de cette note d’amusement alors qu’il presse son index contre sa bouche avec un léger « shhh ».
Quelques rires s’élèvent et lui profite d’être proche de 1004 et que les enfants aient tourné leur attention vers le brun pour faire ce qu’il ne devrait pas. Le mouvement est presque invisible, mais pourtant bien présent, lorsqu’il repousse délicatement une mèche vermeille derrière l’épaule du professeur.
Il incline à peine le visage sur le côté, captant les iris ambrées. Dis oui.
Dis oui.
Oh, c'est une bonne idée. Mais je doute que ceux dehors soit capables de rester en place pour une photo à l'heure actuelle. Machinalement tu jette un œil à 3793 et 2021 avant de sourire. Vous ne voudriez pas faire un dessin à notre nouvel ami ? Il n'en faut pas plus pour que les enfants s'arment de crayons de toutes les couleurs et commencent à barioler les feuilles blanches et colorées à leur portée. Une fois de plus tu gratifie 1652 d'un sourire tendre, les joues rosies. Tu as l'air tellement vivant, c'est sûr qu'à côté de quelqu'un comme Amaury tu dénotes. Tout à l'heure, pour la photo, ça te va ? Tu murmures, tout bas avant de jeter un oeil au café et à Amaury et soupirer doucement. Je m'occuperai de lui. Après tout, c'était le loup blanc, ici.
Enfin, Amaury peut très bien saboter son sommeil réparateur de lui-même : sans prévenir, son coude glisse de sur son genou, et c'est presque comme s'il s'était giflé tout seul quand sa main cesse de soutenir sa tête. Il revient vite à la réalité, adieu sommeil si mérité. Ses yeux sont teintés de peur et de surprise et se posent directement sur 1004 ; au moins, ça l'apaise un peu. Il lui faut un moment pour comprendre où il est, ce qu'il fait là, pour se souvenir de ce qu'il s'est passé ces dernières heures. Ah, oui, c'est vrai, il marmonne tout doucement. Oui, c'est vrai. L'école, 1652, cet idiot de 1652, et ce très cher 1004. Il leur adresse un sourire fatigué. Avant de reprendre son éternel air de cadavre ambulant en se levant difficilement. La chaise grince misérablement, un peu comme chacune de ses vertèbres, d'ailleurs. 2021, bien courageux soudain, vient se cacher contre lui, dans une sorte de tentative de câlin. Amaury l'observe, se heurte à de grands yeux noisette pleins d'espoir, et soupire en posant sa main gantée dans les cheveux du gamin. Au final, il se rapproche des deux autres adultes.
Il se sentait plus coupable que quand il s'endormait pendant les réunions du Conseil, ça c'était certain. C'était terrible, cette façon de s'endormir quasiment automatiquement pendant la journée, et d'être incapable de fermer l’œil durant la nuit.
Un regard à 1004, puis à 1652, puis à 1004 encore; il peut très bien voir les joues de 1004, un peu rosies, les regards qu'ils s'échangent. Et Amaury, en bon gros fils de pute, se dit qu'il a soudainement décidé de mettre un peu de chaos dans leur petite idylle impossible. Après tout, hein. Il est le grand méchant loup du Conseil. Il se rapproche l'air de rien, jusqu'à être calé contre 1652. Oui, voilà. Il pose sa tête contre son épaule, comme si c'était naturel pour lui de faire ça, même si en vrai, il aurait pu rendre le petit-déjeuner qu'il n'avait pas mangé si on lui en avait laissé le temps.
Il n’a pas honte de s’abreuver de cette voix, de cette allure, ni même de la candide expression qui marque ce visage exquis. Une telle créature ne devrait pas être enfermée dans cet étau infâme dans lequel ils se trouvaient présentement. Il voudrait lui dire. Lui souffler qu’il n’y avait rien qui l’obligeait à agir contre son gré. Qui lui imposait de se frotter à ces hommes trop influents, trop menteurs. Les Amaury sont des être abjectes. Ce genre d’individus qui vous sourient avant de vous planter une lame dans le dos. Et il ne suffisait que d’y penser pour que la bête vienne enfin à montrer ses crocs.
Son attention se porte automatiquement sur la voix presque enrouée et éteinte du troisième homme. 1652 ne montre aucun signe de gêne ou de désagrément. Sa façade n’allait certainement pas s’effondrer pour si peu. Et si le conseiller désirait jouer à ce jeu-là ? Il ne serait pas déçu.
La main du mineur se pose à la taille d’Amaury avec un naturel presque désagréable. Un léger mouvement, de haut en bas, comme pour se montrer rassurant. Trop intime. Surtout une façon qu’il a de vérifier un détail qui lui avait progressivement fait relever un certain doute quant à la morphologie de l’autre homme. Un léger son d’approbation à son dernier constat et il raille, aucune animosité dans le timbre grave et posé de sa voix.
Il s’humecte les lèvres et pose son regard sur les quelques enfants restés dans la salle avant de lancer un regard désolé à Leon. Il ne pouvait pas laisser le loup dans la bergerie. Si les enfants n’étaient pas ceux qui finiraient par en pâtir, le charmant damoiseau lui faisant face serait le prochain sur la liste.
Oui, vous devriez y aller. Sourire tendre, comme à ton habitude, tu fais bien illusion. Tout va bien, tu es juste heureux d'avoir eu de la visite, voilà tout. Tu soupires, jette un regard aux deux enfants qui ont continué à dessiner et qui vous observent maintenant tous les trois avec des yeux ronds comme des soucoupes. Leon ... ? Tu hoche la tête, fais signe à 2021 et 3793 d'avancer près de vous. Le petit décide de serrer fort sa feuille un peu froissée et de la tendre maladroitement à Amaury, des yeux plein d'étoiles. Cé pour vous madame. Tu préfère ne pas t'immiscer dans l'intimité du moment, et lorsque 3793 arrive près de toi, tu viens à sa hauteur, l'interrogeant du regard. Elle fait un signe de tête vers 1652, tu opine. Bien sûr, tu peux, vas-y ma belle. Et la voilà qui tend son dessin plein d'étoiles colorées au mineur, au moins tu auras accompli quelque chose de bien aujourd'hui, tu songes.
C'était un plaisir d'avoir une visite aujourd'hui ! Tu inspire, expire, c'est devenu difficile désormais, sans trop que tu saches pourquoi. Te voilà qui détourne les yeux vers Amaury, un sourire sincère mais teinté de tristesse au visage. J'espère que vous reviendrez plus souvent nous voir. Arrête d'irradier de solitude comme ça, Leon.
Quelques hochements de tête attentifs plus tard, il rend son sourire du mieux qu'il peut à 1004, essayant de ne pas avoir l'air trop mort à l'intérieur. Raté, comme toujours, mais il suppose que le jeune homme est habitué désormais. Amaury se dit, distraitement, que peut-être que 1004 ne le déteste pas totalement. Enfin bref. La poigne de 1652 sur sa hanche l'emmerde et il a envie de le pincer.
Il est plutôt gentil, avec 2021. Le petit gamin lui fait de la peine, pour une raison qu'il ignore. Ou alors, c'est juste que sa présence fait résonner quelque chose en lui. Ses yeux se lèvent vers 1004.
C'est un peu ce qu'il fait déjà. On le voit souvent par ici. En même temps, le Conseil est d'un ennui... Amaury relève la tête vers 1652.
Bon sang, il est insupportable, à sourire comme ça, mielleux. On pourrait le gifler. Il en a conscience, bien sûr. Mais qu'on ne lui demande pas pourquoi il faisait ça, il n'en avait simplement aucune idée. C'était juste... drôle, il supposait. Bien sûr, il allait le payer un jour. C'était peut-être ce qu'il attendait, au final. Le sourire qu'il adressa à 1004 aurait pu donner des envies de meurtre à n'importe qui.
Il voudrait échanger quelques mots avec elle, mais la voix du conseiller le tire de sa contemplation de la petite demoiselle, le forçant à se redresser afin de n’afficher aucune vulnérabilité flagrante. Et comme un coup de vent, 3793 s’échappe jusqu’à la cour de récréation, appelant ses partenaires de crime habituels comme si rien n’avait changé dans sa vie.
1652 adresse un sourire à Amaury et d’une courbette exagérée, il lui intime, bien conscient que tout cela reviendrait probablement le mordre lorsqu’il s’y attendra le moins.
Le seul avantage de cette théâtralité ? Le sourire bien plus sincère qu’il peut à son tour adresser à 1004, se penchant à nouveau tandis qu’il se saisit de sa main qu’il baise avant de prononcer de ce même ton charmeur que celui qu’il avait employé pour Amaury.
Il se recule sans s’éterniser, relâchant le contact avant de tourner le dos à l’enseignant comme si ses paroles n’avaient pas compté. Il devait préserver ce jeu bordé d’ironie que lui et Amaury avaient établi contre leurs grés. Pour ce faire, il offrir naturellement son bras au responsable de District, inclinant la tête en son sens, un sourire en coin ourlant ses lèvres.
Quitter l’école se fait sans encombre visible. Mais aussitôt éloignés de la vue de l’école, le petit spectacle auquel ils s’étaient pliés prend fin, non pour déplaire à 1652.
Tout ce dont il peut être sûr, c’est que ce soir-là, lorsque 8027 rentrera, un dessin l’attendra sur la table de la cuisine. Quelques étoiles qu’elle pourrait accrocher au fond de ses yeux.
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